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samedi 30 juin 2018

Les Crises.fr - Au cœur de l’hystérie russe, quels sont les faits ? Par Jack F. Matlock Jr

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29.juin.2018 // Les Crises



Au cœur de l’hystérie russe, quels sont les faits ? Par Jack F. Matlock Jr


Source : The Nation, Jack F. Matlock Jr., 01-06-2018
Le procureur spécial Robert Mueller quitte le Capitole après une réunion avec la Commission Judiciaire du Sénat à Washington le 21 juin 2017 (AP Photo / J. Scott Applewhite)
« Les dieux commencent par rendre fous ceux qu’ils veulent détruire »
Ce dicton – souvent attribué par erreur à Euripide – me vient la plupart du temps à l’esprit le matin quand je prends le New York Times et que je lis les derniers titres concernant le « Russiagate », qui sont souvent présentés sur deux ou trois colonnes en haut de la première page. C’est un rappel quasi quotidien de l’hystérie qui domine notre Congrès et une grande partie de nos médias.
Une illustration éclatante, parmi tant d’autres des derniers mois, est arrivé à ma porte le 17 février. Mon indignation a atteint son paroxysme lorsque j’ai découvert l’éditorial principaldu Times : « Arrêtez de laisser les Russes s’en tirer comme ça, M. Trump. » J’ai dû me demander si les rédacteurs en chef du Times ont opéré la moindre vérification préalable avant de monter sur leurs grands chevaux dans ce long éditorial, qui critiquait « la Russie » (et non les Russes) pour son « ingérence » dans les élections et exigeait des sanctions accrues contre la Russie « pour protéger la démocratie américaine » ?
Je n’avais jamais réalisé à quel point notre système politique, certes dysfonctionnel, était si faible, sous-développé ou malade que de pauvres trolls du net pouvaient lui porter atteinte. Si c’est le cas, nous ferions mieux de regarder aussi beaucoup d’autres pays, pas seulement la Russie !
Le New York Times n’est, bien sûr, pas le seul à blâmer. Son attitude éditoriale a été reproduite ou exagérée par la plupart des autres médias aux États-Unis, numériques ou papier. À moins qu’une fusillade de masse soit en train de se produire, il peut être difficile de trouver un autre sujet de discussion sur CNN. De plus en plus, aussi bien au Congrès que dans nos médias, on accepte comme un fait acquis que « la Russie » est intervenue dans les élections de 2016.
Alors quels sont précisément les faits ?
  • Il est établi que quelques Russes ont payé des gens comme trolls sur internet et qu’ils ont acheté des publicités sur Facebook pendant et après la campagne présidentielle de 2016. La plupart d’entre elles ont été prises ailleurs, et elles ne représentaient qu’une infime partie de toutes les publicités achetées sur Facebook durant cette période. Cela s’est poursuivi après l’élection et comprenait l’organisation d’une manifestation contre le président élu Trump.
  • Il est établi que des courriels provenant de la mémoire de l’ordinateur du Comité national démocrate ont été transmis à Wikileaks. Les agences de renseignement américaines qui ont publié le rapport de janvier 2017 étaient convaincues que les Russes avaient piraté les courriels et les avaient fournis à Wikileaks, mais elles n’ont fourni aucune preuve à l’appui de leurs affirmations. Même si l’on admet que les Russes sont responsables, ces courriels étaient authentiques, comme l’atteste le rapport des services de renseignements américains. J’ai toujours pensé que la vérité était censée nous rendre libres, et non pas dégrader notre démocratie.
  • Il est vrai que le gouvernement russe a mis en place un service de télévision sophistiqué (RT) qui diffuse des divertissements, des informations, et – en effet – de la propagande à destination des audiences étrangères, y compris celle des États-Unis. Son audience est incomparablement plus réduite que celle de Fox News. Fondamentalement, sa mission est de présenter la Russie sous un jour plus favorable que dans les médias occidentaux. Il n’y a pas eu d’analyse de ses éventuels effets sur le vote aux États-Unis. Le rapport des services de renseignement américains de janvier 2017 déclare d’emblée : « Nous n’avons pas évalué l’impact des activités russes sur le résultat des élections de 2016 ». Néanmoins, ce rapport a été cité à maintes reprises par des hommes politiques et les médias comme l’ayant eu.
  • Il est vrai aussi que de nombreux responsables russes (mais pas tous, et de loin) ont exprimé une préférence pour la candidature de Trump. Après tout, la secrétaire d’État Hillary Clinton avait comparé le président Poutine à Hitler et avait demandé que l’armée américaine intervienne plus activement à l’étranger, alors que Trump avait dit qu’il serait préférable de coopérer avec la Russie plutôt que de la traiter comme une ennemie. Le jugement d’analystes professionnels ne devrait pas être nécessaire pour comprendre pourquoi de nombreux Russes trouvaient les déclarations de Trump plus cordiales que celles de Clinton. Sur le plan personnel, la plupart de mes amis et contacts russes avaient des doutes sur Trump, mais tous trouvaient désagréable le ton russophobe de Clinton, ainsi que plusieurs déclarations faites par Obama à partir de 2014. Ils ont considéré le commentaire public d’Obama selon lequel « la Russie ne produit rien » comme une insulte gratuite (ce qui était le cas), et se sont inquiété du désir exprimé par Clinton d’apporter un soutien militaire accru aux « modérés » en Syrie. Mais le Russe moyen, et sans doute n’importe quel fonctionnaire de l’administration Poutine, avaient compris que les commentaires de Trump étaient favorables à l’amélioration des relations, ce qu’ils préféraient incontestablement.
  • Il n’y a aucune preuve que les dirigeants russes pensaient que Trump l’emporterait ou qu’ils pourraient avoir une influence directe sur le résultat. Il s’agit d’une allégation qui n’a pas été corroborée. Le rapport de janvier 2017 de la communauté du renseignement indique qu’en fait les dirigeants russes, comme la plupart des autres, pensaient que Clinton serait élue.
  • Il n’y a aucune preuve que les activités russes aient pu avoir un impact tangible sur le résultat de l’élection. Personne ne semble avoir fait une étude, même superficielle, de l’effet des actions russes sur le vote. En revanche, le rapport de la communauté du renseignement indique explicitement que « les types de systèmes que nous avons vus ciblés ou compromis par des acteurs russes ne sont pas impliqués dans le décompte des voix ». De plus, l’ancien directeur du FBI James Comey et le directeur de la NSA Mike Rogers ont témoigné qu’il n’y a aucune preuve que les activités russes ont eu un effet sur le décompte des voix.
  • Rien ne prouve non plus qu’il y ait eu une coordination directe entre la campagne Trump (à peine un effort bien organisé) et les responsables russes. Jusqu’à présent, les accusations du procureur spécial portent sur le fait d’avoir menti au FBI ou concernent des infractions non liées à la campagne, comme le blanchiment d’argent ou le fait de ne pas s’être enregistré en tant qu’agent étranger.
Quel est donc le fait le plus important en rapport avec le résultat des élections américaines ?
Le fait le plus important, masqué dans l’hystérie du Russiagate, est que les Américains ont élu Trump selon les termes établis dans la Constitution. Les Américains ont créé le collège électoral, qui permet à un candidat ayant une minorité de votes populaires de devenir président. Les Américains sont ceux qui ont manipulé les circonscriptions électorales pour les truquer en faveur d’un parti politique donné. La Cour suprême a rendu la décision tristement célèbre, dite Citizens United, qui permet aux entreprises de financer les candidats à des postes politiques. (Hé oui, l’argent parle et exerce sa liberté d’expression ; les entreprises sont le peuple !) Les Américains ont créé un Sénat qui est tout sauf démocratique, puisqu’il donne une représentation disproportionnée à des États dont la population est relativement réduite. Ce sont les sénateurs américains qui ont établi des procédures non démocratiques qui permettent à des minorités, même parfois à de simples sénateurs, de bloquer la législation ou la confirmation des nominations.
Cela ne veut pas dire que la présidence de Trump est bonne pour le pays, simplement parce que les Américains l’ont élu. A mon avis, les élections présidentielles et législatives de 2016 représentent un danger imminent pour la République. Elles ont créé des catastrophes potentielles qui mettront sérieusement à l’épreuve les contrôles et les équilibres prévus dans notre Constitution. Cela est particulièrement vrai dans la mesure où les deux chambres du Congrès sont contrôlées par le Parti républicain, qui représente lui-même moins d’électeurs que le parti d’opposition.
Personnellement, je n’ai pas voté pour Trump, mais je trouve ridicule, pathétique et honteux les accusations selon lesquelles les actions russes auraient interféré dans l’élection et – du coup – détérioré la qualité de notre démocratie.
« Ridicule » parce qu’il n’y a aucune raison logique de penser que ce qu’ont fait les Russes a pu avoir une influence sur la manière dont les gens ont voté. Dans le passé, lorsque les dirigeants soviétiques ont tenté d’influencer les élections américaines, cela s’est retourné contre eux – comme ça se passe avec l’ingérence étrangère généralement partout. En 1984, Yuri Andropov, le dirigeant soviétique de l’époque, a donné pour deuxième tâche la plus importante au KGB d’empêcher la réélection de Ronald Reagan. Tout ce que les Soviétiques ont réussi – en dépeignant Reagan comme un belliciste alors qu’Andropov refusait de négocier sur les armes nucléaires – c’est aider Reagan à remporter 49 États sur 50.
« Pathétique » parce qu’il est clair que le Parti démocrate a perdu l’élection. D’accord, il a remporté le vote populaire, mais les présidents ne sont pas élus par le suffrage populaire. Blâmer quelqu’un d’autre pour ses propres erreurs est un cas pathétique d’aveuglement.
« Honteux » parce que c’est fuir ses responsabilités. Cela empêche les démocrates et ceux parmi les républicains qui veulent à Washington un gouvernement responsable et se basant sur les faits de se concentrer sur les moyens pratiques de réduire la menace que la présidence Trump fait peser sur nos valeurs politiques et même sur notre existence future. Après tout, Trump ne serait pas président si le Parti républicain ne l’avait pas investi. Il est également fort peu probable qu’il aurait gagné le Collège électoral si les démocrates avaient investi quelqu’un d’autre – presque n’importe qui – que la candidate qu’ils ont choisie, ou si cette candidate avait mené une campagne plus professionnelle. Je ne prétends pas que rien de tout cela était juste ou rationnel, mais qui est naïf au point de prétendre que la politique américaine est juste ou rationnelle ?
Au lieu d’affronter les faits et de faire face à la réalité actuelle, les promoteurs du Russiagate, tant au sein du gouvernement que dans les médias, détournent notre attention des véritables menaces.
Je devrais ajouter « dangereux » à ces trois adjectifs. « Dangereux » parce que faire un ennemi de la Russie, l’autre superpuissance nucléaire – oui, il y en a encore deux – est aussi proche de la folie politique que tout ce à quoi je peux penser. A plus longue vue, nier le réchauffement climatique est aussi en haut de mon classement, mais seules les armes nucléaires représentent, par leur existence même et les quantités qui sont stockées en Russie et aux États-Unis, une menace immédiate pour l’humanité – pas seulement pour les États-Unis et la Russie et pas seulement pour la « civilisation ». La triste réalité, souvent oubliée, c’est que, depuis la création des armes nucléaires, l’humanité a la capacité de se détruire et de rejoindre d’autres espèces disparues.
Lors de leur première rencontre, le président Ronald Reagan et le secrétaire général Mikhaïl Gorbatchev ont convenu « qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée ». Tous deux croyaient en cette vérité simple et évidente, et leur conviction leur a permis de mettre les deux pays sur une voie qui a mis fin à la guerre froide. Nous devrions réfléchir sérieusement pour déterminer comment et pourquoi cette vérité simple et évidente a été ignorée dernièrement par les gouvernements des deux pays.
Nous devons renoncer à notre folie russophobe actuelle et encourager les présidents Trump et Poutine à rétablir la coopération dans les domaines de la sécurité nucléaire, de la non-prolifération, du contrôle des matières nucléaires et de la réduction des armes nucléaires. C’est dans l’intérêt vital des États-Unis et de la Russie. C’est la question centrale sur laquelle des gouvernements sains d’esprit et les populations saines d’esprit devraient concentrer leur attention.
Jack F. Matlock Jr, ambassadeur en Union soviétique de 1987 à 1991, est l’auteur deReagan and Gorbatchev : How the Cold War Ended [Reagan et Gorbatchev: Comment la Guerre Froide a pris fin, NdT] et Superpower Illusions : How Myths and False Ideologies Led America Astray – And How to Return to Reality [Les illusions de superpuissance: comment les mythes et les fausses idéologies ont égaré l’Amérique et comment revenir à la réalité, NdT].
Source : The Nation, Jack F. Matlock Jr., 01-06-2018
Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.
Nous vous proposons cet article afin d'élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s'arrête aux propos que nous reportons ici. [Lire plus]
RGT // 29.06.2018 à 08h20
J’ai des amis américains pur jus qui vivent aux USA et qui ont une opinion assez différente sur les causes de l’élection de Trump.
Quand les citoyens ont eu la confirmation, suite aux fuites massives de mails, que la clique “démocrate” était corrompue jusqu’à la moelle, ils ont commencé à écouter le discours de Trump qui, surfant sur la vague, a clairement annoncé qu’il était suffisamment riche pour se payer le luxe de ne pas être corruptible.
Et quand il a donné quelques exemples dans lesquels il avait “invité” des représentants de TOUS les partis à certains événements et que ces derniers n’avaient PAS pu refuser ça a été le déclic.
Même s’ils n’aiment pas particulièrement le Donald, les citoyens ont voté pour lui parce qu’ils étaient écœurés par la corruption de leur pays qui fait passer les pires états faillis de la planète pour des parangons de vertu.
Et le coup de grâce a bel et bien été l’éviction de Bernie Sanders au profit de ce système nauséabond.
A moins d’un grand ménage et de procès retentissants (peu d’espoir), il faudra beaucoup de temps au parti “démocrate” pour remonter dans l’estime des américains.
La raison de l’élection de cet homme n’est peut être pas plus compliquée que ça.

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