Comment comprendre la loi de l'Etat-nation ? Pourquoi main-tenant ? Le projet a émergé en 2011, porté par Avi Dichter, un député du parti Kadima qui a fini par rejoindre le Likoud. Il définit l'Etat d'Israël comme le " foyer national du peuple juif qui réalise son aspiration à l'autodétermination conformément à son patrimoine culturel et historique ". Ce projet, maintes fois retouché, n'est pas anodin. Il donnait priorité à la dimension juive de l'Etat au détriment de sa dimension démocratique. Il permettait notamment aux habitants de localités juives situées dans des zones mixtes, juives et arabes, comme la Galilée, de récuser des candidats à l'acquisition d'un droit de résidence s'ils n'étaient pas juifs.
Devant le tollé suscité par de telles dispositions, c'est une version édulcorée qui a été finalement votée le 19 juillet, définissant l'Etat d'Israël comme le
" foyer national du peuple juif dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, historique et religieux à l'autodétermination ", un droit qui est
" propre au peuple juif ". La loi stipule plus modes-tement que l'Etat
" agira pour encourager et promouvoir " l'établissement et la consolidation de
" communautés juives ", un objectif de
" valeur nationale ". Elle définit Jérusalem comme la capitale
" entière et unifiée " d'Israël.
Mais même amendée, cette loi constitue une régression démocratique de taille. Aucune mention n'est faite des droits de l'homme, de la protection des minorités, des principes d'égalité et de liberté d'expression, au mépris de la Déclaration d'indépendance de 1948, qui proclame sa volonté de garantir
" l'égalité et la pleine liberté d'opinion et de culte à tous ses citoyens, sans distinctions de race, de sexe et de croyance ". Cette loi rompt l'équilibre délicat qui s'était instauré autour de la définition de l'"
Etat juif et démocratique ", telle qu'elle figure dans la Loi fondamentale sur
" la liberté et la dignité de l'homme " de 1992. Et surtout, elle ne bénéficie qu'à l'ethnie dominante. Elle constitue un pied de nez aux citoyens arabes d'Israël, ainsi qu'à tous les citoyens non juifs, notamment aux Druzes qui servent loyalement dans les services de sécurité, dont l'inégalité de droits serait consacrée dans une Loi fondamentale. L'arabe ne sera plus une langue officielle, comme elle l'était jusqu'ici, se voyant conférer un vague "
statut spécial ", ce qui ne veut rien dire.
Un projet plus largeMais pourquoi cette loi et pourquoi en 2011 ? Elle s'inscrit dans un projet plus large visant à "
judaïser " la société israélienne, à ancrer le droit des juifs sur l'ensemble des territoires de Judée et de Samarie, à remettre enfin en cause les avancées démocratiques des dernières décennies comme le renforcement des droits de la minorité arabe, le développement d'une société civile vigoureuse et la
" révolution constitutionnelle " de 1995, qui avait vu la Cour suprême s'investir du droit de contrôler la constitutionnalité des lois votées par la Knesset.
Des avancées qui ne furent pas acceptées de gaieté de cœur par les partis de droite. A la faveur du contexte sécuritaire traumatisant des années 2000, les Israéliens portaient au pouvoir, en février 2009, une coalition de partis de droite et d'extrême droite. Les nationalistes religieux sont devenus depuis le groupe sociopolitique le plus dynamique, d'un activisme messianique débordant, s'appuyant sur les éléments les plus à droite du Likoud. Ces partis en profitèrent pour promouvoir leurs -projets politiques nationalistes. Un climat d'intolérance s'est développé à l'égard des Arabes, des immigrés, des ONG, des journalistes critiques.
Une législation antidémocratique d'une importance inédite est mise en place dès 2009. Quelques exemples : loi sur la transparence des financements des ONG, rappelant la Hongrie de Viktor Orban ; loi de la Nakba, qui impose de lourdes pénalités financières aux institutions qui commémorent la Nakba (en arabe, la " catastrophe "), terme utilisé par les Palestiniens pour décrire leur expulsion, ou leur départ, à la suite de la guerre de 1948 ; loi antiboycott, qui -punit tout citoyen israélien qui appellerait à boycotter notamment les colonies dans les territoires occupés ; loi limitant l'accès des ONG de gauche à des écoles, loi destinée de fait à bâillonner des associations comme Breaking the Silence ; loi de
" suspension " des députés, dirigée contre les députés arabes ; loi de la
" régulation ", un euphémisme destiné à dissimuler une expropriation de terres privées palestiniennes ; clause visant à déposséder la Cour suprême de son droit de contrôler la constitutionnalité des lois ordinaires, et enfin loi de l'Etat-nation. Tous les projets de réforme n'aboutissent pas nécessairement, mais ce qui frappe est leur degré élevé de cohérence et la détermination de leurs instigateurs, en l'absence d'une opposition parlementaire digne de ce nom. Benyamin Nétanyahou, qui avait réclamé dès 2009 qu'Israël soit reconnu par les Palestiniens comme "
l'Etat-nation du peuple juif ", a voulu doter son pays d'une fiche d'identité marquant clairement une hiérarchie des droits sur Eretz-Israël.
La loi de l'Etat-nation n'est ni un accident de parcours ni une mesure isolée. Elle est un maillon dans un continuum, dans cette chaîne de lois fort peu démocratiques. Elle marque l'aboutissement d'un processus qui a conduit les élites nationalistes et religieuses, sûres de leurs bons droits sur cette terre qui s'étend de la mer au Jourdain, à prendre leur revanche sur les "
vieilles élites " laïques, qui avaient créé et gouverné Israël cinq décennies durant. "
La loi de l'Etat-nation est devenue utile parce que la Cour suprême, dans une série de ses arrêtés, les a vidés de leur dimension juive ", a tout récemment affirmé le chef du Foyer juif, Naftali Benett, marquant clairement le caractère revanchard de la loi. C'est bien d'une lame de fond qu'il s'agit et non d'un simple épisode.
Samy Cohen
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