Marine Le Pen avait à nouveau rendez-vous avec la justice, vendredi 12 octobre. La chef de file de l'extrême droite française s'est rendue matinalement au palais de justice de Paris, dans le bureau des juges d'instruction chargés de l'enquête sur l'utilisation de l'argent de Bruxelles par le Rassemblement national (RN, ex-Front national). Préalablement poursuivie pour " abus de confiance ", elle y a vu sa mise en examen aggravée en " détournement de fonds publics ", a confirmé une source judiciaire au Monde.
Pas de grande surprise.
" On le -savait ", abrège Marine Le Pen. Seulement, cette requalification fait peser une menace politique supplémentaire sur la présidente du RN, finaliste de la dernière élection présidentielle. Car si le délit de
" détournement de fonds publics " est passible de dix ans d'emprisonnement et de 1 million d'euros d'amende, contre trois ans de prison et 375 000 euros d'amende pour l'abus de confiance, il peut surtout être assorti d'une peine de dix ans d'inéligibilité en cas de condamnation.
Système frauduleuxEn juin 2017, lors de sa mise en examen initiale pour
" abus de confiance " et
" complicité d'abus de confiance ", Marine Le Pen avait refusé de se rendre à la convocation des juges. Elle s'y est bien rendue, cette fois… mais a refusé de répondre à leurs questions, objectant qu'elle attendait une décision de la Cour de cassation sur un recours, dont l'examen est attendu pour la fin du mois de novembre.
" L'autorité judiciaire ne peut s'ériger en arbitre du contenu du travail politique d'un député et de son bien-fondé sauf à violer le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs ", a-t-elle précisé à l'Agence France-Presse (AFP), -concernant l'objet de ce recours.
Les juges financiers Claire Thépaut et Renaud Van Ruymbeke -enquêtent sur des soupçons d'emplois fictifs au Parlement européen : un " système " aurait été mis en place par le RN, permettant de salarier fictivement des assistants parlementaires européens par les fonds de Bruxelles, tandis que les intéressés travaillaient pour le parti d'extrême droite en France.
Dans un rapport de synthèse, les enquêteurs affirmaient dès décembre 2016 que
" l'étude des documents découverts dans le bureau - du trésorier du parti -
Wallerand de Saint-Just (…)
faisait ressortir la mise en place d'un système frauduleux, impliquant plusieurs cadres du FN. Il apparaissait que, depuis 2012, le FN avait pour leitmotiv, par l'intermédiaire de ses cadres et sur avis de sa présidente, la volonté de réaliser des économies grâce aux -financements du Parlement européen. " Ce dernier a évalué son préjudice à 6,8 millions d'euros.
Sur les quatorze personnes mises en examen à ce jour dans ce dossier, trois le sont donc désormais pour
" détournement de fonds publics " : Marine Le Pen, le député européen (RN) Nicolas Bay, dont le nom fut un temps murmuré pour conduire la tête de liste en vue des élections européennes de mai 2019, et Charles Van Houtte, comptable fiscaliste belge, ancien assistant parlementaire européen accrédité de Marine Le Pen et ex-administrateur au Parlement européen auprès d'Europe des nations et des libertés (ENL), le groupe politique créé en juin 2015 par le FN et ses alliés européens. Le député européen proche de Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch, pourrait aussi être concerné dès lundi.
Le parti lui-même est poursuivi pour complicité et recel d'abus de confiance, et Louis Aliot, le député des Pyrénées-Orientales et compagnon de Marine Le Pen, qui s'est porté
" candidat à la candidature " de la tête de liste européenne pour le RN, vendredi sur BFM-TV, l'est quant à lui pour
" abus de confiance ".
RistourneDepuis l'ouverture de l'enquête, les dirigeants du RN, au premier rang desquels Marine Le Pen, n'ont cessé de dénoncer
" la persécution judiciaire " dont ils seraient les victimes.
" Ça tourne au délire ", s'est indigné, vendredi, son conseiller spécial, Philippe Olivier. Début juillet, les mêmes criaient au
" coup d'Etat " et à la
" dictature " lorsque les juges avaient ordonné, dans le cadre de la même affaire, la saisie à titre conservatoire de 2 millions d'euros de subventions publiques allouées au RN. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris avait finalement réduit ce montant à 1 million d'euros, le 26 septembre, mais sans désavouer la décision des deux juges d'instruction sur le fond, comme argué par le RN.
L'arrêt d'appel stipule ainsi qu'
" il n'y a pas lieu de constater une disproportion entre le montant de la saisie pénale (…)
et le produit réputé tiré par la personne mise en examen des infractions qui lui sont reprochées " et n'explique la remise de 1 million d'euros que par son engagement à protéger l'article 4 de la Constitution –
" les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage " – au regard de la situation financière du RN jugée
" tendue ", tant du point de vue de son endettement que de sa trésorerie. Une ristourne qui ressemble donc à un simple sursis pour le RN, obtenu " grâce " à la situation catastrophique de ses comptes.
Pour parfaire l'actualité judiciaire de la patronne de l'extrême droite française, une autre affaire l'a rattrapée en cette fin de semaine. Confirmant une information du magazine
Challenges, le parquet de Nanterre a indiqué, jeudi soir, que Marine Le Pen était visée par une autre enquête préliminaire lui reprochant d'avoir publié un acte de procédure sur Twitter.
Mise en examen en mars par ce même parquet pour avoir publié des photos d'exactions de l'organisation Etat islamique sur le réseau social, Marine Le Pen avait en effet diffusé, le 20 septembre, l'ordonnance d'expertise psychiatrique – légalement obligatoire dans ce type d'affaire – accompagnée d'un commentaire :
" Hallucinant ".
simon piel, et Lucie Soullier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire