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lundi 6 août 2018

Budget : la faiblesse de la croissance contrarie les plans du gouvernement



5 août 2018

Budget : la faiblesse de la croissance contrarie les plans du gouvernement

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 La hausse du PIB au premier semestre est inférieure aux prévisions sur lesquelles l'exécutif avait calculé son budget
 La baisse des recettes fiscales fragilise l'objectif fixé par le candidat Emmanuel Macron d'une réduction des déficits publics
" Notre ambition est intacte ", affirme Matignon, sans préciser quelles dépenses de l'Etat seront affectées à la rentrée
 L'opposition de gauche s'attend à l'annonce de nouvelles coupes franches dans le domaine du social
Page 6
© Le Monde
 
5 août 2018

Dépenses publiques : le gouvernement au pied du mur

La croissance de 2017 avait permis de réduire le  déficit à 2,6 %, mais le faible dynamisme de  l'économie cette année oblige l'exécutif à  accélérer la réduction des dépenses

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Le style est poétique, mais le message est clair. Il faut " réparer la toiture tant que le soleil brille ", recommande le Fonds monétaire international à la France dans une note publiée le 26  juillet : le pays doit profiter du beau temps économique pour mettre de l'ordre dans ses comptes. Quelques jours plus tard, le temps semble avoir déjà tourné.
Au micro de BFM-TV-RMC, mardi 31 juillet, le ministre de l'économie n'a pas le cœur à badiner. Le chiffre de la croissance au deuxième trimestre est " décevant ", reconnaît Bruno Le Maire. Quatre jours plus tôt, l'Insee a livré ses statistiques économiques : après une année  2017 dynamique, 2018 a débuté sur un trou d'air. Le produit intérieur brut français (PIB) n'a progressé que de 0,2 % d'avril à juin, le même taux qu'au premier trimestre. Le ministre prévient : il faudra " réviser notre perspective de croissance pour 2018 ". Le gouvernement comptait sur 2 %. Ce sera sans doute moins. Histoire de ne pas alimenter la sinistrose, Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, s'est voulu rassurant, mercredi 1er  août à l'Assemblée nationale : " Il faut attendre la fin du mois d'août, peut-être même le début du mois de septembre, pour être assurés du changement du taux de croissance (…) qui,quoi qu'il arrive, ne serait pas inférieur à 1,8  %. " De même, a-t-il ajouté, " nous ne changeons pas notre objectif de 2,3  % de déficit ".
Il est trop tôt pour savoir si ces mauvaises nouvelles ne sont qu'une averse d'été ou si -elles augurent un automne pluvieux. Mais qu'importe… Ces résultats compliquent la tâche du gouvernement, en pleine préparation du projet de loi de finances pour 2019. Bercy tablait sur une croissance de 1,9 %. Cette prévision apparaît de plus en plus irréaliste. Or, plus la croissance sera poussive, plus l'engagement qu'a pris le gouvernement de réduire la dépense publique sera difficile à tenir.
" Stratégie électorale "En  2017, en effet, c'est principalement la croissance qui avait permis à la France d'améliorer ses comptes et de faire passer son déficit sous la barre des 3 % du PIB, en l'occurrence 2,6 %. " L'effort en dépenses, a sévèrement noté la Cour des comptes en juin, aura été nul. " Pis, a pointé la juridiction financière, l'année 2017 s'est même traduite par " un dérapage des dépenses ". A ce rythme, les prévisions économiques n'augurent donc rien de bon. Et le gouvernement, comme beaucoup de ses prédécesseurs, se retrouve au pied du mur. S'il veut respecter ses engagements européens, il n'aura d'autre choix que de tailler franchement dans les dépenses publiques. Un objectif revendiqué par Emmanuel Macron. " La stratégie du gouvernement pour les années 2018-2022 est de maintenir l'effort de réduction du déficit public par le  biais d'une maîtrise de la dépense publique ", indique le " Programme de stabilité 2018-2022 " envoyé à la Commission européenne en avril. Lors de sa campagne présidentielle, M. Macronavait promis d'abaisser celle-ci de 60 milliards d'euros d'ici à 2022, ce qui correspondait à environ trois points de PIB.
Le budget de l'année prochaine, discuté à partir du mois d'octobre, sera un moment de vérité. Selon le document transmis à Bruxelles, la dépense de toutes les administrations publiques ne devrait progresser que de 0,4  % en  2019, contre 0,7  % en  2018 et 1,5  % en  2017. L'entourage du premier ministre assure que cet objectif de 0,4  % sera tenu. " Notre ambition est totalement intacte ", assure un -conseiller de Matignon.
Mais le gouvernement n'a toujours pas expliqué comment il compte s'y prendre. Et ce mystère nourrit les spéculations politiques et les critiques de l'opposition de droite. " J'espère qu'ils vont baisser les dépenses en  2019, confie Christine Lavarde, sénatrice LR des Hauts-de-Seine et membre du comité CAP22. Sinon, ils ne le feront jamais. Car, après, ils tomberont dans la stratégie électorale à l'approche de la présidentielle. Donc, c'est maintenant ou jamais. Et ils ont d'ailleurs intérêt à y aller, car beaucoup d'électeurs ont voté Macron précisément pour que cela bouge. " D'autres, à droite, n'y croient déjà plus : " Le gouvernement n'a pas voulu diminuer la dépense publique pendant que la croissance était au plus haut, a tweeté Eric Wœrth, président Les Républicains de la commission des finances de l'Assemblée nationale, le 27  juillet. Maintenant qu'elle commence à freiner, il ne va plus pouvoir se reposer sur les meilleures recettes pour réduire le déficit public. Quelle occasion manquée ! "
" Belles paroles "La gauche, au contraire, redoute les coupes franches dans le domaine du social. " Réduire les dépenses, ils veulent vraiment le faire, considère Valérie Rabault, présidente du groupe Nouvelle Gauche à l'Assemblée nationale. Mais ils le feront sur les dépenses sociales. Ce n'est pas compliqué, il suffit de belles paroles et de changer un peu les conditions d'accès à tel ou tel dispositif… " Pour la socialiste, le gouvernement compte avancer masqué. " Regardez les APL - aide personnalisé au logement - : ils les ont baissées de 5 euros en  2017. Puis ils ont décidé que les APL ne seraient pas revalorisées. Avec une inflation à 2 %, cela représente… 5  euros ! Et compte tenu des économies prévues sur le logement en  2019, on peut prévoir une nouvelle baisse de 5 euros. Soit 15  euros en trois ans, sans l'assumer. "
Comme toujours, l'équation du gouvernement est compliquée. Comment arriver à faire comprendre aux Français l'intérêt des économies alors qu'ils attendent encore les résultats économiques de l'ère Macron. Surtout qu'au niveau des annonces " positives ", le gouvernement a mangé son pain blanc. Suppression de la taxe d'habitation pour tous, suppression des cotisations chômage et maladie prélevées sur les salaires pour compenser la hausse de la CSG, réforme de la fiscalité du capital… Le temps des bonnes nouvelles est derrière lui. Or le gouvernement connaît la sensibilité des Français aux mauvaises nouvelles. L'année dernière, la baisse des APL avait enflammé l'été de l'exécutif.
Les atermoiements autour du vrai-faux rapport du Comité action publique 2022 illustrent d'ailleurs la prudence du gouvernement sur ce sujet politiquement explosif. Les travaux du groupe d'experts devaient donner le coup d'envoi de la réforme de l'Etat. De retards en changements de stratégie, leurs propositions ont finalement été discrètement mises sur le côté sans être définitivement enterrées. Et l'on ne sait toujours pas ce que le gouvernement veut vraiment en faire…
Benoît Floc'h
© Le Monde

5 août 2018

" CAP22 ", des ors de Matignon à l'enterrement sans fleurs ni couronnes

Soucieux de déminer, le gouvernement a décidé de ne pas publier le rapport sur la réforme de l'Etat produit par le Comité action publique 2022

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Quand tout commence, à l'automne 2017, le scénario est bien huilé. C'est un modèle de grand œuvre technocratique, de ceux dont la France garde jalousement le secret. Et le sujet, ce qui ne gâche rien, est une passion française : l'Etat. " CAP22 ", c'est le grand projet d'Emmanuel Macron, qui s'était engagé à baisser la dépense publique d'au moins trois points de PIB (produit intérieur brut) d'ici à la fin du quinquennat. Mais le plan de bataille, pourtant pensé dans ses moindres détails, n'a cessé d'échapper à son initiateur.
Telle est l'invraisemblable histoire du " Comité action publique 2022 ", dont le vrai-faux rapport explosif alimente la chronique depuis un an. Au début, il y a donc la volonté du plus jeune président de la Ve République de transformer l'Etat, censé rendre un service meilleur  et moins coûteux. Cette fois, la méthode sera " radicalement différente ", promet le premier ministre, Edouard Philippe. Plus de rabot, mais des réformes qui dégageront des économies. Pour la première fois, assure Matignon, l'Etat investit même dans le changement : 700 millions d'euros financeront des projets de transformation.
En octobre 2017, le gouvernement lance donc le processus en grande pompe. C'est sous les ors de l'ancienne salle à manger de l'hôtel de Matignon, aujourd'hui appelée " salle du conseil ", que la grand-messe est organisée. Le lieu est imposant : des dorures du XIXe siècle encadrent des médaillons évoquant les fables de La Fontaine ; une immense tapisserie des Gobelins illustre l'histoire de Don Quichotte. Peut-être aurait-il fallu y voir un avertissement sur la vanité des entreprises humaines…
Usine à gazSi le gouvernement voit grand, la genèse de la réforme ne brille pas par son originalité : une fois de plus, c'est une bonne vieille commission d'experts qui est appelée à la rescousse. On compose un mélange d'élus, de hauts fonctionnaires, de chefs d'entreprise… CAP22 devra, dans les six mois, dégager des pistes pour aider l'Etat à être plus efficace et moins cher. Le gouvernement mettra en scène le temps de la réflexion, avant d'annoncer ses choix. Classique.
Mais l'opération prend rapidement des airs d'usine à gaz. C'est une énorme machine qui s'ébroue. Le programme se décline à l'infini : trois objectifs, six " principes-clés ", deux " phases "… A côté du CAP22, piloté par trois vice-présidents, un " Comité jeunes " est monté : " J22 ". " Des chantiers interministériels “boîtes à outils” " sont ouverts, ainsi qu'un " forum de l'action publique ". Les ministres, eux aussi, doivent entrer dans la danse et présenter un plan ! " Le trop d'expédients peut gâter une affaire ", prévenait Jean de La Fontaine.
Les esprits les moins alertes se perdent vite dans ce tourbillon d'initiatives. Les journalistes se font expliquer et réexpliquer qui fait quoi et dans quel but. " Le gouvernement ne savait pas où il allait, constate la sénatrice LR Christine Lavarde, membre du CAP22. On leur demandait quelle forme prendrait nos travaux, mais nous n'avions pas de réponse. C'était de l'improvisation ", poursuit-elle.
A la complexité du processus s'ajoute sa lourdeur. Il y a beaucoup de monde dans CAP22, 34  personnes secondées par un délégué interministériel à la transformation publique, l'ex-conseiller élyséen Thomas Cazenave. Et chaque membre est accaparé par ses obligations professionnelles, à la stupéfaction de Per Molander, un haut-fonctionnaire suédois, qui a piloté dans les années 1990 le groupe de travail ayant conçu la réforme de l'Etat en Suède. " Nous avions créé un comité purement académique de six ou sept personnes, raconte ce membre de CAP22. Pendant trois mois, on n'a fait que ça. Nous avons écrit un rapport assez radical, deux tiers de nos propositions ont été mises en œuvre. " Le comité se met au travail, et c'est un peu laborieux. Certains membres se désintéressent des débats, d'autres s'y investissent pleinement. Des tensions apparaissent : on accuse les proches de Macron d'être obnubilés par les économies et d'avoir pris les commandes. Les rênes sont, il est vrai, tenues courtes. Les sous-groupes travaillent séparément et font remonter leurs idées aux trois vice-président, les seuls à avoir une vision d'ensemble. Tout est verrouillé, pour éviter les fuites.
Débrancher la machine infernaleParallèlement, le gouvernement lance la réforme de la fonction -publique, le 1er février. Une -concertation devra être conduite pendant une année, et l'on promet de bousculer quelques tabous, comme le recours accru aux contractuels dans la fonction publique. Ce jour-là, une formule de Gérald Darmanin claque : le ministre du budget évoque rien de moins qu'" un plan de départs volontaires " chez les fonctionnaires. Les esprits s'échauffent. Très attendu, traqué par les journalistes, le rapport de " CAP22 " devient l'objet de tous les fantasmes. Mais les retards s'accumulent. Au printemps, le gouvernement donne l'impression de chercher une porte de sortie. Fin avril, un mois après la date prévue pour la publication du rapport, c'est celui de Jean-Louis Borloo sur la banlieue qui défraie la chronique. Pour le gouvernement, qui l'enterre dans la douleur, le psychodrame autour du rapport Borloo sert de leçon : plus question de s'empêtrer dans une polémique sur la base de propositions qui ne sont pas retenues in fine.
Le sort de CAP22 est donc scellé : soucieux de déminer, le gouvernement cherche le moyen de débrancher cette machine infernale qu'il a lui-même lancée. Sans cesse repoussée, la publication du rapport est renvoyée aux calendes grecques. L'exécutif souhaite passer aux travaux pratiques : les réformes seront annoncées au fur et à mesure, une fois ficelées. Mais sans tambour ni trompette. Le 12  juillet, Edouard Philippe reçoit les membres du comité. " On s'est tous dit : On vient assister à notre enterrement !”, raconte un membre. Et, en effet, Edouard Philippe nous a dit que le rapport n'avait pas vocation à être publié… " Las, cinq jours plus tard, il se retrouve dans Le Figaro. Mais, coincé entre la Coupe du monde et l'affaire Benalla, il fait pschitt.
Le gouvernement continue d'égrener les annonces. Après l'audiovisuel public ou Bercy, les chantiers concernant l'éducation nationale ont été ouverts. A la rentrée, ce sera au tour du réseau de l'Etat à l'étranger, des sports ou de la gestion des routes. Des annonces à bas bruit, loin du charivari qu'aurait pu provoquer une publication orchestrée du rapport. " Jusqu'ici, c'est une réussite, juge Per Molander, mais nous ne savons pas encore ce que deviendra vraiment le rapport. "
En réalité, l'histoire ne fait que commencer. " Avant Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient eux aussi lancé une grande réforme de l'Etat, note un conseiller à la Cour des comptes. Au début, c'était le même enthousiasme. Lui aussi, Sarkozy avait dit qu'il n'était pas question de faire du rabot, mais qu'il fallait évaluer les politiques publiques avant d'éventuellement en supprimer certaines. Puis le gouvernement réalise que les propositions sont inaudibles. Entre-temps, sa popularité est retombée, les fuites ont réveillé les oppositions, et c'est la grande paralysie. " Le haut fonctionnaire soupire : " Je n'arrive pas à me l'expliquer, mais, en France, abandonner une politique, même inefficace, on ne sait pas faire. "
B. F.
© Le Monde

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