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vendredi 10 août 2018

Une série de suicides secoue Fleury-Mérogis


9 août 2018

Une série de suicides secoue Fleury-Mérogis

Onze détenus se sont donné la mort depuis le début de l'année, soit plus qu'au cours de 2016 et 2017 réunies

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UNE INFORMATION JUDICIAIRE SUR UN DÉCÈS
Le parquet d'Evry a ouvert une information judiciaire pour " recherche des causes de la mort " sur le cas d'un jeune homme décédé le 7  avril à Fleury-Mérogis. L'instruction devra élucider les circonstances dans lesquelles ce Martiniquais est décédé dans les bras de son codétenu, lequel affirme avoir appelé les surveillants au secours à plusieurs reprises pendant la nuit. Le malheureux, qui avait été pris la veille de vomissements, avait été amené à la consultation médicale, puis reconduit dans sa cellule. Son père et son codétenu ont déposé plainte pour non-assistance à personne en danger.
Onze personnes détenues se sont suicidées à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) depuis le début de l'année : dix hommes et une femme. En sept mois, ce compteur macabre a déjà dépassé le cumul des deux années précédentes. Une -situation inédite qui préoccupe l'administration pénitentiaire comme le parquet d'Evry, mais à laquelle ils affirment aujourd'hui ne pas trouver d'explication.
Dernier en date, un homme de 48 ans a été retrouvé pendu dans sa cellule mardi 7  août au matin. Il était en détention provisoire pour une affaire criminelle (viol sur son ex-compagne). Détenu au quartier des " arrivants ", il avait été identifié comme fragile, et un surveillant s'assurait de son état toutes les heures dans le cadre des dispositifs de prévention du suicide. " A la ronde de 6  heures, il dormait sur sa couchette, à celle de 7  heures, c'était trop tard ", apprend-on de source pénitentiaire.
A chaque décès en détention, une enquête judiciaire est sys-tématiquement ouverte. " Nous n'avons, à ce stade, pas d'élément troublant ni de facteur d'explication de cette série de suicides à Fleury-Mérogis ", assure-t-on au parquet du tribunal d'Evry, dans le ressort duquel est implantée la plus grande prison d'Europe avec ses quelque 4 300 détenus. La justice y voit des cas individuels, -indépendants les uns des autres.
Certains cas polémiquesPour le coordonnateur du pôle enquête de l'Observatoire international des prisons (OIP), François Bès, cela pourrait s'expliquer par " un climat de tensions permanentes et de pression " spécifique à cet établissement. A Fresnes (Val-de-Marne), dont la vétusté des locaux n'est plus à démontrer, où les cellules n'ont pas de douche et où le nombre de détenus atteint 193  % de la capacité (contre 143  % à Fleury-Mérogis), on ne déplore " que " deux suicides depuis le début de l'année pour 2 550 détenus. Au niveau national, on observe une légère hausse, mais la tendance sur plusieurs années est orientée à la baisse : 64 suicides en détention depuis le début de l'année, contre 59 pour la période équivalente en  2017 et 71 en  2016.
Le phénomène a pris à Fleury une dimension oppressante, tant pour les personnels pénitentiaires que pour les détenus et leurs familles. Au point que certains cas deviennent polémiques. Tel celui de Lucas H., 21 ans, qui se serait pendu le 21  juillet au quartier disciplinaire. Sa famille refuse de croire à un geste désespéré du jeune homme censé sortir de prison en septembre. Plusieurs dizaines de personnes ont manifesté samedi 4  août devant la maison d'arrêt à l'appel d'un collectif -Justice pour Lucas et conspué aux cris de " Matons assassins ! " les surveillants. Selon le parquet d'Evry, qui a eu les conclusions orales de l'autopsie pratiquée le 26  juillet, " rien de suspect ne remet en cause pour le moment la thèse du suicide " de Lucas. Mais, l'enquête ne devrait pas être bouclée avant septembre, en attendant le rapport complet du médecin légiste et le résultat de plusieurs auditions auxquelles les gendarmes comptent encore procéder.
D'autres suicides ne sont pas contestés, mais peuvent nourrir des questions sur le sens de la détention, en particulier pour les courtes peines. Comme celui de cet homme de 25 ans, condamné à trois mois de prison pour " voyage habituel sans titre de transport ". Il s'est pendu le 17  mars, quelques semaines après son incarcération. Ou ce père de famille, plus âgé, qui s'est suicidé en avril, à peine arrivé pour exécuter une peine de deux mois pour " conduite sans assurance ". Ces sanctions pénales semblent disproportionnées au regard du délit, mais les tribunaux les justifient par le caractère multirécidiviste de ces personnes.
Autre sujet questionné, celui des détentions provisoires qui s'allongent. La jeune femme de 24 ans qui s'est donné la mort à Fleury le 21  avril attendait depuis trois ans que la justice fixe son sort. " Une situation plus difficile à vivre que pour les condamnés, qui, eux, savent quand ils sortiront et peuvent, même si c'est dans longtemps, se projeter dans un avenir ", explique un surveillant de cette prison géante.
Actions préventives dégradéesLe 12  juin, c'est un Albanais de 38 ans, qui se suicidait peu de temps après que sa détention provisoire fut renouvelée. Il était mis en examen dans l'enquête sur l'attentat de Nice (86 morts) pour " association de malfaiteur terroriste " pour avoir fourni des armes à un couple d'Albanais qui les avaient lui-même revendues à un proche du conducteur du camion meurtrier. Il clamait depuis le début son aversion pour les djihadistes.
Le taux de suicides en prison est en moyenne six fois supérieur à celui de l'ensemble de la population. De fait, la détention concentre des personnes qui cumulent les handicaps sociaux, scolaires, économiques, sanitaires, familiaux, etc. " Ce n'est pas la prison qui crée leurs problèmes ni leurs fragilités ", se défend-on à la direction des services pénitentiaires d'Ile-de-FranceIl n'empêche, le plan antisuicide mis en place en  2009 par la direction de l'administration pénitentiaire a porté ses fruits et a ainsi fait la preuve que ce n'était pas une fatalité. Le dispositif ne se limite pas à la ronde toutes les heures. Le dialogue du surveillant avec le détenu, par exemple au retour d'un parloir annulé ou qui s'est mal passé ou d'une audience chez le juge, est essentiel. " Lorsqu'un détenu que l'on a pris en charge se suicide, on ressent la même chose que le chirurgien qui perd un patient sur sa table d'opération ", témoigne un ex-directeur de Fleury-Mérogis.
Mais les surveillants ont-ils encore le temps pour cette partie valorisante de leur métier ? L'OIP voit dans la surpopulation carcérale et la proportion importante de surveillants stagiaires la cause d'une dégradation de ces actions préventives. Un autre dispositif de prévention qui semble avoir fait ses preuves à Villepinte depuis plusieurs années devrait prochainement être mis en place à Fleury-Mérogis. Des " codétenus de soutien ", volontaires, formés avec des psychologues de la Croix-Rouge partageront la cellule de personnes considérées comme à risque en matière de passage à l'acte.
Les statistiques sur la prévention n'existent pas, mais la direction des services pénitentiaires d'Ile-de-France assure qu'il y a dix fois plus de tentatives sérieuses de suicide prises à temps par les personnels que de suicides constatés.
Jean-Baptiste Jacquin
© Le Monde

9 août 2018

La prison, " une humiliation pour la République "

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Au 1er  juillet, 70 710 personnes étaient détenues dans les prisons françaises, un record historique depuis la Libération. C'est 48  % de plus qu'en  2001, et cette croissance est sans rapport avec la démographie ou l'évolution de la délinquance. Malgré le " laxisme " dont nombre de responsables politiques taxent volontiers les juges, jamais la justice n'a été aussi sévère.
Cette inflation carcérale tranche avec certains de nos grands voisins européens, qui ont entrepris une politique volontariste de réduction du nombre de personnes derrière les barreaux, comme en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Italie. Surtout, elle provoque des conditions de détention indignes, et incompatibles avec les objectifs de réinsertion assignés à l'administration pénitentiaire. 60  % des détenus sont aujourd'hui dans une prison occupée à plus de 120  % de ses capacités, et 30  % d'entre eux s'entassent dans des établissements où la densité dépasse les 150  %.
En janvier, alors que les prisons étaient secouées par un mouvement de protestation des surveillants sans précédent depuis vingt-cinq ans, les Français semblaient avoir eu de l'empathie pour les conditions de travail de cette profession ignorée, dont le quotidien est directement affecté par la surpopulation carcérale. Et puis l'oubli est revenu.
Le 6  mars, Emmanuel Macron dévoilait, dans un important discours, à Agen, une vision humaniste de la justice et de la prison. En limitant le recours aux courtes peines et rendant automatique l'incarcération pour les sanctions supérieures à douze mois ferme, le président de la République souhaitait améliorer la lisibilité de la justice. Et, en développant les alternatives à la prison, il voulait améliorer le sens et l'efficacité des peines. Pour finir, il annonçait une nouvelle politique judiciaire, qui ferait " sortir de prison plusieurs milliers de personnes pour qui la prison est inutile, voire contre-productive ". Sur le terrain, c'est l'inverse qui s'est produit.
La maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, dans l'Essonne, la plus grande prison d'Europe, est secouée depuis le début de l'année par une série de suicides – onze détenus en sept mois, soit davantage que pour les années 2016 et 2017 cumulées. On se suicide sept fois plus en prison que dans un milieu libre. Et que faisaient en prison ce jeune homme de 25 ans, incarcéré pour trois mois pour " voyage habituel sans titre de transport ", ou ce père de famille condamné à deux mois pour " conduite sans assurance " ? La mort qu'ils ont choisi de se donner ne peut sans doute pas s'expliquer de façon simpliste, mais en quoi la prison pouvait-elle être une réponse adaptée ?
La prison est une réponse pauvre à des situations complexes et, souvent, une solution de facilité. Face à des citoyens qui demandent légitimement de la sécurité, les gouvernements répondent par des signaux sécuritaires à défaut de pouvoir leur garantir une vraie sécurité.
M.  Macron n'échappe pas à cette ambiguïté. Il annonce vouloir construire 7 000  places de prison d'ici à la fin du quinquennat, tout en préparant une réforme de la justice pénale qui table sur une réduction de 8 000 du nombre de détenus. Certains s'alarment au contraire des risques de voir cette réforme provoquer une augmentation de la population carcérale de plusieurs milliers de personnes en cinq ans. Un débat purement théorique, alors que la loi de programmation de la justice ne devrait pas être votée avant le premier trimestre 2019. En attendant, rien ne change dans les prisons. Qui restent " une humiliation pour la République ", comme l'écrivait le Sénat en… juin  2000.
© Le Monde

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