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samedi 30 juin 2018

Le supplice sans fin des migrants en Libye......Les accords de Dublin sur les réfugiés, une aberration européenne.......


29 juin 2018

Le supplice sans fin des migrants en Libye

L'UE coopère avec Tripoli pour réduire les flux migratoires, malgré les conditions dans les centres de détention

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Ils sont arrivés en fin d'après-midi, blessés, épuisés, à bout. Ce 23  mai, près de 117  Soudanais, Ethiopiens et Erythréens se sont présentés devant la mosquée de Beni Oualid, une localité située à 120  km au sud-ouest de Misrata, la métropole portuaire de la Tripolitaine (Libye occidentale). Ils y passeront la nuit, protégés par des clercs religieux et des résidents. Ces nouveaux venus sont en fait des fugitifs. Ils se sont échappés d'une " prison sauvage ", l'un de ces centres carcéraux illégaux qui ont proliféré autour de Beni Oualid depuis que s'est intensifié, ces dernières années, le flux de migrants et de réfugiés débarquant du Sahara vers le littoral libyen dans l'espoir de traverser la Méditerranée.
Ces migrants d'Afrique subsaharienne – mineurs pour beaucoup – portent dans leur chair les traces de violences extrêmes subies aux mains de leurs geôliers : corps blessés par balles, brûlés ou lacérés de coups. Selon leurs témoignages, quinze de leurs camarades d'évasion ont péri durant leur fuite.
Cris de douleurA Beni Oualid, un refuge héberge nombre de ces migrants en détresse. Des blocs de ciment nu cernés d'une terre ocre : l'abri, géré par une ONG locale – Assalam – avec l'assistance médicale de Médecins sans frontières (MSF), est un havre rustique mais dont la réputation grandit. Des migrants y échouent régulièrement dans un piètre état." Beaucoup souffrent de fractures aux membres inférieurs, de fractures ouvertes infectées, de coups sur le dos laissant la chair à vif, d'électrocution sur les parties génitales ", rapporte Christophe Biteau, le chef de la mission MSF pour la -Libye, rencontré à Tunis.
Leurs tortionnaires les ont kidnappés sur les routes migratoires. Les migrants et réfugiés seront détenus et suppliciés aussi longtemps qu'ils n'auront pas payé une rançon, à travers les familles restées au pays ou des amis ayant déjà atteint Tripoli. Technique usuelle pour forcer les résistances, les détenus torturés sont sommés d'appeler leurs familles afin que celles-ci puissent entendre en " direct " les cris de douleur au téléphone.
Les Erythréens, Somaliens et Soudanais sont particulièrement exposés à ce racket violent car, liés à une diaspora importante en Europe, ils sont censés être plus aisément solvables que les autres. Dans la région de Beni Oualid, toute cette violence subie, ajoutée à une errance dans des zones désertiques, emporte bien des vies. D'août  2017 à mars  2018, 732  migrants ont trouvé la mort autour de Beni Oualid, selon Assalam.
En Libye, ces prisons " sauvages " qui parsèment les routes migratoires vers le littoral, illustration de l'osmose croissante entre réseaux historiques de passeurs et gangs criminels, cohabitent avec un système de détention " officiel ". Les deux systèmes peuvent parfois se croiser, en raison de l'omnipotence des milices sur le terrain, mais ils sont en général distincts. Affiliés à une administration – le département de lutte contre la migration illégale (DCIM, selon l'acronyme anglais) –, les centres de détention" officiels " sont au nombre d'une vingtaine en Tripolitaine, d'où embarque l'essentiel des migrants vers l'Italie. Si bien des abus s'exercent dans ces structures du DCIM, dénoncés par les organisations des droits de l'homme, il semble que la violence la plus systématique et la plus extrême soit surtout le fait des " prisons sauvages " tenues par des organisations criminelles.
Depuis que la polémique s'est envenimée en  2017 sur les conditions de détention des migrants, notamment avec le reportage de CNN sur les " marchés aux esclaves ", le gouvernement de Tripoli a apparemment cherché à rationaliser ses dispositifs carcéraux. " Les directions des centres font des efforts, admet Christophe Biteau, de MSF-Libye. Le dialogue entre elles et nous s'est amélioré. Nous avons désormais un meilleur accès aux cellules. Mais le problème est que ces structures sont au départ inadaptées. Il s'agit le plus souvent de simples hangars ou de bâtiments vétustes sans isolation. "
Les responsables de ces centres se plaignent rituellement du manque de moyens qui, selon eux, explique la précarité des conditions de vie des détenus, notamment sanitaires. En privé, certains fustigent la corruption des administrations centrales de Tripoli, qui perçoivent l'argent des Européens sans le redistribuer réellement aux structures de terrain.
Cruel paradoxeEn l'absence d'une refonte radicale de ces circuits de financement, la relative amélioration des conditions de détention observée récemment par des ONG comme MSF pourrait être menacée. " Le principal risque, c'est la congestion qui résulte de la plus grande efficacité des gardes-côtes libyens ", met en garde M. Biteau. En effet, les unités de la marine libyenne, de plus en plus aidées et équipées par Bruxelles ou Rome, ont multiplié les interceptions de bateaux de migrants au large du littoral de la Tripolitaine.
Du 1er  janvier au 20  juin, elles avaient ainsi reconduit sur la terre ferme près de 9 100 migrants. Du coup, les centres de détention se remplissent à nouveau. Le nombre de prisonniers dans ces centres officiels – rattachés au DCIM – a grimpé en quelques semaines de 5 000  à 7 000, voire à 8 000. Et cela a un impact sanitaire. " Le retour de ces migrants arrêtés en mer se traduit par un regain des affections cutanées en prison ", souligne Christophe Biteau.
Simultanément, l'Organisation mondiale des migrations (OIM) intensifie son programme dit de " retours volontaires " dans leurs pays d'origine pour la catégorie des migrants économiques, qu'ils soient détenus ou non. Du 1er  janvier au 20  juin, 8 571 d'entre eux – surtout des Nigérians, Maliens, Gambiens et Guinéens – sont ainsi rentrés chez eux. L'objectif que s'est fixé l'OIM est le chiffre de 30 000 sur l'ensemble de 2018. Résultat : les personnes éligibles au statut de réfugié et ne souhaitant donc pas rentrer dans leurs pays d'origine – beaucoup sont des ressortissants de la Corne de l'Afrique – se trouvent piégées en Libye avec le verrouillage croissant de la frontière maritime.
Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies en a bien envoyé certains au Niger – autour de 900 – pour que leur demande d'asile en Europe y soit traitée. Cette voie de sortie demeure toutefois limitée, car les pays européens tardent à les accepter. " Les réfugiés de la Corne de l'Afrique sont ceux dont la durée de détention en Libye s'allonge ", pointe M.  Biteau. Cruel paradoxe pour une catégorie dont la demande d'asile est en général fondée. Une absence d'amélioration significative de leurs conditions de détention représenterait pour eux une sorte de double peine.
Frédéric Bobin
© Le Monde



29 juin 2018

Les accords de Dublin sur les réfugiés, une aberration européenne

Les gouvernements de l'UE, soucieux de protéger leurs frontières, prônent une refonte des règles d'asile, mais s'opposent sur ses modalités

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Ils sont soudanais ou afghans, sont arrivés en Europe à l'été 2016, mais n'ont toujours pas le statut de réfugiés. Ceux qu'on appelle les " dublinés " (du nom des accords de Dublin) peuvent attendre jusqu'à dix-huit mois que l'Etat où ils ont posé leur sac se penche enfin sur leur dossier. Avant, c'est le pays par lequel ils sont entrés en Europe qui est chargé de leur demande d'asile. En  2017, forte de ce règlement, la France a renvoyé 982 " dublinés " vers l'Italie et 869 vers l'Allemagne. Un faible pourcentage des 41 420 " dublinés " de France, en dépit de la volonté affichée du ministre de l'intérieur, Gérard Collomb.
La maîtrise de ces " mouvements secondaires " qui quadrillent l'Europe en tous sens est au menu du Conseil européen du 28 et du vendredi 29  juin à Bruxelles, et la France n'est pas la dernière à réclamer une nouvelle révision du règlement de Dublin. Elle qui n'avait pas connu de crise migratoire depuis 2015 a vu ses demandes d'asile passer le cap des 100 000 en  2017 alors qu'elles ont largement diminué en Allemagne ou en Italie. Mais la réforme de la convention, qui en est à sa troisième version, a été reportée sine die à Bruxelles.
Paris craint d'être la destination des déçus d'Allemagne ou de Suède. En effet, aux Africains, dont les empreintes ont été enregistrées contre leur gré en traversant l'Italie, sont venus s'ajouter les Afghans déboutés de l'asile en Allemagne, conscients que la France protège mieux leur nationalité.
FiascoSignée le 15  juin 1990 par onze Etats rejoints par le Danemark, la convention de Dublin se veut un premier pas vers une harmonisation de la politique d'asile des Etats membres. Le texte a vocation à garantir que toute demande d'asile présentée soit examinée, et à fixer des règles de désignation de l'Etat responsable du dossier. Il veut aussi responsabiliser les pays aux frontières extérieures de Schengen en les obligeant à prendre en charge ceux qu'ils laissent entrer.
La situation actuelle pointe du doigt un fiasco. L'Italie, premier pays d'arrivée en Europe, se sent abandonnée à sa géographie, les pays limitant les relocalisations chez eux à un tiers des promesses faites en  2015 (35  % des 160 000). Les fonctionnaires nationaux qui tentent de faire appliquer le texte voient revenir les migrants renvoyés ; quant aux demandeurs d'asile, ils souffrent en silence d'être ainsi ballottés d'un pays à un autre, jugés partout indésirables.
Aujourd'hui, le règlement de Dublin III autorise à repartir de zéro après dix-huit mois d'attente et à demander l'asile dans n'importe quel pays. La version IV du texte, en négociation depuis deux ans à Bruxelles, voudrait allonger largement ce délai de carence et durcir les sanctions pour tout demandeur qui quitterait son pays d'affectation. Mais les Etats peinent à se mettre d'accord sur le degré de cœrcition à appliquer. Certains pressentent bien que Dublin révèle un problème qui est ailleurs. Peut-être bien dans le rapport du réfugié au territoire.
Pour lui, l'Europe reste un monde virtuel. Un citoyen français, allemand ou espagnol a le droit de circuler, de séjourner, d'étudier et de travailler sur le territoire de n'importe quel pays membre. Le réfugié est cantonné aux frontières de son pays d'accueil. Son titre de séjour l'autorise à circuler dans l'UE, certes, mais pas à y séjourner, ni à travailler. C'est vrai pour les réfugiés comme pour les 21  millions d'étrangers qui vivent en Europe parmi les 510  millions d'Européens. Cette approche, qui laisse chaque Etat responsable de sa politique migratoire et de ses réfugiés, autorise aussi chaque office national de l'asile à avoir sa doctrine. Ce qui crée une suspicion sur les réfugiés des pays voisins et oblige à inventer des mécanismes d'assignation.
Réunis le 20  juin à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, une eurodéputée italienne du Mouvement 5 étoiles et un ancien député européen écologiste plaidaient à l'unisson pour que la crise actuelle soit l'occasion d'avancer vers une Europe des réfugiés, plutôt que de bricoler une énième version d'un accord qui ne fonctionnera pas mieux que le précédent. " Peut-être suis-je utopiste, a lancé l'Italienne Laura Ferrara, mais je rêve d'un système de confiance, de reconnaissance mutuelle entre Etats. "
" Vers un espace de protection "Le débat n'est pas nouveau. Déjà, les conclusions du Conseil européen de Tampere (Finlande) d'octobre  1999 plaidaient pour bâtir une Europe de l'asile intégrée. " A terme, les règles communautaires devraient déboucher sur une procédure d'asile commune et un statut uniforme, valable dans toute l'Union, pour les personnes qui se voient accorder l'asile ", insistaient les conclusions de cette rencontre.
L'esprit d'alors s'est un peu perdu, certes, mais, en spécialiste de l'Europe, chercheur à l'université de Nantes, Yves Pascouau croit encore à ce possible. " Pour en arriver là, il faut sans doute y aller étape par étape. D'abord en créant un régime d'asile commun à quelques pays d'une même zone. " Cela créérait un statut de réfugié " de la zone ouest de l'Europe, ou de la zone nord, avec possibilité de franchir les frontières au sein de chacune de ces zones. Puis, il faudra tendre vers un espace européen de protection ", insiste celui qui dirige le site EuropeanMigrationLaw et estime que " tant qu'il n'y a pas de réfugiés européens, l'Europe se déchirera sur ce sujet ".
La solution passe évidemment par une agence européenne qui étudierait le dossier de chaque demandeur d'asile et procéderait à une répartition. La coopération franco-espagnole à Valence (après le débarquement des migrants de l'Aquarius) et de huit pays à Malte (qui se sont engagés à recevoir ceux du Lifeline) montre peut-être une voie.
Maryline Baumard
© Le Monde

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