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lundi 18 juin 2018

Macron apprivoise le Tigre


17 juin 2018

Macron apprivoise le Tigre

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Il est des figures historiques plus faciles à investir que d'autres. C'est peut-être la -réflexion que s'est faite Emmanuel -Macron, lorsqu'il a décrété que 2018 -serait " l'année Clemenceau ". En cette dernière année du cycle du centenaire de la Grande Guerre, marcher dans les pas de -Georges Clemenceau relevait de l'évidence : rarement un homme politique français aura -incarné la fermeté, la constance et la détermination aussi fortement que lui en  1918. Alors que l'armée allemande lance cinq offensives majeures menaçant Paris, le président du Conseil poursuit la guerre coûte que coûte, consacrant un tiers de son temps à rendre visite aux poilus dans les tranchées, leur remontant le moral, ce qui lui vaudra le surnom de " Père la victoire ".
Depuis sa visite au Musée Clemenceau de -Paris, le 11  novembre 2017, M.  Macron a multiplié les hommages au Tigre. En février, il a signé une ode à Clemenceau, dans l'hebdomadaire Le 1, -intitulée " Un héros français ". Le 13  juin, après avoir inauguré le Musée national Clemenceau, dans la maison natale du Tigre, à Mouilleron-Saint-Germain (Vendée), le président de la -République s'est recueilli sur sa tombe, à -Mouchamps, à vingt kilomètres de là.
Pourtant, le président s'est longtemps tenu à distance du Tigre. En  2016, il rendait hommage, dans son livre Révolution (XO Editions), à ceux qui ont marqué l'histoire de France, de Clovis à Jeanne d'Arc, de Danton à Gambetta, des -tirailleurs sénégalais aux résistants. En revanche, pas un mot pour Clemenceau. Son père, Jean-Michel Macron, confiait alors à la journaliste du Figaro Anne Fulda, auteure d'Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait (Plon 2017) : " On parlait de Révolution française, de Napoléon, de la seconde guerre mondiale, de De Gaulle et, comment vous dire… Emmanuel n'était pas admiratif de Clemenceau. "
C'était oublier que le Tigre est une figure -incontournable du panthéon républicain. -Depuis sa mort, en  1929, les grands commis de l'Etat n'ont cessé de saluer son action. A Londres, le général de Gaulle lui rendait ainsi hommage, le 11  novembre 1941 : " Au fond de votre tombe vendéenne, aujourd'hui 11  novembre, Clemenceau, vous ne dormez pas ! " Le 11  novembre 1978, c'était Valéry Giscard d'Estaing qui faisait l'élogedu " médecin des pauvres ", du " parlementaire véhément, parfois excessif, mais qui ne transigeait pas " et du " journaliste qui accueillait dans les colonnes de son journal, L'Aurore, le cri de Zola défendant Dreyfus ".
" Les présidents, de François Mitterrand à François Hollande, ont tous salué sa mémoiremais Emmanuel Macron a passé un cap, estime l'historien Patrick Garcia.Chez Clemenceau, qui était un radical, il y a cette dimension du“briseur de grèves” que Macron peut assumer, ce que pouvait difficilement faire un président socialiste. "
Pour le président, la célébration du " Père la victoire " permet surtout de produire les raisons d'une fierté française, une dimension essentielle de sa politique mémorielle. Il s'agit là de rééquilibrer sa politique de reconnaissance des heures sombres de la France (colonisation, collaboration, antisémitisme d'Etat de Vichy).
Honorer Clemenceau le chef de guerre permet également d'endosser le costume de chef des -armées. C'est ainsi que, le 8  décembre 2017, sur la base Al-Udeid, au Qatar, M.  Macron déclarait -devant les militaires français, à propos de la lutte contre l'organisation Etat islamique en -Syrie : " Il nous faudra gagner cette guerre jusqu'au dernier quart d'heure, comme le disait -Clemenceau pour d'autres guerres, qui furent les nôtres il y a maintenant un siècle. "
Faire passer des messagesDans Le  1, le chef de l'Etat soulignait entre les -lignes l'analogie entre son action et celle du -Tigre " Dur avec les hauts gradés, Clemenceau fut clément et bienveillant avec les soldats. " Une allusion à peine voilée à l'éviction du général Pierre de Villiers, en juillet  2017. Ainsi, -M. Macron, en s'identifiant à un modèle régalien fort, fait passer le message d'une présidence d'autorité. " Macron veut incarner la détermination, précise Patrick Garcia. C'est ce qu'il recherche à travers la figure de Clemenceau, exemple du chef qui a toujours avancé, guidé par l'intérêt -national, défendant les valeurs de la Révolution française tout en s'opposant au mouvement -social quand il a fallu. "
Certains historiens s'inquiètent de cette focalisation sur la figure du " Père la victoire " à -l'approche du centenaire de l'armistice du -11-Novembre, qui clôturera un cycle commémoratif placé sous le signe de la célébration de la paix, de l'Europe et de l'amitié franco-allemande. " Il faudrait interroger cette apologie sans nuance de Clemenceau au temps d'un centenaire qui se veut ouvert et international ", -observe l'historien Nicolas Offenstadt, sur -Twitter. " L'héritage de Clemenceau, c'est celui d'une République idéaliste et généreuse, nourrie d'une histoire complexe et contrastée, mais articulée sur des valeurs intangibles. C'est cet héritage qu'il faut rappeler aujourd'hui ", insiste, pour sa part, Jean Garrigues, dans Libération.
Dès novembre  2017, l'Elysée avait prévenu que l'idée ne serait pas de détailler les facettes d'une " figure complexe " et d'" entrer dans le scandale de Panama ", cette affaire de corruption qui éclaboussa Clemenceau en  1893, mais de retrouver " une parole unique sur la France ". " L'année Clemenceau, ce n'est pas l'Elysée qui la fabriquera. Le grand ordonnateur sera la Mission du centenaire ", avait précisé Sylvain Fort, le -conseiller mémoire du président. Un site dédié a été mis en ligne (clemenceau2018.fr), une -exposition est prévue au Panthéon, en novembre, et un grand colloque sur " Clemenceau et la paix " sera organisé en  2019. Ainsi, c'est à l'hommage, mais aussi à la réflexion, que devrait inviter l'" année Clemenceau ".
Antoine Flandrin
© Le Monde

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