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vendredi 10 août 2018

Assaut général contre l'Union européenne

9 août 2018

Assaut général contre l'Union européenne

Pour le spécialiste en géostratégie François Géré, l'Europe, malmenée à la fois par Donald Trump et par Vladimir Poutine, connaît sa première vraie crise existentielle. La responsabilité en incombe aussi à ses dirigeants, incapables d'un sursaut commun

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Jamais depuis ses débuts l'Union européenne (UE) n'avait fait l'objet d'un assaut aussi général et aussi brutal. Son existence même se trouve aujourd'hui mise en cause. La manœuvre, menée principalement par Donald Trump, se développe sur un quadruple front : l'Iran, le commerce, la défense et la politique migratoire des Etats de l'Union.
Sans tenir le moindre compte des -exhortations de l'UE, Trump est sorti le 8  mai de l'accord international de Vienne sur le nucléaire iranien, signé en juillet  2015 avec Téhéran. Ce retrait a été immédiatement assorti du retour des sanctions américaines et de la menace de sanctions secondaires à l'égard des Etats qui persisteraient à investir en Iran dès le 4  novembre. Certes, l'UE a réagi. Outre le recours à la loi dite " de blocage " de 1996, qui vise à neutraliser les effets extraterritoriaux des sanctions américaines, la Banque européenne d'investissement (BEI) soutiendra le financement des entreprises travaillant en Iran.
On envisage aussi la création d'une sorte de Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface) qui garantirait les PME investissant en Iran. Mais aucune de ces mesures ne pourra prendre effet avant au moins un an. C'est pourquoi le retrait des entreprises européennes a pris les allures d'une débandade. Les Etats de l'UE ne sont pas en mesure de préserver l'accord de juillet  2015 qui, sous sa forme originelle, a vécu.
La guerre commerciale est ouvertement déclarée depuis le sommet du G7, les 8 et 9  juin. Emmanuel Macron l'a déclarée absurde. Le Fonds monétaire international (FMI) redoute une récession mondiale de 0,5 % d'ici à 2020. Mais Donald Trump n'en a cure. Dans ce domaine, le Royaume-Uni fait l'objet d'une ingérence sans précédent. Avant son élection, Trump s'était félicité du Brexit, apportant son soutien au United Kingdom Independence Party (UKIP) populiste de Nigel Farrage. Aujourd'hui, le président américain menace Theresa May de remettre en cause les accords commerciaux américano-britanniques si celle-ci ne se range pas à une interprétation dure du Brexit. Quand on connaît les clauses spéciales liant les deux pays, notamment dans les transferts de technologie, ce chantage pèse lourd.
Côté défense, à la veille du sommet de l'OTAN, les 11 et 12  juillet, le président américain a violemment remis en cause la souveraineté de l'Allemagne à l'égard de la Russie, invoquant sa dépendance énergétique sur la base de statistiques manipulées. Sur le fond, rien de bien original : les Etats-Unis refusent de financer la sécurité de l'Union européenne, qui doit dépenser plus pour acheter des armements américains. Pas question d'une préférence européenne. La virulence nouvelle s'explique par une double attitude à l'égard de l'Europe de la part de Trump mais aussi de John Bolton et de ses acolytes néoconservateurs qui oscillent depuis vingt ans entre le mépris pour la lâcheté supposée des Européens (qui auraient abandonné la volonté et la capacité de faire la guerre) et l'hostilité vis-à-vis de ce qui pourrait constituer un pôle de puissance rival des Etats-Unis.
Soutien aux populistesEnfin, l'administration Trump, en tirant parti des dissensions européennes sur le problème migratoire, cherche la dislocation des partis politiques traditionnels, toutes tendances confondues. Les ambassadeurs américains nouvellement nommés soutiennent ouvertement les formations populistes d'extrême droite en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Europe centrale.
Dans cet assaut, Trump n'est pas seul. Tout se passe comme si d'autres grandes puissances joignaient leur pouvoir de nuisance pour désintégrer l'Union européenne. La rencontre d'Helsinki, le 16  juillet, entre Trump et Poutine, signale, sur ce point comme d'autres, une dangereuse collusion. Car la Russie trouve l'occasion d'affaiblir un rival économique et un opposant politique. Poutine voit une opportunité pour relancer son grand projet d'un espace eurasiatique. Plus encore, il peut prendre sa revanche sur l'UE qui, depuis l'invasion de la Crimée, a mis en place des sanctions contre son pays et soutient le gouvernement de Kiev contre les séparatistes du Donbass.
La Chine elle-même semble tirer les leçons de l'affaiblissement européen. Elle appelait de ses vœux la formation d'une Europe-puissance pour favoriser un monde multipolaire et faire contrepoids aux Etats-Unis. Constatant l'incapacité européenne à s'autonomiser stratégiquement, Pékin entame une manœuvre qui, objectivement, aboutit à la division des Européens. La grande ambition des " nouvelles routes de la soie " n'ayant pas rencontré un franc succès auprès de la France et de l'Allemagne, la Chine développe son programme d'infrastructures avec les Etats d'Europe centrale et orientale.
Réserves de change en dollarsCependant, les responsabilités de cette crise incombent en partie aux dirigeants de l'UE qui ont raté le passage au niveau supérieur de la puissance, celui de l'autonomie politico-stratégique dans des domaines majeurs : absence de politique étrangère commune ; atermoiements sur la défense européenne ; absence d'une politique financière et monétaire commune. L'euro n'est jamais parvenu à s'imposer, ni comme monnaie de transaction ni comme unité de compte ou de réserve. Les réserves de change sont encore composées pour les trois quarts en dollars. Enfin, l'incapacité des dirigeants européens demeure à construire une stratégie de long terme sur le problème migratoire.
Pour toutes ces raisons, l'UE fait face à sa première crise existentielle. Trump a désigné l'UE comme l'ennemi. Corollaire : Trump est l'ennemi de l'UE. Il convient donc de le contrer sur les quatre fronts de son attaque. Mais la division des Etats membres de l'UE, leur faiblesse par rapport à l'économie américaine, leur dépendance en matière de défense rendent impossible un sursaut unanime. Il devient nécessaire de resserrer les rangs autour de ceux qui ont un authentique intérêt au maintien d'une Union européenne souveraine. Qui pourrait en prendre la tête ? Un tandem Macron-Merkel suffirait-il à refonder l'Union ?
L'Europe des compétences intellectuelles, celle des hautes technologies, celle qui prenait la tête d'un nouveau monde vert et du développement durable est aujourd'hui devenue une proie. Comme l'Empire ottoman du XIXe  siècle, elle apparaît comme l'homme malade… de l'Europe.
François Géré
© Le Monde

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