Translate

lundi 6 août 2018

Les nouvelles routes des migrants...L'Espagne, nouvelle porte d'entrée de l'Europe



 
5 août 2018

Les nouvelles routes des migrants

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
 L'Espagne a vu les arrivées fortement augmenter, après la fermeture de l'Italie et d'autres pays de l'Union
 En Bosnie, des milliers de migrants sont bloqués aux portes de l'Europe
Pages 2-3
© Le Monde


5 août 2018

L'Espagne, nouvelle porte d'entrée de l'Europe

Le pays a accueilli 22 000 migrants depuis janvier, loin des flux qu'a connus l'Italie avant de fermer ses ports

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
LE CONTEXTE
1 500 morts
Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 1 500 personnes sont mortes en Méditerranée depuis janvier. Malgré la baisse des arrivées de migrants sur les côtes -européennes, le sujet provoque des tensions politiques.
Extrême droite
La pression de l'extrême droite pousse les gouvernements à durcir les politiques d'accueil. Depuis son arrivée au pouvoir en Italie, en juin, la Ligue de Matteo Salvini a imposé la fermeture des ports aux navires de sauvetage en Méditerranée. En Allemagne, le ministre de l'intérieur, Horst Seehofer, a obligé Angela Merkel à renforcer les contrôles aux frontières, sur fond de poussée du parti d'extrême droite -Alternative pour l'Allemagne.
Le Salvamar-Arcturus -rentre bondé au petit port de Tarifa, à la pointe sud de l'Espagne, samedi 28  juillet. Sous le soleil de midi, ce bateau de sauvetage de 21 mètres dépose à quai douze femmes et une petite fille, parties des côtes marocaines, à moins de 15 kilomètres à vol d'oiseau, et secourues en plein milieu du détroit de Gibraltar. Elles sont prises en charge par la Croix-Rouge qui leur fournit des vêtements secs et un en-cas. Sur le pont du navire, 72  hommes, d'origine subsaharienne, restent entassés. Trois membres de Frontex, l'agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, les recensent. Un représentant de la Croix-Rouge détecte chez l'un d'entre eux une possible fracture à la jambe. Deux gardes civils surveillent la scène. Ils attendent qu'arrivent des renforts pour leur permettre de poser pied à terre.
Combien de temps les hommes vont-ils rester sur l'eau, amarrés, sous un soleil de plomb ? Vont-ils passer la nuit à bord ou dormir sur le quai, à même le béton, comme des centaines d'autres ces derniers jours ? Depuis le début de l'été, les services de secours en mer espagnols, dépendant du ministère de l'équipement, ramènent chaque jour des centaines de migrants dans les ports de Tarifa, Algésiras, Barbate, mais aussi Almeria, Motril ou Valence. Et les infrastructures d'accueil sont débordées.
" Assistance d'urgence "On est loin des arrivées massives de 2015 en Grèce, quand plus de 800 000  migrants ont débarqué sur ses côtes, ou de 2016 en Italie, quand ils étaient plus de 180 000. Mais avec plus de 22 000  migrants arrivés durant les sept premiers mois de l'année – soit trois fois plus qu'il y a un an –, et alors que les autres routes ont été verrouillées, l'Espagne est devenue la principale voie d'accès des migrants en Europe.
Pour faire face à ces arrivées, le président socialiste du gouvernement, Pedro Sanchez, a annoncé vendredi 3  août la création d'un " commandement unique " chargé du contrôle de l'immigration irrégulière dans le détroit de Gibraltar. De son côté, la Commission européenne a communiqué " l'attribution en urgence de 55  millions d'euros pour des programmes de gestion des frontières au Maroc et en Tunisie ", afin que ces deux pays de transit et de départ augmentent la surveillance de leurs côtes, ainsi qu'une " extension de 3  millions d'euros " de l'aide de 26,5  millions déjà fournie à l'Espagne le 2  juillet dernier, pour " l'assistance d'urgence ".
Celle que reçoit notamment Aicha, ce samedi 28  juillet, sur le port de Tarifa. Cette Ivoirienne a fui son pays il y a un an et demi. Sa fille de 4 ans balance ses jambes en regardant avec fascination ses nouvelles baskets et son sweat-shirt, décoré de Schtroumpfs, tout en buvant un jus d'orange. Aicha pleure lorsqu'elle parle de ses trois autres enfants de 7, 11 et 12 ans, qu'elle a confiés à sa mère et qu'elle rêve de pouvoir faire venir bientôt. Au Maroc, mère et fille vivaient " de la mendicité ". Comme les autres femmes assises autour d'elle, elle a essayé à de nombreuses reprises d'atteindre l'Europe, si proche : " Dix fois peut-être. " Mais à chaque fois, la police marocaine interceptait son embarcation. Aicha est enceinte de 5  mois. " Au Maroc, j'ai rencontré quelqu'un. Il me traite bien. " Lui est toujours à bord du Salvamar-Arcturus.
" Nous manquons de véhicules pour transporter les migrants, de personnel pour les surveiller et de lieux pour les identifier. Alors, comme nous n'avons nulle part où les emmener, au lieu de mettre trois heures à procéder à leur transfert, nous mettons trente  heures ", explique José Paron, porte-parole du syndicat unifié de police nationale (SUP) dans la province de Cadix.
Une salle des sports d'Algésiras a bien été habilitée pour procéder aux identifications, mais elle est constamment saturée. Un hangar du port de San Roque, transformé en centre de débarquement et d'identification des migrants, a été inauguré jeudi 2  août par le ministère de l'intérieur, mais avec 600 lits, il risque lui aussi de devenir rapidement trop petit. Et faute de places dans les centres de rétention, au bout du délai maximum de détention administrative, de 72  heures, les migrants sont laissés en liberté.
" Respect des droits de l'homme "Carlota, employée de la Croix-Rouge locale, avoue, tout en remplissant les formulaires, qu'elle dort trois heures par nuit depuis trois jours. " Pour accueillir les 600 migrants de l'Aquarius, ils étaient 2 000, dit-elle, en référence au bateau que l'Italie et Malte avaient interdit d'accoster et que l'Espagne a accueilli à Valence, mi-juin. En trois jours, nous en avons reçu 1 500 et nous sommes 25… "
" Cela fait 50  heures que l'on dort à peine ", confirme le capitaine du Salvamar-Arcturus. La nuit dernière, il a fermé les yeux à 1 heure du matin, alors qu'il avait à bord depuis deux jours plus de 200 migrants et que 250 autres se trouvaient à quai, assis derrière des rubans en plastique, surveillés par la garde civile. A 5 h 30, lorsqu'il s'est réveillé, il n'y avait plus personne. " La police a dû venir les transférer ", explique-t-il. Vers 6  heures, il a prévenu le centre de contrôle maritime que le Salvamar-Arcturus était de nouveau disponible pour des opérations de sauvetage. " Un quart d'heure plus tard, on m'envoyait sur une première embarcation de migrants, assure le capitaine. C'est la pire année que j'ai vécue en vingt-cinq ans de carrière : nous n'avons jamais connu un tel rythme d'arrivées. "
Les avis divergent sur les raisons de l'augmentation du nombre de migrants en Espagne. La fermeture de la route libyenne a-t-elle provoqué un début de déplacement des flux vers la Méditerranée occidentale ? Ou le Maroc a-t-il relâché les contrôles pour négocier davantage d'aides financières et matérielles à l'Europe, comme le suggèrent certains analystes ?
L'Organisation internationale pour les migrations assure ne pas disposer de " preuves tangibles d'un transfert de flux migratoires depuis la Libye jusqu'au Maroc ". En revanche, elle rappelle que le Maroc, qui a procédé à plusieurs régularisations de migrants, " fait actuellement face aux mêmes défis que l'Espagne, l'Italie ou la Grèce ".
Pour le gouvernement espagnol, " la vague de pression migratoire actuelle était un phénomène prévu et de 2016 à 2017, les arrivées irrégulières ont augmenté de 170  % du fait de la fermeture des autres routes de la Méditerranée ". Pedro Sanchez a promis de faire du " respect des droits de l'homme ", de la " sécurité des frontières " et de la " coopération avec les pays d'origine " les grands axes de sa politique migratoire, évoquant le possible retrait des lames tranchantes des barbelés de Ceuta et Melilla ou annonçant des renforts dans les bureaux de demandes d'asile.
De son côté, l'opposition multiplie les critiques. " Les politiques du gouvernement de Pedro Sanchez provoquent un effet d'appel, a estimé le nouveau président du Parti populaire (PP), Pablo Casado, de visite à Algésiras le 1er  août. Le flux ne peut pas être illimité et l'Etat-providence ne peut pas supporter l'arrivée de millions de migrants. "La veille, à Ceuta, où 600  migrants qui sont parvenus à franchir les grilles-frontières le 26  juillet, dont certains en lançant des boules de chaux vive et d'excréments sur les forces de l'ordre, le président du parti libéral Ciudadanos, Albert Rivera, avait lui aussi critiqué " les bons sentiments et les campagnes de communication, qui ne font que provoquer un effet d'appel ".
A Algésiras, où se trouve le commandement duSystème intégral de surveillance extérieure de la garde civile, le sous-lieutenant Manuel Fuentes est seul avec deux autres gardes civils pour contrôler les 112  km de côtes qui vont de Barbate à Sotogrande, sur lesquels des radars et caméras à longue portée et infrarouges sont installés. " J'ai une embarcation avec des immigrants en eaux espagnoles ", annonce-t-il, par radio, à une patrouille stationnée à Barbate. " Ce sont sans doute des Marocains. Les Subsahariens nous appellent pour les secourir. Les Marocains craignent d'être rapatriés aussitôt ", explique-t-il. La patrouille ne parvient pas à arrêter l'embarcation. Les quelque quarante migrants qui se trouvent à bord sautent à l'eau avant de traverser la plage en courant sous l'œil des touristes, allongés sous leur parasol.
Sandrine Morel
© Le Monde


5 août 2018

Bihac, en Bosnie, dernier accès à une route des Balkans verrouillée

Politiquement fragile, le pays est dépassé par l'arrivée de migrants

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Nouredine Moali a les traits tirés à son réveil.La pièce sent le tabac, la nourriture rance, la promiscuité des hommes. Des béances dans le ciment de l'édifice s'ouvrent sur un ciel sombre et une végétation au vert profond, menaçant. La montagne est proche. Et il va bientôt pleuvoir. Petit à petit, les yeux bleus de Nouredine prennent une expression plus sereine au fond de cernes profonds. " T'as pas une cigarette ? " Nouredine dit qu'il est sur la route depuis neuf mois.
Parti de Tizi Ouzou, en Algérie, le jeune homme de 23 ans s'est échoué avec des centaines d'autres migrants pakistanais, afghans, syriens ou irakiens dans une résidence étudiante en ruine des environs de Bihac, 60 000 habitants, à la frontière avec la Croatie. Restée à l'écart des flux migratoires massifs de 2015 puis de 2016, la Bosnie-Herzégovine, Etat pauvre aux institutions défaillantes, se trouve depuis le début de l'année confrontée à de nouvelles arrivées à mesure que ses voisins, mieux équipés, ferment leurs frontières. " En Hongrie, en Bulgarie, en Roumanie, tu risques la prison. Entre la Serbie et la Croatie, c'est difficile de passer. C'est la dernière route pour aller en Europe, dit-il. L'information circule, les gens vont continuer à venir. "
Les migrants qui affluent vers l'ouest de la Bosnie, ses montagnes, ses forêts et ses rivières aux reflets azurés, ont pour but de franchir la frontière avec la Croatie, qui est aussi celle de l'Union européenne, pour rejoindre la Slovénie, puis l'Italie. Entre eux et leur rêve s'étendent d'abord une forêt profonde et des pentes escarpées que les naufragés de Bihac essaient de franchir par petits groupes, après le coucher du soleil. Nouredine tentera sa chance ce soir-là. Son sac est prêt, dans un coin de la pièce.
L'espoir de passer est mince. Tous les jours, ils sont des dizaines à rentrer à Bihac, après avoir été expulsés par la police croate. Après quelques jours de repos, ils retentent l'aventure. A l'entrée de l'ancienne résidence universitaire, des prospectus édités par la Croix-Rouge en anglais, arabe et persan sont mis à la disposition des migrants. Un gros bandeau rouge crie " Attention ! " dans les trois langues, au-dessus d'une carte de la zone frontalière où sont indiqués les emplacements de champs de mines, restés en l'état depuis la fin des guerres de Yougoslavie.
Kurde d'Irak, Mariwan Saïd, 26 ans, dit en être à sa troisième tentative en quatre semaines. Il occupe une petite pièce de l'ancien dortoir, avec des compatriotes, pour la plupart venus de Ranya – une bourgade de montagne morose, près de la frontière iranienne. " Il y a un mois, c'était facile de passer, mais c'est de plus en plus compliqué. Quand les policiers croates t'attrapent, ils cassent ton téléphone, prennent ton argent et tes objets de valeur et te renvoient en Bosnie. Tout le monde a peur d'eux ", raconte Mariwan." Les Croates essaient de les dissuader par la manière forte, tabassent parfois les migrants ", dénonce Selam Midzic, de la Croix-Rouge de Bihac.
Processus de décision grippéJusqu'au printemps, le quotidien de M. Midzic consistait en des actions de prévention et des formations aux premiers secours dispensées dans les écoles de la région. Depuis, la branche locale de la Croix-Rouge est devenue, à la demande du maire de la ville et avec le soutien de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), le principal acteur humanitaire, sommé de répondre à la crise. La Commission européenne a débloqué, dans l'urgence, 1,5  million d'euros. Cette somme a permis au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) de transformer un ancien hôtel, près de Bihac, en centre d'urgence pour accueillir 400 migrants parmi les plus vulnérables.
Pour Suhret Fazlic, le maire de Bihac, qui estime le nombre de migrants à 3 000 dans les environs, la situation pourrait approcher un point de rupture : " A Bihac, nous avons connu la guerre, donc quand les premiers groupes sont arrivés, la population s'est montrée solidaire. Mais à présent, les tensions montent et si rien n'est fait, de plus en plus de migrants vont se retrouver bloqués ici. "
Localité à majorité musulmane, la ville s'est trouvée assiégée par les forces serbes de Bosnie de 1993 à 1995. Certaines façades restent criblées d'impacts, et le souvenir du siège est présent dans les esprits de ceux qui sont assez âgés pour l'avoir connu. " La politique de notre gouvernement est à l'origine de ce problème, estime le maire. Ils veulent renforcer la frontière avec la Serbie et le Monténégro d'un côté, et ils ordonnent à nos policiers de regarder ailleurs quand les migrants veulent se rendre du côté croate. Mais voilà : ils n'ont pas les moyens de bloquer le point d'entrée, tandis que les Croates, eux, déploient tous les moyens pour les arrêter et nous les renvoyer. "
Le 26  juillet, le maire s'est rendu à la capitale, Sarajevo, avec une cinquantaine d'élus de sa région pour manifester devant le bâtiment du gouvernement et ainsi alerter les autorités. Leur marge de manœuvre est cependant réduite : le manque de ressources et les divisions entre les trois communautés, serbe, croate et musulmane de Bosnie, grippent le processus de décision politique. " Il faut à chaque fois discuter au niveau étatique, cantonal, local, cela prend beaucoup de temps et c'est très compliqué ", explique Peter Van der Auweraert, de l'OIM. Le chef des Serbes de Bosnie a même accusé les Bosniaques musulmans de vouloir profiter de la vague migratoire pour changer l'équilibre démographique du pays.
A 60  km au nord de Bihac, la localité de Velika Kladusa, 5 000 habitants, est aussi devenue un point de fixation pour les migrants qui tentent de franchir la frontière croate toute proche. Environ 2 000 personnes se trouveraient dans les environs, selon un humanitaire local. Un camp de tentes livré aux intempéries a été installé à l'écart de la ville, près d'un chenil. " On vit comme des animaux ici, dans la boue et les déchets ",dénonce Abou Bakir Watma. Pour ce Kurde irakien de bientôt 60 ans, qui dit avoir fui son foyer pour échapper à un usurier, la route est trop difficile à faire à pied et il ne lui reste plus de quoi payer un passeur.
Abou Bakir est un ancien peshmerga, il a fait partie des combattants kurdes d'Irak qui ont fait face à l'organisation Etat islamique (EI) dans le nord du pays depuis 2014. Dans son téléphone, il conserve la reproduction d'un certificat d'entraînement délivré par la coalition internationale contre l'EI, signé de la main d'un certain lieutenant-colonel Edmondo Panaioli. " A qui est-ce que je peux montrer ça pour avoir un visa ? " Plus loin, au fond d'une tente, un enfant se met à pleurer. Un groupe de Pakistanais s'apprête à retenter la route de la forêt, de la nuit et des brumes.
Allan Kaval
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire