Bruxelles est parée à l'affrontement avec Rome. Lundi 15 octobre, l'Italie, à l'instar des 18 autres membres de la zone euro, devrait soumettre à la Commission européenne son budget prévisionnel pour 2019. Or, si celui-ci affichait toujours un déficit public de 2,4 % du produit intérieur brut (PIB), comme annoncé fin septembre, l'institution communautaire devrait, dans un premier temps, envoyer mardi ou mercredi une lettre afin de " demander des explications "au gouvernement de Giuseppe Conte.
S'ouvrirait ensuite une période de " dialogue et de consultation " d'une semaine pour essayer -concrètement d'amener les autorités italiennes à revenir sur leurs décisions. Le commissaire européen à l'économie, Pierre Moscovici, devrait être dépêché à Rome, jeudi 18 et vendredi 19 octobre, avec cette mission ardue.
Si le gouvernement italien refusait de reculer, Bruxelles pourrait théoriquement lui réclamer la soumission d'un nouveau budget. Elle aurait jusqu'à fin octobre pour s'exécuter. Ce cas de figure ne s'est encore jamais présenté dans la zone euro, et la décision, radicale, devrait être prise par le collège de la Commission.
Mais les commissaires auront du mal à l'éviter s'ils veulent préserver la crédibilité du pacte de stabilité et de croissance. Ils ont reçu un soutien appuyé, et quasi unanime, des ministres européens des finances, réunis en Eurogroupe, lundi 1er octobre à Luxembourg, où le ministre italien des finances, Giovanni Tria – hostile aux choix économiques de son propre gouvernement – était apparu très isolé, dans une position intenable.
Retoquer le budget italien aurait en tout cas pour conséquence prévisible de déclencher une violente crise politique avec un gouvernement dont l'euroscepticisme constitue, depuis son entrée en fonctions, le principal carburant politique.
La Commission défend une ligne dure, dans la mesure où elle estime que
l'écart que représenterait un déficit de 2,4 % du PIB par rapport aux engagements italiens (0,8 % en 2019, l'équilibre en 2020) est bien trop important pour être toléré, car
" hors des clous " du pacte de stabilité et de croissance, comme l'avait affirmé M. Moscovici dès fin septembre.
Canaux de dialogue activésCertes, le déficit italien demeurerait sous le plafond des 3 % fixés par ledit pacte, mais, en décidant d'un budget expansionniste, le pays limiterait sa capacité à soutenir le poids de son énorme dette publique (132 % du PIB), ce que redoute la Commission. Par ailleurs, dans le détail, les mesures annoncées par le gouvernement Conte ne semblent pas de nature à provoquer un rebond de la croissance, contrairement à ce qu'il affirme.
Ces derniers jours, tous les moyens étaient bons pour éviter ce scénario. Des canaux de dialogue ont été activés, M. Moscovici multipliant les contacts avec Giovanni Tria. Il l'a vu de nouveau lors du G20 finances à Bali (Indonésie), vendredi.
Certains misent aussi sur la pression des marchés financiers et le " spread ", le différentiel entre le taux des obligations italiennes et allemandes à dix ans, pour faire reculer l'exécutif italien et empêcher la Commission d'endosser le rôle du " méchant ". Vendredi, il a atteint 309 points de base. Aux dires de la plupart des experts, si ce différentiel -continuait à croître pour s'approcher des 400 points, la situation deviendrait incontrôlable.
Les avis des agences de notation Moody's et S&P sur la dette italienne, attendus fin octobre, pourraient, eux aussi, accentuer sensiblement la pression sur Rome. Une dégradation de la note de la Péninsule par l'une des deux agences la ferait passer juste au-dessus de la catégorie " spéculative ".
Cette stratégie – compter sur les marchés pour faire plier le gouvernement Conte – n'est cependant pas sans risque. Elle pourrait déstabiliser des banques italiennes très exposées aux obligations souveraines nationales. De surcroît, une nouvelle crise bancaire italienne aurait tôt fait de se transformer en crise financière européenne…
Elle porte surtout en germe un autre risque, politique celui-ci : alimenter le procès en illégitimité d'une Europe dont les marchés seraient devenus le principal juge de paix. Dans une Italie chauffée à blanc par des années de rhétorique anti-européenne, une telle configuration pourrait avoir un effet désastreux.
Pour l'heure, les deux vice--premiers ministres italiens, Matteo Salvini (Ligue, extrême droite) et Luigi Di Maio (Mouvement 5 étoiles, M5S, " antisystème "), ont multiplié les déclarations martiales pour faire montre de leur détermination. De fait, un recul face à Bruxelles ne pourrait se faire qu'au prix de gros dégâts politiques, étant donné qu'ils ont déjà dû renoncer à la plupart de leurs promesses de campagne.
Marges de manœuvre limitéesL'impôt sur le revenu en est un exemple : la " flat tax " à deux tranches (15 % et 20 %) pour tous les Italiens, voulue par la Ligue et inscrite dans le " contrat de gouvernement ", a été renvoyée à des jours meilleurs. Quant au " revenu de citoyenneté ", porté par le M5S, il n'en finit plus d'être redimensionné. Reste la remise à plat de la réforme des retraites de 2011 sous la pression des marchés financiers (loi Fornero), qui fait figure de chiffon rouge pour Bruxelles et les marchés financiers, et sur laquelle le gouvernement ne saurait faire machine arrière sans perdre une bonne part de son crédit politique.
En définitive, les marges de manœuvre du gouvernement Conte apparaissent limitées. Elles le sont d'autant plus que les experts en comptes publics sont dubitatifs sur la crédibilité même de l'objectif de 2,4 % de déficit public affiché par les autorités.
Fondé sur une prévision de croissance irréaliste (1,5 % en 2019, alors que le FMI estime que la hausse du PIB italien ne dépassera pas les 1 %), le projet de budget paraît minimiser le coût de certaines mesures, et miser sur les effets d'une amnistie fiscale aux contours encore flous, mais dont la perspective a eu pour effet de faire chuter les rentrées d'argent du Trésor. Ainsi, si l'ensemble des mesures annoncées étaient maintenues, le déficit italien pourrait, en réalité, frôler, voire dépasser la barre des 3 %…
Ces doutes, exprimés à mots couverts par plusieurs techniciens du ministère italien des finances – lequel s'est transformé en forteresse assiégée –, n'ont pas de quoi rassurer Bruxelles et les marchés. Pour l'heure, les deux hommes forts du gouvernement italien se sont contentés de les balayer d'un revers de main, en soulignant qu'ils avaient gagné les élections et jouissaient d'un taux de popularité record. Interrogé mardi sur les tensions croissantes entre le gouvernement et les techniciens du Trésor, Luigi Di Maio a lancé, dans un sourire :
" Si la Banque d'Italie tient à la loi Fornero, elle n'a qu'à se présenter aux élections. "
Cécile Ducourtieux, et Jérôme Gautheret
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