Trois semaines après son adoption par la Knesset, la Loi fondamentale votée le 19 juillet et définissant Israël comme " Etat-nation du peuple juif " n'en finit pas de semer la confusion dans la société israélienne et au sein de la classe politique. L'opposition tentait de se saisir du dossier en convoquant, mercredi 8 août, une séance extraordinaire au Parlement, en plein congé parlementaire, pour rediscuter de la loi et de " la manière dont elle porte atteinte aux valeurs d'égalité et de démocratie ". Elle a également demandé au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, d'assister à la séance.
Cet effort intervient après des recours déposés à la Cour suprême et surtout à la suite de manifestations d'ampleur. Le 4 août, 100 000 personnes, selon les -estimations, ont montré leur opposition à la très controversée nouvelle Loi fondamentale. Adi Bass était parmi la foule compacte réunie, sur la place Rabin à Tel-Aviv. Elle s'y est rendue pour dénoncer
" une loi raciste qui -divise la société israélienne en -plusieurs catégories ", explique-t-elle. Cette fois, sa mère, Hagit, l'a accompagnée.
" Après l'assas-sinat de - l'ex-premier ministre travailliste Yitzhak -
Rabin en 1995, elle n'est jamais redescendue dans la rue, raconte sa fille de 28 ans.
Ce soir, c'est spécial. Elle a senti qu'il fallait y aller. "
La place Rabin est un lieu traditionnel de contestation du pouvoir. Des Israéliens s'y réunissent depuis des années pour dénoncer les manœuvres du gouvernement et plus récemment la corruption de Benyamin Nétanyahou.
Une fois n'est pas coutume, à la foule des juifs israéliens se mêlaient ce soir-là des dizaines de milliers de Druzes, certains habillés du traditionnel pantalon noir (sarouel) et du turban blanc (laffé). Venus spécialement de leurs villages du nord d'Israël, les représentants de cette minorité arabophone adhérant à une branche hétérodoxe de l'Islam ont -récusé une loi faisant d'eux des
" citoyens de seconde catégorie ". Contrairement aux Arabes israéliens, les Druzes font le service militaire et contribuent à la défense de l'Etat hébreu. Dans un élan de fraternité inattendu, les deux groupes ont scandé ensemble le mot
" égalité " à l'adresse du gouvernement.
" Valeur constitutionnelle "Quelques heures auparavant, la capture d'écran d'une
conversation WhatsApp falsifiée colportée sur les réseaux sociaux par des militants du Likoud de M. Nétanyahou voulait faire croire à une collusion intéressée entre des membres du Parti travailliste (centre gauche) et les leaders de la communauté druze, organisateurs de la manifestation. Les jours précédents, Benyamin Nétanyahou avait espéré limiter l'ampleur du rassemblement en proposant aux dirigeants druzes une législation pour valoriser le statut et les droits de leur communauté. Certains ont refusé, exigeant plutôt l'égalité de toutes les minorités en Israël, qu'elles servent ou non dans l'armée.
La nouvelle législation consacre la primauté du caractère national de l'Etat sur le principe de démocratie.
" Son but est d'affaiblir l'égalité contenue dans les textes antérieurset de renforcer les droits de la majorité juive en Israël ", dénonce Amir Fuchs, qui dirige le programme de défense des valeurs démocratiques à l'Institut israélien de la démocratie.
Mais cette fois, le débat suscité par le vote se dote d'une puissante charge émotionnelle.
" Les termes de démocratie, d'égalité et de minorités ne sont pas mentionnés, poursuit M. Fuchs.
Or, il s'agit d'une Loi fondamentale : elle a donc une -valeur constitutionnelle. A court terme, elle ne changera pas la vie des citoyens en Israël, mais l'effet de sa déclaration est très fort. "
Même si, dans un sondage paru fin juillet sur le site d'information
Walla, 58 % des interrogés la soutiendraient, les Israéliens s'interrogent aussi sur ses effets à long terme. En outre, le fait
" que la préférence soit donnée au caractère national choque un certain nombre de juifs israéliens " qui ne s'y retrouvent pas, ajoute Ofer Zalzberg, analyste pour l'ONG International Crisis Group. Notamment parce qu'en donnant la priorité à la judéité dans la définition de l'Etat,
" la loi ne reconnaît plus la dimension dynamique et civique de l'identité israélienne ". Celle-ci s'en trouve appauvrie : être israélien se réduirait désormais à être juif.
Le texte contient aussi une ambiguïté qui pourrait nourrir les divisions. L'expression " Etat-nation du peuple juif " suggère une égalité entre les différents courants religieux juifs – libéral, réformé ou orthodoxe – qui se ferait au détriment du judaïsme orthodoxe, qui domine le rabbinat d'Etat.
" Une interprétation égalitaire de la Loi fondamentale pourrait l'emporter à la Cour suprême ", observe Ofer Zalzberg.
" C'est une des raisons pour lesquelles les ultraorthodoxes ont d'abord émis des réserves sur le texte ", rapporte l'analyste.
Toutefois, les grands perdants se trouvent être les Arabes israéliens qui représentent 17 % de la population. Alors que la colère de la communauté druze qui ne compte que 130 000 membres mobilise l'opinion publique, le cas de ces " Palestiniens de 1948 " passe presque inaperçu.
" Benyamin Nétanyahou veut diviser les communautés pour mieux les -contrôler, fait valoir Ayman Odeh, le chef de file de la Liste arabe unie à la Knesset.
Il veut en favoriser certaines - Druzes ou Circassiens -
parce qu'elles défendent le pays, et parce qu'elles peuvent faire partie de son électorat de droite. Les autres - Arabes israéliens -
deviennent hors sujet. "
La décision de priver l'arabe de son statut de langue officielle et l'encouragement réitéré de l'implantation de communautés juives discriminent cependant toutes les communautés non juives et de culture arabe en Israël.
" En théorie, nous sommes dans le modèle d'un Etat-nation qui reconnaît ses minorités, en posant comme présupposé que celles-ci reconnaissent le droit de la majorité à exister. Or, la loi n'accorde pas de légitimité à l'existence d'une minorité nationale ", souligne Ofer Zalzerg.
Certains analystes et dirigeants craignent encore que la loi ne prépare l'annexion future, par Israël, de la Cisjordanie.
" Le texte commence par l'expression biblique “terre d'Israël” - eretz Israel -
, c'est la première fois que ce terme est utilisé dans une loi, insiste Ayman Odeh.
Seul le peuple juif a donc droit à l'autodétermination sur la terre d'Israël - qui inclut les territoires palestiniens occupés -
. Cette loi n'est pas seulement mauvaise pour les Arabes israéliens, elle l'est pour tous les Palestiniens. "
Claire Bastier
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