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samedi 30 juin 2018

Bataille sur les nanoparticules de dioxyde de titane


28 juin 2018

Bataille sur les nanoparticules de dioxyde de titane

L'Europe doit se prononcer sur la classification de cette substance comme cancérogène possible par inhalation

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La France suivra-t-elle les avis de ses propres experts ? Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a rendu, lundi 25  juin, une série de recommandations destinées à " protéger les travailleurs et les personnes au voisinage de sites de production ou de manipulation de nanoparticules de dioxyde de titane - TiO2 - ". Le rapport du HCSP s'inscrit dans la continuité de plusieurs expertises officielles suggérant le caractère cancérogène du TiO2 – notamment celle de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) ou encore celle, dès 2006, du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Mais cette fois, le rapport du HCSP survient au milieu d'un bras de fer réglementaire sur la classification de cette substance comme cancérogène possible (catégorie 2), par inhalation, au niveau européen.
Une telle mesure entraînerait, en Europe, des restrictions importantes et des obligations d'étiquetage pour de nombreux produits contenant du TiO2 (peintures, matériaux de construction, cosmétiques, médicaments, aliments transformés, etc.). Les enjeux économiques et industriels sont considérables. Les Etats membres de l'Union doivent arrêter leur position d'ici au 13  juillet et dire à la Commission européenne s'ils sont favorables, ou non, à la classification du produit. Bruxelles espère pouvoir mettre au vote la décision à la rentrée.
La position de Paris pourrait être déterminante. En France, le dossier oppose d'une part le ministère de la transition écologique et solidaire et, d'autre part, les ministères de l'économie et du travail. Selon nos informations, le ministère de Nicolas Hulot appuie une classification du produit sous toutes ses formes, de liquide et de poudre, tandis que Bercy et la rue de Grenelle sont plus attentifs à l'impact industriel et économique d'une mesure de classification.
Les administrations concernées n'étaient pas en mesure, le 26  juin, de répondre aux questions du Monde, mais, selon une source bruxelloise, " la France est aujourd'hui dans une position d'attente, pour voir ce que sera celle des autres Etats membres ".Une réunion interministérielle devait se tenir à Paris, mercredi 27  juin, pour accorder les violons.
Trois pays font activement valoir la nécessité de classer le TiO2 sous toutes ses formes : les Pays-Bas, la Belgique et le Portugal. " Au terme de la dernière réunion entre les Etats membres et la Commission, mi-juin, les Pays-Bas ont manifesté leur surprise et leur frustration devant la position très en -retrait de la France, raconte David Azoulay, juriste et directeur du programme santé-environnement du Centre de droit international de l'environnement (CIEL). D'autant que ce sont les experts français qui ont, l'an dernier, défendu une classification cancérogène de cette substance. "
" Lobbying " des industrielsEn effet, ce sont les scientifiques de l'Anses qui ont plaidé en  2017, devant le Comité d'évaluation des risques (RAC) de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA), pour classer le TiO2 comme cancérogène par inhalation. La proposition des experts français était alors de classer la substance à un échelon de danger supérieur à celui qui est aujourd'hui envisagé : ces derniers ont proposé une classification comme cancérogène " probable " (catégorie 1B), mais ils n'ont pas été suivis par le comité d'experts européens. Celui-ci n'a recommandé qu'une classification du produit en catégorie 2, mais sous toutes ses formes.
Pour l'heure, la position de la Commission, notamment soutenue par le Royaume-Uni et la Slovénie, est en deçà des recommandations du RAC : Bruxelles propose bien une classification du TiO2 en catégorie 2 par inhalation, mais seulement sous forme de poudre. Les formes liquides ne seraient pas concernées. " Exonérer les formes liquides au motif qu'on ne les inhale pas, c'est oublier que de nombreux produits sont utilisés sous forme de spray, par exemple des peintures ou des lotions cosmétiques, explique Mathilde Detcheverry, chargée de mission à l'Association de veille et d'information civique sur les enjeux des nanosciences et des nanotechnologies. Sans négliger le fait que les produits -relarguent des parti-cules de TiO2 sous l'effet de l'usure, de l'abrasion ou du ponçage notamment. Il faut considérer l'ensemble du cycle de vie des matériaux. "
Pour la biologiste cellulaire Francelyne Marano (université Paris-Diderot), coauteure du rapport du HCSP, " discriminer la forme poudre de la forme liquide n'a, d'un point de vue scientifique, pas de sens car même initialement dans un liquide, des nanoparticules de TiO2 peuvent se retrouver dans l'atmosphère sous forme d'aérosol, être inhalée et agir de manière identique sur l'organisme ".
En outre, d'autres voies d'expo-sition que l'inhalation sont suspectées de représenter un risque. La voie alimentaire, par exemple. Or un colorant très utilisé dans l'alimentation transformée et la confiserie, le E171, est largement composé de nanoparticules de TiO2. Le HCSP ne fait pas mystère de ses inquiétudes. Selon ses experts, ces particules plusieurs dizaines de milliers de fois plus fines qu'un cheveu peuvent franchir les barrières biologiques comme l'intestin, le placenta, ou encore la barrière hémato-encéphalique (qui protège le cerveau).
" Les études d'accumulation après franchissement de ces barrières, chez l'animal de laboratoire, montrent que certains organes comme le foie, la rate, le rein, le cerveau et les organes reproducteurs sont des cibles avec une accumulation qui persiste dans le temps (…), lit-on dans le rapport du HCSP. Chez le rat, une exposition par voie orale à l'additif alimentaire E171, qui contient de l'ordre de 20  % à 30  % de nanoparti-cules de TiO2, montre une réponse inflammatoire de la muqueuse -intestinale pouvant conduire à la formation de lésions précancéreuses avec un effet promoteur. " Le 18 mai, Brune Poirson, secrétaire d'Etat auprès de M. Hulot, à l'issue d'une visite dans une confiserie du Nord avec Gérald Darmanin, ministre des comptes publics, avait annoncé la volonté du gouvernement d'interdire d'ici la fin de l'année les -nanoparticules de dioxyde de titane dans l'alimentation.
L'industrie agroalimentaire n'est pas seule concernée : le secteur pharmaceutique est en première ligne. Selon une récente enquête de l'UFC-que choisir, plusieurs milliers de médicaments vendus en France contiennent du E171. " Tous les représentants des Etats membres impliqués dans ce dossier s'accordent pour dire que les efforts de lobbying déployés par les industriels sont inédits, ajoute David Azoulay. C'est du jamais-vu. " Selon nos informations, le fonctionnaire chargé du dossier au ministère fédéral belge de l'environnement a accepté de recevoir les industriels pour échanger sur le sujet : pas moins de vingt-quatre personnes ont débarqué dans son bureau.
De son côté, l'Association des producteurs de dioxyde de titane (TDMA) assure que son produit est " sans danger " et qu'il a été " évalué par un grand nombre d'autorités de régulation, qui ont systématiquement conclu à son innocuité pour toutes les applications désignées ". Dans une lettre adressée mi-mai aux régulateurs de plusieurs pays européens, l'association assure en outre avoir lancé un programme d'études scientifiques de son produit, pour 14  millions d'euros, qui " construiront les bases scientifiques de la discussion ".
Stéphane Foucart
© Le Monde

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