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vendredi 3 août 2018

Réchauffement : 2017, année de tous les records


3 août 2018

Réchauffement : 2017, année de tous les records

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 L'année 2017 a été l'une des trois plus chaudes jamais enregistrées depuis la fin du XIXe siècle, selon le rapport, le 1er août, d'une agence fédérale américaine
 La concentration de gaz a effet de serre dans l'atmosphère est sans précédent depuis 800 000 ans, selon l'étude des gaz dans les carottes glaciaires
 Les températures ont excédé de 0,38 °C à 0,48 °C celles de la période 1981-2010, la glace polaire fond et le niveau des mers a gagné 7,7 cm depuis 1993
 La canicule fait flamber le prix des céréales ; le cours du blé a atteint les 200 euros la tonne, un record depuis 2015
Pages 6-7 et 11
© Le Monde


3 août 2018.

Climat : 2017, année de tous les records

Températures, gaz à effet de serre, événements extrêmes… Tous les indicateurs du réchauffement sont au rouge

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DES CENTRALES EDF POURRAIENT ÊTRE EN PARTIE ARRÊTÉES À CAUSE DE LA CANICULE
L'opérateur français EDF a annoncé, mercredi 1er août, que -l'élévation de la température du Rhône, en raison de la canicule, pourrait conduire à l'arrêt, à partir du 3 août, de certaines tranches des centrales nucléaires situées à proximité du fleuve. Les réacteurs concernés sont les deux tranches de la centrale de Saint-Alban, située en Isère sur le bord du Rhône à 50 kilomètres en aval de Lyon, ainsi que les tranches 2 et 3 de la centrale du Bugey, dans l'Ain, située sur la rive droite du Rhône, à 25 kilomètres à l'est de Lyon, précise l'opérateur historique d'électricité sur son site Internet. Les centrales utilisent l'eau du fleuve pour refroidir leurs circuits.
Les années se suivent et les records s'enchaînent, sans que rien semble pouvoir enrayer l'emballement climatique. A l'échelle du globe, 2017 a été l'une des trois -années les plus chaudes de l'histoire moderne, se classant, selon les données utilisées, à la deuxième ou à la troisième place sur un podium où figuraient déjà, dans l'ordre, 2016 et 2015.
Mais la surchauffe planétaire est d'autant plus notable que, cette fois, elle ne doit rien au phénomène El Niño, ce cycle naturel de réchauffement des eaux du Pacifique qui, tous les trois à sept ans, tire les températures vers le haut, et dont l'influence s'était fait fortement ressentir en 2015 et 2016. Les douze mois de 2017 se hissent donc au rang d'année sans El Niño la plus torride depuis le début des relevés, à la fin du XIXe siècle.
C'est ce qu'indique le rapport sur l'état du climat en  2017, publié mercredi 1er  août par la National Oceanic and Atmospheric Administration, l'agence fédérale américaine chargée de l'observation des océans et de l'atmosphère. Une synthèse annuelle établie en collaboration avec l'American -Meteorological Society et à laquelle ont contribué plus de 500 scientifiques de soixante-cinq pays, qui ont compilé plusieurs dizaines de milliers de mesures.
" Le rapport établit que les principaux indicateurs continuent de montrer des tendances confirmant un réchauffement planétaire ", soulignent les chercheurs. Revue de détail d'une planète en ébullition.
Gaz à effet de serre La concentration dans l'atmosphère de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d'azote…) a atteint un nouveau pic en  2017. Elle s'est élevée à 405 parties par million (ppm) pour le CO2, soit 2,2 ppm de plus qu'en  2016. L'étude des gaz emprisonnés et conservés dans les carottes glaciaires montre que cette concentration est sans précédent depuis… 800 000 ans. Il faut s'attendre à une accentuation du réchauffement dans les années à venir, dans la mesure où, après trois années de stagnation, les émissions mondiales de CO2 sont reparties à la hausse en  2017, en progressant de 2  %.
Températures terrestres Globalement, les températures à la surface de la Terre ont excédé de 0,38 0C à 0,48 0C la moyenne de la période 1981-2010. Les quatre dernières années (2014-2017) sont ainsi les plus chaudes jamais mesurées. Plusieurs pays, comme l'Argentine, la Bulgarie, l'Espagne ou l'Uruguay, ont enregistré des records absolus de températures annuelles moyennes. Des pointes de 43,5 0C ont été relevées en janvier, en Argentine, et de 53,5 0C en août, dans l'ouest du Pakistan.
Océans Les températures moyennes à la surface des océans, elles, sont restées légèrement en dessous de celles de 2016. Mais les trois dernières années ont été les plus chaudes jamais mesurées, avec, depuis 2000, une hausse moyenne de 0,17 0C par décennie.
La partie supérieure des océans (jusqu'à 700 mètres de profondeur) a accumulé une quantité de chaleur inégalée. Il s'agit d'un indicateur crucial du réchauffement, car les océans absorbent plus de 90  % de la chaleur additionnelle due au gaz à effet de serre, dont 1  % seulement va dans l'atmosphère, le reste se partageant entre les glaces et les sols.
Il en est résulté une poursuite du phénomène de blanchissement massif des coraux, qui s'est étalé sur une période inusitée de trois ans (de juin  2014 à mai  2017), provoquant, dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique, des mortalités sans précédent, allant jusqu'à 95 % pour certaines formations coralliennes.
Quant au niveau moyen des mers, il a atteint, lui aussi, un nouveau record, en se situant 7,7  cm plus haut qu'en  1993, début des mesures altimétriques par satellites. L'élévation des océans est ainsi de 3,1  cm par décennie.
Arctique et Antarctique Année rouge, également, pour les régions polaires. Au nord, la température terrestre a surpassé de 1,6 0C la moyenne de la période 1981-2010, sans atteindre toutefois le niveau de 2016. L'étendue maximale de la glace de mer Arctique, au début du mois de mars, a été la plus faible depuis le début des observations satellitaires en  1980. Et son étendue minimale, en septembre, était inférieure de 25  % à la moyenne de la période de référence. En Antarctique aussi, la banquise a été mise à mal pendant une grande partie de l'année, avec, de janvier à avril, une surface réduite comme jamais au cours des trois dernières décennies.
Précipitations et sécheresses Les pluies extrêmes ont été, de façon générale, plus abondantes que la moyenne, avec des épisodes torrentiels dévastateurs en Inde, durant la saison des moussons, au Venezuela, en août et septembre, ou au Nigeria, au cours des deux mêmes mois. La Russie, de son côté, a connu l'année la plus humide depuis 2013. A l'inverse, après avoir baissé d'intensité au début de l'année, les sécheresses sévères ou extrêmes n'ont épargné aucun continent. Elles ont frappé particulièrement certaines parties de l'Amérique du Sud, de l'Afrique, de l'Inde, de la Russie, de la Chine et de l'Australie.
Une situation qui a contribué à attiser des incendies très destructeurs en Colombie-Britannique (Canada), en Espagne ou au Portugal, même si, sur le front des feux, l'année écoulée a été la plus calme à l'échelle mondiale depuis 2003.
Ouragans Avec 85 cyclones tropicaux, 2017 a légèrement dépassé la moyenne annuelle de 82  événements observée sur la période 1981-2010. Seul le bassin nord-atlantique a connu une activité cyclonique nettement plus prononcée que la moyenne, avec en particulier les ouragans -Harvey, fin août-début septembre au Texas et en Louisiane, ainsi qu'Irma et Maria, en septembre, dans les Caraïbes, d'une intensité exceptionnelle, avec des vents atteignant respectivement 295 km/h et 280  km/h.
Pierre Le Hir
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3 août 2018

En plein désert, les vertes pelouses de Saint George

Les guerres de l'eau aux États-Unis4I6La ville de l'Utah veut pomper les eaux du lac Powell, déjà à moitié vide

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Les habitants ont l'habitude de dire que ce lieu est le paradis neuf mois par an, mais qu'il faut subir trois mois d'enfer. En cette fin juin, sur la route menant de Salt Lake City à Las Vegas, c'est l'enfer – la température de 42 0C n'a un peu baissé que lorsque la fumée d'un gigantesque incendie de forêt a occulté le soleil. Les cultures sont irriguées à l'ancienne, par aspersion d'eau. Enfin, on arrive au lotissement de Sand Hollow, à quinze kilomètres de Saint George. Un golf – en fait deux, un de dix-huit trous et un de neuf – sur lequel s'aventurent quelques inconscients, et des maisons chics.
Sandy Shepperd, 70 ans, est arrivé à Sand Hollow il y a trois ans. Il a fait construire sa maison pour 400 000  dollars (environ 350 000  euros). Pendant l'été, il va se réfugier dans les montagnes plus fraîches, mais le reste de l'année, il joue au golf en plein désert. Rien de très écologique, même si la végétation désertique a été plantée pour réduire la surface du green : l'eau n'est même pas recyclée. Le golf est alimenté par les " fuites naturelles " d'un réservoir adjacent, qui a permis de créer en passant une petite base nautique. Sandy Shepperd aime sa nouvelle vie et apprécie la compagnie des nouveaux venus. " On n'est pas uniquement avec des mormons, comme à Saint George ou Salt Lake City ", confie-t-il.
Ils arrivent par milliers dans le sud-ouest de l'Utah, moins cher que la Californie, plus tempérée que le nord de l'Etat, aux hivers rigoureux. En  1970, ils n'étaient que 13 000 dans cette oasis traversée par la rivière Virgin, qui tient plus du ruisseau que de la rivière. Ils sont aujourd'hui 170 000 à Saint George, dans cette ville arborée où des jeunes se retrouvent dans les restaurants mexicains, et seront sans doute 500 000 en  2060.
" Le marché est bon et les prix vont continuer de monter ", se réjouit l'agente immobilière Anne Cooper, qui vend les lots de Sand Hollow. Un destin à la Las Vegas, dont le comté hébergeait 16 000 habitants en  1940 et en recense aujourd'hui 2,2  millions. Mais pour faire le succès de Vegas, il a fallu le jeu, le spectacle… et l'eau du Colorado, stockée dans le lac Mead grâce au Hoover Dam, barrage pharaonique construit dans les années 1930.
Saint George, elle, ne veut pas des jeux – on est dans l'Etat des mormons – mais manque cruellement d'eau.Les autorités de la villese sont donc mis en tête de créer un pipeline long de 220 kilomètres pour aller pomper l'eau du lac Powell. Un projet estimé à 1,4  milliard de dollars, qui exigerait quatre pompes pour monter en altitude de 500 mètres avant de redescendre vers Saint George, produisant au passage – un peu – d'électricité pour atterrir dans le réservoir de Sand Hollow, en face du golf.
Achevé en  1963 en amont du Grand Canyon, le lac Powell est le deuxième lac-barrage créé sur le fleuve Colorado (après le lac Mead, qui alimente Las Vegas). Ce lieu lunaire, à cheval sur l'Arizona et l'Utah, servit de décor à La Planète des singes et fut transformé en station balnéaire dans les années 1980.
Enarrivant à l'hôtel, on voit bien que quelque chose cloche : on avait réservé un établissement au bord de l'eau, mais il se trouve à flanc de montagne et il faut descendre longtemps pour rejoindre la marina, qui semble ensablée. Explication : le niveau du lac Powell a baissé de 30 mètres depuis le plus haut atteint en  1983. Il est à moitié vide, les traces blanches sur la roche attestent du retrait des eaux. L'affaire du pipeline lac Powell-Saint George est en passe de déclencher une guerre de l'eau et relance le débat sur l'American way of life.
Le précieux liquide gaspilléSelon Zach Frankel, patron de l'ONG Utah Rivers Council, Saint George n'a pas besoin de ce pipeline. Chiffres à l'appui, ce militant écologiste montre comment " l'Utah est le plus grand consommateur d'eau des Etats-Unis ". Saint George est la championne, avec une consommation par habitant (particuliers, entreprises, jardins, piscines, en excluant l'industrie et l'agriculture) de plus de 1 200 litres par jour. Beaucoup plus que les 850 de Las Vegas ou les 680 litres quotidiens d'Austin. Et cette consommation s'expliquerait par la politique tarifaire de la ville, qui gaspillerait le précieux liquide.
Les villes " écolos " facturent à prix modeste l'eau de première nécessité, mais décuplent leurs tarifs dès qu'un certain volume est franchi. Ainsi, au-delà de 115 mètres cubes par mois, Seattle, l'une des villes les plus humides des Etats-Unis, facture le mètre cube au prix prohibitif de 4  dollars. Saint George présente une facture neuf fois plus faible et fournit l'eau gratuite pour la consommation jugée minimale. Hausse des prix et réduction de la consommation permettraient, selon Zach Frankel, d'éviter le pipeline, dont le coût ainsi rendrait le prix de l'eau prohibitif.
Ronald Thompson, directeur général de la Société des eaux du comté de Saint George, réfute cette analyse. " Nous avons réduit notre consommation de 30  % depuis l'an 2000 et allons faire encore 20  % ", assure-t-il. On commence à entrer dans une querelle de chiffres que nul ne parvient réellement à démêler : sa ville est pénalisée dans les classements de consommation par habitant, car le nombre d'habitants retenus n'inclut pas les touristes et les nombreux propriétaires de résidences secondaires.
Plus fondamentalement, Ronald Thompson considère l'eau comme un bien public, gratuit. " L'eau est un bien essentiel. Nul ne peut survivre sans. Nous ne voulons pas facturer plus que cela nous coûte ", explique-t-il. Le budget de la société est même largement financé par les taxes foncières pour baisser la facture des particuliers. Quant à la facturation dissuasive vantée par les ONG, en fonction de la consommation, il la juge virtuelle, nul ne consommant au-delà de la limite où les prix flambent. Pour lui, il s'agit du meilleur projet disponible, la ville ne pouvant pas se permettre de dépendre uniquement de la petite rivière Virgin.
" Il y a une source unique d'eau à Saint George, c'est la rivière Virgin. Et elle aussi sera affectée par le changement climatique ", s'agace John Fredell, chef du projet du pipeline qui vient d'achever dans le Colorado un projet similaire dans les délais et les coûts impartis.
Les hommes de Saint George ont le soutien, à Salt Lake City, du gouvernement républicain de l'Utah, qui supervise le projet. " Notre rôle, en tant qu'Etat, c'est de planifier. On ne veut pas finir comme la ville du Cap, en Afrique du Sud, où ils ont dû distribuer de l'eau avec des hommes armés, faute d'avoir anticipé la consommation ", estime Jœl Williams, qui s'occupe du projet. Est-il raisonnable de construire des villes en plein désert ? Ronald Thompson, au fond, ne veut pas trancher la question : " Les gens sont libres de s'installer où ils veulent, ce n'est pas l'Etat qui décide. "
Facturation dissuasiveC'est là qu'intervient Lisa Rutherford. Cette femme de 70 ans s'est installée à Saint George en  2001, après avoir travaillé pendant trente ans en Alaska pour une compagnie pétrolière. Elle s'est vite inquiétée de l'explosion démographique de la ville. On lui reproche d'être un peu comme ces nouveaux arrivés, qui rêvent de rester éternellement les derniers arrivés pour préserver leur lieu d'adoption. Lisa Rutherford s'en défend. " Je ne suis pas une décroissante. Je sais que la ville va grandir, mais je pense qu'il y a assez d'eau ", accuse la dynamique retraitée, qui reproche aux habitants de ne pas renoncer à leurs pelouses, et aux golfs d'utiliser de l'eau non recyclée. Et puis, accuse Lisa Rutherford, " le pipeline ne sera pas à même de garantir l'approvisionnement ".
C'est le second grand débat, l'assèchement du lac Powell pourrait rendre le pipeline inopérant. Car le débit du Colorado, qui fournit de l'eau à 35  millions de personnes dans le Sud-Est américain et irrigue 20 000 kilomètres carrés (l'équivalent de 3,6 départements français), s'est réduit de 20  % environ dans les quinze premières années du siècle, par rapport au XXe  siècle. En cause, la sécheresse– les précipitations ont reculé de 4,5  % – mais surtout le réchauffement. Désormais, la pluie a bien souvent remplacé la neige. La première s'infiltre dans la terre ou s'évapore, à la différence de la seconde, qui stockait l'eau l'hiver puis, en fondant brutalement et tardivement, remplissait le lac Powell.
Le débit du Colorado va-t-il se réduire d'un tiers, comme le craignent certains experts ? Nul ne le sait vraiment, mais la question est désormais posée de la répartition des eaux, entre les sept Etats qui se partagent l'immense bassin du Colorado – le Wyoming, le Colorado, l'Utah, au nord, qui " fournissent " l'essentiel de l'eau ; et l'Arizona, le Nouveau-Mexique, le Nevada et surtout la Californie au sud, qui la consomment. Le traité, signé en  1922, a partagé les eaux et donné des priorités aux Etats du Sud.
Les officiels de l'Utah s'agacent des reproches des ONG. " Le prélèvement prévu est de 100  millions de mètres cubes par an - 1/70e de la Seine en amont de Paris - . Il est inférieur au quota de 370  millions de m3 auquel l'Utah a droit, et surtout représente moins de 0,5  % des eaux du lac Powell. On ne va pas l'assécher ", proteste Jœl Williams.
" Il est faux de dire qu'il y aurait une coupure  d'eau ", accuse John Fredell, qui estime que chaque Etat ferait un effort proportionné. Le débat porte sur l'interprétation des droits de chacun. L'Arizona et la Californie s'approvisionnent largement dans le lac Mead sur le barrage Hoover, dont le niveau n'est maintenu à niveau que grâce aux lâchers, en amont, du lac Powell. " C'est notre eau et ils ne nous remercient pas ", estime Patrick Painter, ancien représentant de l'Utah. Dans cette affaire, l'Etat veut défendre ses droits, l'Arizona s'inquiète, car en cas de pénurie, c'est la Californie, avec la mégalopole de Los Angeles, et son agriculture, qui aurait la priorité. Une situation qui agace à Saint George. " Quand on utilise 80 % de l'eau pour l'agriculture, on se dit qu'il doit y avoir un moyen de l'utiliser mieux ", assure M. Thompson, qui estime avoir droit à son quota d'eau, d'autant que son projet de pipeline est destiné aux humains. Que les lacs Powell et surtout Mead tombent sous leur niveau minimal – ce qui pourrait arriver d'ici à 2020 –, et c'est la guerre de l'eau qui sera déclenchée.
Arnaud Leparmentier
© Le Monde

3 août 2018

La canicule fait flamber les prix des céréales

Sur Euronext, la hausse des cours du blé a été de 20 % depuis la mi-juillet. Le prix de l'orge brassicole a bondi

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LES ÉLEVEURS BOVINS SUR LE QUI-VIVE
" Trois fois par jour, nous allons vérifier que les bovins ont assez d'eau. Chacun d'eux boit 120 litres par jour ", dit Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine. Avec la canicule, les éleveurs sont sur le qui-vive. " L'ombre est importante. D'où l'intérêt des haies ", ajoute-t-il. Autre sujet d'inquiétude : l'alimentation. " L'herbe pâturée ne pousse plus. Il faut nourrir les vaches avec les stocks de fourrage ", précise Thierry Roquefeuil, président de la Fédération nationale des producteurs de lait. Pour lui, cette situation, classique dans le Sud, se généralise désormais. Mais les vaches mangent moins et produisent moins. L'été, le prix du lait monte. Sodiaal l'a fixé à 340  euros la tonne en août.
Le cours du blé s'échauffe. La barre des 200  euros la tonne a été franchie fin juillet. Un niveau que cette céréale n'avait plus atteint depuis 2015. " Cette montée des prix redonne le moral aux céréaliers, alors qu'en juin l'ambiance était mauvaise et le mécontentement commençait à s'exprimer ", raconte Philippe Pinta, président de l'Association générale des producteurs de blé (AGPB). Il se dit surpris par cette hausse soudaine : " Tout le monde s'est planté dans les prévisions ", affirme-t-il.
En fait, le cours des céréales a suivi le niveau du mercure. La -sécheresse, qui a touché de nombreuses zones géographiques en juin et juillet, a bousculé le jeu. La France n'échappe pas à la règle. Les agriculteurs ont eu des sueurs froides en voyant le thermomètre monter. Les températures excessives ont affecté les grains dans la dernière ligne droite, lorsqu'ils se remplissent. Du coup, un peu ratatinés, ils pèsent moins lourd dans la balance et les producteurs ont vu une part de leur récolte s'envoler. " On tablait sur une -production de 38 à 40  millions de tonnes de blé, on l'estime aujour-d'hui à 35  millions de tonnes ", explique M.  Pinta. A comparer à la très belle moisson de 2017, à 36,6  millions de tonnes.
Moisson de grande qualitéMais la canicule a eu des effets plus dévastateurs dans d'autres pays. En particulier en Russie. Le premier pays exportateur mondial de blé devrait voir le niveau de ses silos baisser de près de 20  %, à 68,5  millions de tonnes, après, il est vrai, une plantureuse récolte en  2017. L'Allemagne est également très affectée, avec une perte estimée à 8  millions de tonnes de blé. De plus, les craintes sur une dégradation des conditions de culture aux Etats-Unis montent. Toutes ces nouvelles et ces révisions à la baisse des niveaux de production font monter les cours.
Sur Euronext, la hausse a été de 20  % depuis la mi-juillet. De quoi redonner le sourire aux céréaliers français. D'autant que même s'ils ont perdu un peu de volume, ils bénéficient d'une récolte de grande qualité. Le taux de protéine, un critère retenu pour les appels d'offres internationaux, est très bon, proche des 12  %. Pas question de donner des consignes, mais l'AGPB laisse entendre que les agriculteurs ont intérêt à profiter de l'aubaine en vendant maintenant au moins une partie du grain. L'enjeu : engranger des liquidités et améliorer la situation des comptes bancaires rincés par deux années de prix bas.
M.  Pinta veut rester prudent : " En  2015, le prix était monté, après la moisson, à plus de 200  euros, et était retombé à 150  euros en octobre ", souligne-t-il avant d'ajouter que " les stocks mondiaux sont -importants ". C'est le cas en France, où les exportations ont été contrariées la saison dernière par le rouleau compresseur russe. Avec 3  millions de tonnes en stock et la nouvelle récolte, les céréaliers français espèrent reconquérir les positions perdues. Sachant que la filière céréalière française a pesé 9,5  milliards d'euros en  2017.
Le blé n'est pas la seule céréale dont le prix est attisé par la canicule. L'orge voit aussi son cours progresser au fur et à mesure des révisions à la baisse des récoltes. Là encore, les pays du nord de l'Europe ont été les plus touchés. En France, les céréaliers s'en sortent avec un minimum de dommages, même si leurs espoirs en la matière ont aussi été déçus. Ils ont engrangé entre 9 et 10  millions de tonnes d'orge d'hiver avec un rendement dans la moyenne quinquennale, mais inférieur à celui de 2017.
Résultat, le cours de l'orge brassicole a bondi de 15  % en un mois et se négocie à 233  euros la tonne. Un renchérissement qui n'est pas du goût des brasseurs. Le prix du colza progresse également, mais moins fortement, alors que la production française est qualifiée de " mitigée ". Les incertitudes sur la filière européenne des agrocarburants pèsent sur les cours.
Comme toujours, ces données d'ensemble ne décrivent pas les réalités vécues sur le terrain. Même si la canicule est assez généralisée, des épisodes de grêle, de pluie, ont parfois eu d'autres conséquences, affectant de manière plus hétérogène les régions, voire les exploitations. Ces particularités s'illustrent notamment cette année, avec le blé dur. Si la baisse de récolte globale est estimée entre 15  % et 20  % par rapport à 2017, le Centre s'en sort très bien quand le Sud est sévèrement meurtri.
Pour les cultures en cours de développement, comme le maïs, la betterave ou la pomme de terre, les agriculteurs croisent les doigts. " La betterave peut supporter des hautes températures, mais la plante évite alors de dépenser de l'énergie et ne pousse pas. Elle manque d'eau. On peut dire que nous n'aurons pas de gros rendements ", estime Eric Lainé, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves. Alors que le cours du sucre est au plus bas depuis trois ans, des agri-culteurs pourraient être tentés de réduire la surface plantée en betteraves au printemps prochain, surtout si le prix des céréales remonte durablement.
Quant au maïs, les voyants sont au vert. " Pour le moment, la chaleur a été bénéfique. Elle a permis de rattraper le retard pris en début de campagne. Et nous avons des ressources pour l'irrigation. Mais il ne faudrait pas dépasser trop longtemps les 36 ou 37 degrés ", estime Céline Duroc, directrice générale de l'Association générale des -producteurs de maïs. Autre motif de satisfaction, le cours de cette céréale progresse dans le sillage de celui du blé…
Laurence Girard
© Le Monde

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