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vendredi 10 août 2018

La loi sur l'Etat-nation divise la société israélienne


9 août 2018

La loi sur l'Etat-nation divise la société israélienne

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 La loi définissant Israël comme " l'Etat-nation du peuple juif " continue de provoquer de vifs débats dans le pays
La Knesset devait siéger, le 8 août, pour une séance extraordinaire sur le texte, accusé de porter atteinte aux droits des minorités
 A l'initiative du vote de cette loi, le 19 juillet, Benyamin Nétanyahou a voulu envoyer un signal à ses électeurs
 Amir Ohana, député du Likoud, président de la commission parlementaire sur la loi, juge qu'un faux procès est fait au texte
 L'universitaire Eva Illouz dénonce, au contraire, le tournant que M. Nétanyahou fait prendre au sionisme
Page 2 et débats Pages 20-21
© Le Monde


9 août 2018

La nouvelle Loi fondamentale fracture Israël

Le texte, controversé, objet d'une session extraordinaire à la Knesset, est accusé de porter atteinte aux minorités

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Trois semaines après son adoption par la Knesset, la Loi fondamentale votée le 19  juillet et définissant Israël comme " Etat-nation du peuple juif " n'en finit pas de semer la confusion dans la société israélienne et au sein de la classe politique. L'opposition tentait de se saisir du dossier en convoquant, mercredi 8  août, une séance extraordinaire au Parlement, en plein congé parlementaire, pour rediscuter de la loi et de " la manière dont elle porte atteinte aux valeurs d'égalité et de démocratie ". Elle a également demandé au premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, d'assister à la séance.
Cet effort intervient après des recours déposés à la Cour suprême et surtout à la suite de manifestations d'ampleur. Le 4  août, 100 000 personnes, selon les -estimations, ont montré leur opposition à la très controversée nouvelle Loi fondamentale. Adi Bass était parmi la foule compacte réunie, sur la place Rabin à Tel-Aviv. Elle s'y est rendue pour dénoncer " une loi raciste qui -divise la société israélienne en -plusieurs catégories ", explique-t-elle. Cette fois, sa mère, Hagit, l'a accompagnée. " Après l'assas-sinat de - l'ex-premier ministre travailliste Yitzhak - Rabin en  1995, elle n'est jamais redescendue dans la rue, raconte sa fille de 28 ans. Ce soir, c'est spécial. Elle a senti qu'il fallait y aller. "
La place Rabin est un lieu traditionnel de contestation du pouvoir. Des Israéliens s'y réunissent depuis des années pour dénoncer les manœuvres du gouvernement et plus récemment la corruption de Benyamin Nétanyahou.
Une fois n'est pas coutume, à la foule des juifs israéliens se mêlaient ce soir-là des dizaines de milliers de Druzes, certains habillés du traditionnel pantalon noir (sarouel) et du turban blanc (laffé). Venus spécialement de leurs villages du nord d'Israël, les représentants de cette minorité arabophone adhérant à une branche hétérodoxe de l'Islam ont -récusé une loi faisant d'eux des " citoyens de seconde catégorie ". Contrairement aux Arabes israéliens, les Druzes font le service militaire et contribuent à la défense de l'Etat hébreu. Dans un élan de fraternité inattendu, les deux groupes ont scandé ensemble le mot " égalité " à l'adresse du gouvernement.
" Valeur constitutionnelle "Quelques heures auparavant, la capture d'écran d'uneconversation WhatsApp falsifiée colportée sur les réseaux sociaux par des militants du Likoud de M. Nétanyahou voulait faire croire à une collusion intéressée entre des membres du Parti travailliste (centre gauche) et les leaders de la communauté druze, organisateurs de la manifestation. Les jours précédents, Benyamin Nétanyahou avait espéré limiter l'ampleur du rassemblement en proposant aux dirigeants druzes une législation pour valoriser le statut et les droits de leur communauté. Certains ont refusé, exigeant plutôt l'égalité de toutes les minorités en Israël, qu'elles servent ou non dans l'armée.
La nouvelle législation consacre la primauté du caractère national de l'Etat sur le principe de démocratie. " Son but est d'affaiblir l'égalité contenue dans les textes antérieurset de renforcer les droits de la majorité juive en Israël ", dénonce Amir Fuchs, qui dirige le programme de défense des valeurs démocratiques à l'Institut israélien de la démocratie.
Mais cette fois, le débat suscité par le vote se dote d'une puissante charge émotionnelle." Les termes de démocratie, d'égalité et de minorités ne sont pas mentionnés, poursuit M. Fuchs. Or, il s'agit d'une Loi fondamentale : elle a donc une -valeur constitutionnelle. A court terme, elle ne changera pas la vie des citoyens en Israël, mais l'effet de sa déclaration est très fort. "
Même si, dans un sondage paru fin juillet sur le site d'information Walla, 58  % des interrogés la soutiendraient, les Israéliens s'interrogent aussi sur ses effets à long terme. En outre, le fait " que la préférence soit donnée au caractère national choque un certain nombre de juifs israéliens " qui ne s'y retrouvent pas, ajoute Ofer Zalzberg, analyste pour l'ONG International Crisis Group. Notamment parce qu'en donnant la priorité à la judéité dans la définition de l'Etat, " la loi ne reconnaît plus la dimension dynamique et civique de l'identité israélienne ". Celle-ci s'en trouve appauvrie : être israélien se réduirait désormais à être juif.
Le texte contient aussi une ambiguïté qui pourrait nourrir les divisions. L'expression " Etat-nation du peuple juif " suggère une égalité entre les différents courants religieux juifs – libéral, réformé ou orthodoxe – qui se ferait au détriment du judaïsme orthodoxe, qui domine le rabbinat d'Etat. " Une interprétation égalitaire de la Loi fondamentale pourrait l'emporter à la Cour suprême ", observe Ofer Zalzberg. " C'est une des raisons pour lesquelles les ultraorthodoxes ont d'abord émis des réserves sur le texte ", rapporte l'analyste.
Toutefois, les grands perdants se trouvent être les Arabes israéliens qui représentent 17  % de la population. Alors que la colère de la communauté druze qui ne compte que 130 000 membres mobilise l'opinion publique, le cas de ces " Palestiniens de 1948 " passe presque inaperçu. " Benyamin Nétanyahou veut diviser les communautés pour mieux les -contrôler, fait valoir Ayman Odeh, le chef de file de la Liste arabe unie à la Knesset. Il veut en favoriser certaines - Druzes ou Circassiens - parce qu'elles défendent le pays, et parce qu'elles peuvent faire partie de son électorat de droite. Les autres - Arabes israéliens - deviennent hors sujet. "
La décision de priver l'arabe de son statut de langue officielle et l'encouragement réitéré de l'implantation de communautés juives discriminent cependant toutes les communautés non juives et de culture arabe en Israël. " En théorie, nous sommes dans le modèle d'un Etat-nation qui reconnaît ses minorités, en posant comme présupposé que celles-ci reconnaissent le droit de la majorité à exister. Or, la loi n'accorde pas de légitimité à l'existence d'une minorité nationale ", souligne Ofer Zalzerg.
Certains analystes et dirigeants craignent encore que la loi ne prépare l'annexion future, par Israël, de la Cisjordanie. " Le texte commence par l'expression biblique “terre d'Israël” - eretz Israel - , c'est la première fois que ce terme est utilisé dans une loi, insiste Ayman Odeh. Seul le peuple juif a donc droit à l'autodétermination sur la terre d'Israël - qui inclut les territoires palestiniens occupés - . Cette loi n'est pas seulement mauvaise pour les Arabes israéliens, elle l'est pour tous les Palestiniens. "
Claire Bastier
© Le Monde

9 août 2018

Nétanyahou, à la manœuvre à l'approche des législatives

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À peine les députés israéliens avaient-ils approuvé le projet de loi " Etat-nation du peuple juif ", le 19  juillet, que la perspective des prochaines élections flottait déjà dans l'air. Le premier ministre israélien, -Benyamin Nétanyahou, prépare le terrain pour la campagne des législatives prévues fin 2019, il ménage donc son électorat. D'où son empressement à faire adopter le texte, en fin de session d'été de la Knesset.
Les dernières semaines ont été agitées au sein de la coalition au gouvernement. La droite s'est divisée sur la manière d'intervenir à la lisière de la bande de Gaza, dans le sud d'Israël. Le premier ministre s'opposait à un conflit armé avec le Hamas à Gaza, alors que certains de ses ministres l'y poussaient. En outre, l'hypothèse d'un cessez-le-feu à long terme avec le mouvement islamiste, dans le cadre de négociations en cours, irrite la droite dure qui participe au gouvernement, notamment le ministre de l'éducation, Naftali Bennett (Le Foyer juif), l'un des principaux rivaux de M. Nétanyahou dans la coalition.
En prenant l'initiative du vote de la Loi fondamentale " Etat-nation ", le premier ministre a voulu indiquer à ses électeurs qu'il poursuivait son agenda nationaliste, contrairement à la gauche. L'initiative paie : dans un sondage paru sur le site Walla fin juillet, 75  % des militants du Likoud, le parti qu'il dirige, soutenaient le texte.
Plusieurs enquêtes pour corruptionM.  Nétanyahou ne s'attendait cependant pas à ce que la loi suscite tant de réactions, en particulier chez les Druzes israéliens, traditionnellement discrets. Il a donc tenté d'apaiser leur colère, mais le paquet législatif offert ne les a pas convaincus. Le 4  août, à Tel-Aviv, 50 000 Druzes, selon les estimations, ont manifesté contre la loi, aux côtés de dizaines de milliers de Juifs israéliens.
L'opposition se mobilise aussi contre la loi, tout en anticipant les élections de 2019. Le 4  août, le président de l'Union sioniste, Avi Gabbay, et la nouvelle chef de l'opposition, Tzipi Livni, ont annoncé que, en cas de victoire au prochain scrutin, ils feraient de la déclaration d'indépendance de 1948 la Constitution israélienne, afin de rétablir le principe d'égalité entre tous les citoyens, absent de la présente législation.
Trois recours ont été déposés à la Cour suprême pour contester la Loi fondamentale. Enfin, à la demande de 52 députés d'opposition, une séance extraordinaire a été convoquée par le Parlement israélien, mercredi 8  août : les débats porteront sur " les atteintes aux valeurs d'égalité et de démocratie ", mais aucune décision ne devrait être prise.
Le temps joue contre M. Nétanyahou, qui fait l'objet de plusieurs enquêtes pour corruption. Il est notamment suspecté d'avoir bénéficié des largesses d'hommes d'affaires et de s'être entendu avec un patron de presse pour obtenir une couverture médiatique plus favorable. Misant sur le volet nationaliste pour faire oublier les soupçons, le Premier ministre est déjà en campagne et pourrait être tenté de convoquer des élections anticipées afin d'obtenir la réaffirmation de son soutien populaire.
Cl. Ba.
© Le Monde

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