Translate

vendredi 10 août 2018

Le phoque gris, touriste dans la " cantine " de la mer d'Iroise

9 août 2018

Le phoque gris, touriste dans la " cantine " de la mer d'Iroise

SUR LES TRACES DES BÊTES SAUVAGES 3|6Les animaux peuvent désormais être suivis grâce à des appareils sophistiqués. Les données recueillies dévoilent les secrets des espèces les plus diverses. Aujourd'hui, le parcours d'un pinnipède, migrateur accompli

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
Il y a la technique dite de " Davy Crockett ". " Vous rampez aussi près que possible du phoque, et vous lui sautez dessus avec une grosse épuisette. Il faut avoir le coup de patte pour courir sur des rochers couverts d'algues et maîtriser un animal de plus de 200 kg. Les Anglais ont l'expérience, mais ça ne marche pas à tous les coups ", explique Yannis Turpin. Au Parc naturel marin d'Iroise, à la pointe ouest de la Bretagne, il est chargé du comptage des phoques et a participé à plusieurs campagnes de capture des animaux pour leur coller des balises de suivi. Il ne cache pas son admiration pour ses collègues britanniques, plus rompus à cet exercice délicat, qui sont venus prêter main-forte.
Une autre technique, aussi périlleuse, consiste à frôler en bateau le reposoir où l'animal se prélasse, pour tendre un filet où il viendra se prendre en s'enfuyant. " Mais ça oblige à passer au raz des cailloux. " Ou encore, poser à marée basse un filet doté d'un boudin dont le gonflage est actionnable à distance. Là encore sans garantie. " Beaucoup d'efforts pour peu de résultats. "
Impossible en effet d'utiliser des flèches hypodermiques. " Ils s'endormiraient au fond et se noieraient. " Même à terre, une fois immobilisés, les anesthésier pour fixer l'appareillage et pratiquer des biopsies n'est pas sans risque. Il arrive qu'un individu entre en apnée prolongée. Un Ecossais a une technique bien à lui pour éviter une perte de conscience fatale : tandis que ses collègues écartent les mâchoires du carnivore, il plonge la main dans la gorge pour rétablir la respiration. Impressionnant, témoigne Yannis Turpin, car les quenottes d'un phoque gris, " c'est du pitbull puissance 10 ! ". Il faut éviter de se faire égratigner, car l'animal peut transmettre des virus redoutables.
" Ces captures, c'est un peu du rodéo ", témoigne aussi Cécile Vincent (Centre d'études biologiques de Chizé, université de La  Rochelle), qui a coordonné quatre campagnes ayant permis de poser 21 capteurs-émetteurs (GPS/GSM) sur des phoques gris en mer d'Iroise. L'enseignement principal des données recueillies, c'est que ces animaux ont des parcours très différents. Certains sont casaniers et ne s'éloignent guère des îlots de Molène et de la chaussée de Sein (Finistère) où ils ont leurs habitudes. D'autres au contraire remontent jusqu'en Irlande ou en Ecosse – ou en redescendent, question de point de vue. Autre point marquant, s'il était confirmé : d'une année à l'autre, certains semblent reproduire les mêmes périples. " Chacun a sa cantine ", résume la chercheuse.
Venus du nord surpeupléLes phoques gris se montrent donc beaucoup plus voyageurs que leurs cousins les veaux marins. " Les phoques gris sont des touristes ", venus du nord surpeuplé, constate Cécile Gicquel, chargée de mission " patrimoine naturel " au parc naturel marin d'Iroise. Molène et Sein font figure de lieux de villégiature sélectes, loin des masses pinnipèdes britanniques. On compte 140 000 phoques gris en Atlantique Nord-Est et 500 000 côté Canada. En France, où la population avait quasiment disparu au milieu du XXe  siècle, l'espèce est encore discrète mais en constante augmentation. Tendance confirmée à Molène, où le dernier des comptages mensuels a dénombré 140 individus environ, et 92 sur la chaussée de Sein – sans compter ceux qui étaient à l'eau, où l'animal passe 80  % de son temps.
Les femelles sont philopatriques, c'est-à-dire qu'elles ont tendance à revenir sur leur lieu de naissance pour se reproduire. Très peu de blanchons naissent donc à la pointe de la Bretagne – alors que dans les Côtes-d'Armor, le parc naturel des Sept-Iles connaît plus de naissances. " Ce que nous apprennent les travaux de Cécile Vincent et des collègues britanniques, c'est qu'il y a un report de population car dans les îles britanniques, on assiste à une saturation des zones de chasse, note Cécile Giquel. En mer d'Iroise viennent beaucoup de jeunes immatures, en prospection. "
Garde-mangerL'augmentation de la population de phoques est une aubaine pour l'industrie touristique mais elle est moins bien vécue par les pêcheurs. Dans les deux cas, le parc naturel marin a proposé des chartes aux professionnels. Pour éviter de perturber les phoques, même si les jeunes peuvent se montrer moins farouches. Mais aussi pour tenter de mesurer le phénomène de déprédation et les prises accidentelles de ces mammifères marins.
Certains considèrent en effet les filets des pêcheurs, posés verticalement au fond pour piéger des lottes, comme leur garde-manger. " Ils dévorent le foie et l'estomac du poisson, ce qui le rend impropre à la consommation humaine, indique Erwan Quémeneur, chargé de mission au comité des pêches du Finistère. La perte peut aller jusqu'à 150 à 200  kg par jour et par bateau. " Ces déprédations concernent des périodes et des secteurs particuliers, et semblent le fait de phoques expérimentés. Ce sont souvent les plus jeunes qui s'emmêlent dans les filets et se noient. Sept ou huit ont été remontés cet hiver, autopsiés avant que leur contenu stomacal ne soit analysé, indique Erwan Quémeneur – des chiffres probablement peu représentatifs. Sur les 80 bateaux de pêche qui sillonnent les 3 500 km2 du parc marin, seuls onze ont signé la charte et font remonter les données. Un partenariat qui vise à mesurer la perte pour les pêcheurs et les morts accidentelles des phoques.
Pour l'heure, la compétition n'est pas telle que des abattages soient envisagés, comme ceux discrètement pratiqués par exemple en Ecosse au nom de la protection de l'industrie du saumon. " C'est une espèce protégée, rappelle Erwan Quémeneur. On va voir si d'autres matériels de pêche pourraient limiter le phénomène. "
Hervé Morin
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire