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Affaire Baby-Loup
et Liberté de conscience des salariés :
La Cour de cassation confirme le droit applicable
vendredi 27 juin 2014
Ceux qui entendent imposer la neutralité religieuse à tous les salariés, afin d’introduire, sans le dire, une discrimination à l’égard des travailleurs de confession musulmane, ne doivent pas se réjouir trop vite, ni se méprendre sur la portée de la décision du 25 juin 2014 de la Cour de cassation ayant confirmé l’arrêt par lequel la Cour d’appel de Paris du 27 novembre 2013, sur renvoi du juge suprême, avait validé le licenciement de la directrice adjointe de la crèche Baby-Loup pour être venue à son travail la tête couverte d’un foulard.
Ils auront beau dire, beau faire et s‘agiter dans tous les sens, il n’y aura pas de loi qui modifiera leCode du Travail sur cette question. L’avis de la plus haute juridiction judiciaire sonne le glas des espérances néo-totalitaires de beaucoup. Il y a aussi quelque étonnement et parfois écœurement à voir que des associations dites « humanistes, féministes, laïques, progressives voire progressistes et même sociales » applaudissent au licenciement d’une salariée parce qu’elle a eu le tort de ne pas partager leur point de vue.
Un rappel des principes en faveur de la liberté de conscience
En premier lieu, la Cour de cassation a invalidé l’un des motifs de principe sur lequel était fondée la résistance du juge d’appel à l’arrêt de renvoi de la Cour de cassation du 19 mars 2013 : à défaut d’avoir pour objet statutaire « de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques » une société ou une association ne peut être qualifiée d’ « entreprise de conviction ». La Cour ne s’est pas davantage prononcée sur le caractère présumé d’intérêt général de l’activité poursuivie par les crèches, qu’avaient tant mis en avant les partisans du licenciement.
En deuxième lieu, la Cour rappelle « qu’il résulte de la combinaison des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du Code du Travail que les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché ». Dans sa contribution de mai 2013 intitulée Crèche Baby Loup : nouveau symptôme d’une crispation antimusulmane, la Fédération nationale de la Libre Pensée soutenait ce point de vue, le seul à être compatible avec les libertés individuelles dont la liberté de conscience est la clef de voûte. Elle écrivait : « […] si la nature de l’activité poursuivie par l’entreprise […] ou l’objet même de l’association […] est incompatible avec le port de signes religieux ou, plus largement, de tenues vestimentaires susceptibles de contrarier la vocation de cette entreprise ou de cette association, l’employeur paraît fondé à se séparer d’un salarié qui enfreindrait un règlement intérieur tenant compte de la nature de cette activité ou de cet objet. […] La restriction susceptible d’être apportée aux droits et libertés individuelles et collectives du salarié doit être proportionnée au dommage qui résulterait pour l’employeur de leur entier exercice par l’intéressé. Par suite, aucune interdiction générale et absolue ne peut être édictée. »
Le caractère décisif des circonstances de fait
En réalité, le 25 juin 2014, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dirigé contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en se bornant à constater que celle-ci, « appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d’une association de dimension réduite », a pu déduire de son examen des circonstances de l’espèce « que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur [amendé en 2003] ne présentait pas un caractère général ». Comme si d’ailleurs sa conviction n’était pas totalement établie à cet égard, elle s’est crue obligée de se prévaloir également des « insubordinations répétées et caractérisées » de l’ancienne directrice adjointe de la crèche Baby Loup pour justifier son licenciement.
La mention éventuelle dans le Règlement intérieur de l’attachement de l’entité concernée au principe de neutralité permet d’apporter une solution proportionnée à des problèmes de ce type. Par ailleurs, le glas a aussi sonné pour ceux qui prétendaient que le seul versement de fonds publics suffisait à prouver la mission de service public.
La Séparation entre sphère publique et sphère privée préservée
Au terme de six années de procédure devant les juridictions françaises, l’essentiel est préservé. Conformément au principe de laïcité, qui repose en France sur la Séparation des Eglises et de l’Etat, la liberté de conscience des individus dans la sphère privée est garantie, même si elle peut connaître des restrictions dans l’entreprise pour des motifs tenant à l’objet ou aux intérêts fondamentaux de celle-ci. En revanche, les agents contribuant à l’exécution d’un service public, même s’ils relèvent du droit privé du travail, sont tenus à la plus stricte neutralité dans l’exercice de leurs fonctions, comme la Cour de cassation l’a également jugé le 19 mars 2013 en validant le licenciement d’une salariée d’une Caisse Primaire d’Assurance Maladie.
Les débats suscités artificiellement autour d’un conflit individuel du travail que représente le licenciement de la directrice adjointe de la crèche Baby Loup auront fait long feu. Le Conseil économique, social et environnemental, la Commission Consultative des Droits de l’Homme etl’Observatoire de la laïcité ont estimé qu’il serait inopportun de faire adopter par le Parlement une loi interdisant le port de signes religieux dans les entreprises ou, solution plus limitée qu’avait préconisée le Président de la République en mars 2013, dans les établissements privés accueillant de jeunes enfants.
La Libre Pensée s’en félicite et mettra tout en œuvre pour faire échec à un tel projet, si jamais il devait revenir sur le devant de la scène, tout simplement parce qu’il serait contraire à l’article 10 de laDéclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 aux termes duquel « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. »
Paris, le 27 juin 2014
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