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lundi 6 août 2018

A Brégançon, May tente d'amadouer Macron



5 août 2018

A Brégançon, May tente d'amadouer Macron

La première ministre britannique plaide en faveur de sa nouvelle approche du Brexit

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Le dessin du Times est cruel. A mains nues, chaussées de ses fameux escarpins, Theresa May tente d'escalader une tour du fort de Brégançon, la résidence présidentielle du Var. " Pourquoi ne me permettez-vous pas de prendre l'escalier ? ", supplie la première ministre britannique. Au sommet, près d'un drapeau -tricolore, Emmanuel Macron la nargue : " Je ne peux pas vous faire des concessions unilatérales ! " Mme May a écourté ses vacances dans la région des lacs italiens pour plaider la cause de son nouveau plan Brexit – dont dépend son avenir politique – au cours d'un entretien avec le président français, vendredi 3  août, suivi d'un dîner avec leurs conjoints.
" Aidez-nous, sinon le Brexit sera une tragédie ", avait déjà plaidé, mardi 31  juillet à Paris, le nouveau chef du Foreign Office, Jeremy Hunt. En dix jours, une bonne partie du gouvernement britannique a défilé à Paris et dans les autres capitales européennes.
Possibles pénuriesMinistres du commerce, des finances, du Brexit et des affaires étrangères, tous ont développé la même rhétorique du " no deal " (absence d'accord) : si vous ne soutenez pas le compromis raisonnable de Mme May, les négociations de Bruxelles risquent d'échouer avec des conséquences catastrophiques, pour vous comme pour nous – rétablissement des contrôles douaniers, commerce paralysé, emplois menacés par centaines de milliers. " L'échec des négociations sur le Brexit n'est dans l'intérêt de personne ", a résumé David Lidington, numéro deux du gouvernement May, lui aussi de passage à Paris, dans un entretien au Monde.
Si Downing Street a orchestré un tel ballet, et si Mme May fait le -détour de Brégançon, c'est qu'Emmanuel Macron est considéré par le gouvernement britannique comme la principale pierre dans son jardin. A tort ou à raison, les Britanniques jugent Angela Merkel comme plus ouverte. Mme May s'est également entretenue, vendredi, avec le président de la Commission, Jean-Claude Juncker.
Après deux ans de tergiversations, la première ministre britannique a fait des concessions. Son " livre blanc " propose un quasi-maintien dans le marché unique pour les biens – ce qui éviterait le retour d'une frontière en Irlande –, tandis que les services financiers comme ceux de la City, essentiels pour les Britanniques, n'accéderaient plus automatiquement au continent.
Officiellement, le plan a été reçu fraîchement par Michel Barnier, le Français chargé de la négociation sur le Brexit au nom des Vingt-Sept, qui refuse l'idée de scinder le marché unique, ce qui l'affaiblirait. " Il ne s'agit pas pour Paris de se substituer au processus piloté par Michel Barnier ", a martelé l'Elysée, avant la rencontre de Brégançon. " La France souhaite un partenariat privilégié tant sur le plan économique qu'en matière de sécurité. Ce futur partenariat devra respecter l'intégrité du marché unique et les conditions d'une concurrence loyale ", a rappelé Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, après avoir reçu M.  Hunt, exprimant une hantise française : un dumping fiscal et social britannique post-Brexit.
Pour Mme May, l'exercice relève de l'acrobatie. Elle et ses ministres agitent la menace d'un " no deal ". Ce faisant, ils transforment les " opportunités " du Brexit vantées par les tories en catastrophe, évoquant de possibles pénuries de nourriture et de médicaments en cas de blocage de la frontière. Le géant pharmaceutique français Sanofi a annoncé jeudi qu'il renforçait ses stocks au Royaume-Uni. En écho, Marks &  Spencer a averti que les Français risquent d'être privés de ses sandwichs qui traversent la Manche quotidiennement…
Londres se plaint en outre de l'intransigeance de Michel Barnier et privilégie une négociation politique. " Ceux qui chercheraient une feuille de cigarette entre le mandat des vingt-sept chefs d'Etat et de gouvernement et ce que je fais, perdent leur temps ", a prévenu l'intéressé, visiblement agacé par les tentatives de Londres de " diviser pour régner ". Theresa May a rendu visite, vendredi 27  juillet, au chancelier autrichien Sebastian Kurz, considéré comme un allié dans ces manœuvres.
En réalité, les Vingt-Sept n'ont nullement fermé la porte. M.  Barnier, dans une tribune publiée jeudi 2  août dans vingt journaux européens, s'est dit prêt à " améliorer " le plan de Mme May afin d'aboutir à l'établissement avec le Royaume-Uni de nouvelles relations " sans précédent par leur portée et leur contenu ". Une expression qui semble faire droit à la revendication britannique d'un accord " sur mesure ".
Le calvaire  du congrès des toriesTheresa May a un besoin urgent du soutien des Européens pour assurer la survie de son plan attaqué de toutes parts, alors que l'accord scellant le Brexit doit être approuvé impérativement avant la fin 2018. Le prochain moment-clé est programmé le 20  septembre à Salzbourg, lors d'un sommet européen spécial. Mme May devrait mettre en avant les enjeux sécuritaires, où les Britanniques disposent de leurs meilleurs atouts (renseignement, coopération policière et militaire).
Un minimum d'ouverture des Européens lui sera nécessaire pour aborder l'étape suivante de son calvaire : le congrès des tories, début octobre, où elle affrontera les europhobes de son parti qui l'accusent de " trahir " le Brexit. Au regard de la guerre de tranchées qui s'annonce à ce congrès de Birmingham, l'escapade de Brégançon a été une aimable parenthèse.
Philippe Bernard
© Le Monde


5 août 2018

Brexit : la France doit prendre le leadership en Europe

Il est dans l'intérêt de Bruxelles et de Paris de conclure un accord avec Londres, explique Kalypso Nicolaïdis, professeure de relations internationales à Oxford

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Si Theresa May est venue rendre visite à notre président en vacances pour vendre sa vision de la future relation entre l'Union européenne (UE) et le Royaume-Uni, c'est que l'enjeu est de taille. Même imparfaite, la proposition publiée par le gouvernement britannique dans son white paper - livre blanc - il y a trois semaines est une première et représente une étape importante. La balle du ping-pong brexitien est sans doute pour la première fois dans le camp de l'UE.
Au sein de l'UE à 27, nous sommes confrontés à un choix simple et stratégique de la plus haute importance : voulons-nous, ou pas, une relation étroite et amicale avec le Royaume-Uni ? Le Royaume-Uni a déjà répondu à cette question – sa première ministre le répète comme un mantra : fi du grand large, nous voulons être l'ami et l'allié le plus proche de l'UE ! C'est donc à l'UE de répondre sans se laisser obnubiler par les provocations infantiles des brexiters purs et durs.
En tant qu'européenne et française, il me semble que la réponse à cette question de fond devrait nous être facile. Il est dans l'intérêt stratégique de l'UE et de la France de conclure un accord étroit et ambitieux avec le Royaume-Uni : non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan géopolitique. Aux côtés de la France, le Royaume-Uni est un acteur européen clé pour sa défense et sa sécurité, notamment dans la lutte contre le terrorisme. Et le Royaume-Uni est l'un des principaux partenaires commerciaux de l'UE, avec 692  milliards d'euros d'échanges en  2017.
Londres abrite les marchés financiers les plus fluides du monde : une source-clé d'investissement dans l'économie de la zone euro. Tant mieux pour la France si elle réussit à attirer certaines entreprises londoniennes, mais ne nous leurrons pas : un Brexit " dur " bénéficierait avant tout à l'extérieur de l'UE. Enfin, le Royaume-Uni compte quelque 3,5  millions de citoyens de l'UE – soit plus que la population totale de sept des 27  Etats membres restants. Le premier devoir de tout gouvernement n'est-il pas de sauvegarder le bien-être et les droits de ses citoyens ?
Concessions britanniquesLe gouvernement britannique fait valoir que sa proposition pour la relation future avec l'UE est sérieuse et réaliste. Le white paper cherche à proposer un nouvel équilibre de droits et d'obligations couvrant quatre domaines : le partenariat économique ; le partenariat de sécurité ; les questions transversales et autres formes de coopération ; les dispositions institutionnelles qui soutiendraient la relation dans son ensemble.
Certaines de ces propositions n'ont aucune chance d'être acceptées en l'état par Bruxelles, notamment sur les règles douanières et les services financiers. Mais ne pouvons-nous pas trouver un compromis grâce aux techniques dites d'accords contingents, une procédure standard pour les accords internationaux ? Le Royaume-Uni demande, sur les douanes, des dispositions spéciales qui seraient sans conséquences dans l'immédiat, puisqu'elles dépendent de technologies encore en devenir et dont Bruxelles affirme qu'elles n'existeront jamais. De plus, l'accord peut statuer qu'un engagement en ce domaine sera sujet, au moment approprié, à un accord unanime.
Plus important encore, les propositions du gouvernement britannique montrent qu'il a écouté l'UE et a fait certaines concessions qu'il faut décoder : sur le rôle de la Cour de justice de l'Union européenne, sur la réduction de l'accès au marché des services et l'adoption de règles communes pour le commerce des biens. Mme  May a déjà payé un lourd prix politique pour cette affaire, qui a engendré onze démissions. Elle ne peut pas aller plus loin si rien ne bouge. Elle fera d'autres concessions, mais seulement si l'UE montre qu'elle est prête à négocier.
Le non-accord n'est pas une menace abstraite. Pas besoin d'avoir vu Darkest Hour (Les  Heures sombres)pour connaître l'image que les Britanniques ont d'eux-mêmes et de leur esprit " indomptable " ! La pression de Bruxelles est beaucoup plus susceptible de réveiller les fantômes de 1940 et le mot d'ordre " très bien, on y va seuls " que de les conduire à une acceptation timide de termes entièrement dictés par l'UE.
Bien sûr, les grands principes de l'UE doivent être respectés. Mais tous les accords existants avec les pays tiers impliquent des droits et obligations différenciés. De plus, il ne s'agit pas d'un pays tiers comme les autres, auquel on peut se contenter de donner le choix entre imiter le Canada ou la Norvège. Sortir doit avoir un coût ? Ce sera l'accès au marché pour les services. Avant tout, les Britanniques perdront leur place autour de la table européenne à compter du 29  mars 2019. Voilà le vrai coût du Brexit pour un pays qui y a eu tant d'influence.
L'UE est-elle prête à risquer les conséquences d'un non-accord ? Une relation trans-Manche empoisonnée. Une rupture dans l'alliance occidentale à l'heure des menaces de la Russie, de la Chine et, de plus en plus, des Etats-Unis de Trump. Une contribution -budgétaire britannique impayée. Une rupture dans les relations commerciales. Alors que l'engagement du Royaume-Uni en faveur de la défense européenne est inconditionnel, il est naïf de prétendre que cette dimension peut être isolée du reste de la relation.
Il y a un autre moyen d'avancer. Tout en respectant les compé-tences de la Commission, il appartient à la France de reprendre le leadership en Europe sur le Brexit et d'expliquer le choix stratégique que l'UE doit faire. La France redevient un pays fort et confiant qui peut se permettre d'appréhender stratégiquement ses obligations dans les affaires internationales. C'est donc à notre pays d'éviter à tout prix une rupture entre le Royaume-Uni et l'UE, dans l'intérêt de tous les Européens.
Kalypso Nicolaïdis
© Le Monde

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