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samedi 30 juin 2018

Les usines de légumes, hors-sol et aseptisées, prospèrent au Japon


28 juin 2018

Les usines de légumes, hors-sol et aseptisées, prospèrent au Japon

Le pays compte deux cents sites de production, un record en Asie, développés notamment par le secteur des nouvelles technologies

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Prix stables, hygiène garantie, production à l'année sans pesticides et soutien gouvernemental. La culture verticale de légumes en usine connaît un véritable boom au Japon. " J'aime bien car il n'y a pas de risque de trouver des insectes ", observe une femme d'une quarantaine d'années dans un supermarché de Tokyo, même si une personne âgée lui fait remarquer que " s'il y a des insectes, c'est que c'est bon ".
Un argument vite balayé, tant les légumes cultivés dans des univers clos et aseptisés séduisent. Dans son usine de Kameoka, à une trentaine de kilomètres de Kyoto (Ouest du Japon), la société Spread produit en hydroponie (hors-sol) sur 2 900 m² quatre variétés de salades, de la plus tendre à la plus croquante, disposées en rangs serrés sur de vastes étagères, dans un environnement à 25  degrés et à 60  % d'humidité, sous la lumière de simples néons et avec les racines trempant dans une solution riche en nutriments comme le potassium.
Pionnière dans ce secteur au Japon, Spread a tâtonné avant de trouver la bonne formule. " L'idée est née en  2006 mais nous n'avions aucune expérience, rappelle Yoshifumi Okai, des relations publiques de l'entreprise. Il a fallu faire des recherches pour trouver la bonne recette. "
Des débuts difficilesUn pari tenté par Shinji Inada, le dirigeant de Trade, maison mère de Spread spécialisée dans le négoce des légumes, qui a constaté l'impact des changements climatiques sur l'activité maraîchère. Il a aussi observé l'inquiétude croissante des consommateurs face à l'usage des pesticides et le vieillissement de la population, très sensible dans les zones rurales, qui soulève des interrogations sur l'avenir de l'agriculture. " Pour nous, la culture verticale peut jouer un rôle déterminant pour résoudre les problèmes d'accès à l'alimentation ", estime M. Inada.
Les débuts furent difficiles car, explique M. Okai, " les gens, surtout les personnes âgées, n'ont pas confiance dans les légumes cultivés sans soleil ". A force de démarchage, l'activité a fini par décoller. " Beaucoup de supermarchés ont longtemps refusé d'acheter par crainte de ne pas pouvoir vendre mais, désormais, nos  21 000 salades récoltées chaque jour sont livrées à 2 400 clients, distributeurs, restaurants ou parcs d'attractions et aéroports, dans tout le Japon. "
Preuve de l'acceptation du produit, des magasins de l'enseigne Maruetsu vendent à Tokyo les salades Spread dans un rayon clairement identifié comme celui des " légumes cultivés en usine ". Spread va inaugurer cet été une nouvelle usine, plus automatisée et avec un éclairage spécial aux LED permettant de réduire le temps de culture moyen de 40 à 35 jours, puis une autre en 2020, en partenariat avec JXTG energy, un géant du pétrole.
Les mentalités changent car les clients trouvent du goût à ces salades et se lassent des brusques variations des prix des légumes, conséquences d'un climat nippon soumis à des phénomènes brutaux comme les typhons. Celui de la salade a bondi de 70,5  % en décembre  2017 après une hausse de 8  % en novembre. Pour celles cultivées en usine le prix reste invariable à 200 yens (1,5 euro) les 80 grammes,. "  On peut aussi les garder plus longtemps et il n'est pas nécessaire de les nettoyer ", explique M. Okai.
Le gouvernement soutient l'activité, de quoi séduire les industriels, notamment des nouvelles technologies qui maîtrisent l'essentiel des savoir-faire. Panasonic, qui gère une usine à légumes dans la ville de Fukushima (nord-est), s'est lancé car " les besoins alimentaires mondiaux auront doublé en  2020 par rapport à 2009 " et " le gouvernement japonais a fait de l'exportation des produits agricoles une priorité de son action ". La société Tokyo Metro, qui gère le métro de la capitale, produit 11 légumes dans une usine aménagée sous une voie ferrée.
Le gouvernement table également sur l'agriculture verticale pour relancer l'économie du département de Fukushima, théâtre en  2011 de la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl. Fujitsu a transformé en usine à légumes sa fabrique de semi-conducteurs d'Aizu-Wakamatsu, ville de Fukushima. Aujourd'hui, d'après le ministère de l'agriculture, il y aurait près de 200 sites de production au Japon, trois fois plus important qu'en  2011 et un record en Asie.
Débouchés à l'étrangerPreuve que la tendance se maintient, Canon a annoncé en février sa participation, aux côtés de 9 autres entreprises et de la Banque japonaise de développement – organisme public –, à l'investissement de 500  millions de yens (3,8  millions d'euros) pour permettre à Vitec Vegetables Factory – filiale du spécialiste de la vente de composants électroniques Vitec – de construire d'ici à mars  2021 cinq usines à légumes, en plus des trois existantes de salades et de chou frisé.
Suivant l'incitation gouvernementale à exporter, Panasonic gère un site à Singapour, dont la production alimente les restaurants japonais locaux. Spread prospecte jusqu'en Europe et reçoit des sollicitations de différents pays. L'entreprise est d'autant plus courtisée qu'elle a fortement amélioré sa rentabilité. Elle gagne de l'argent depuis 2013 grâce à d'importants efforts sur la productivité. " L'une de nos forces, explique M. Okai,est que nous venons du négoce de légumes. Nous avons un réseau établi et nous connaissons bien le marché. "
Conjugué à l'amélioration du goût, la tendance gagne la grande cuisine. Daigo, restaurant de Tokyo spécialisé dans la cuisine végétarienne et affichant deux étoiles Michelin, a mis au point un assortiment de salades mêlant chou kale, roquette et des tomates cultivées par Plants Laboratory, société de Tokyo engagée dans la production agricole en univers clos, qui utilise le système Putfarm de contrôle de la chaleur et de la température à faible consommation d'énergie, développé en coopération avec l'université de Tokyo.
Philippe Mesmer
© Le Monde

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