Cinquante-cinq boîtes devaient être débarquées, mercredi 1er août, d'un avion-cargo de l'US Air Force sur la piste de la base de Pearl Harbor, à Hawaï, par une garde d'honneur de l'armée américaine, sous le regard du vice-président, Mike Pence. Les équipes médico-légales du Pentagone devront établir si elles contiennent, comme l'a soutenu la Corée du Nord en les transférant à l'armée américaine le 27 juillet, les restes de soldats américains tombés au Nord durant la guerre de Corée (1950-1953). " Nous ne savons pas qui se trouve dans ces boîtes ", avait prudemment expliqué ce jour-là le secrétaire à la défense, James Mattis.
Outre une promesse de
" dénucléarisation complète " sans détails ni calendrier, Donald Trump avait obtenu, lors de sa rencontre à Singapour avec Kim Jong-un le 12 juin, un engagement à rapatrier les restes des disparus de la guerre de Corée. De quoi nourrir l'espoir des familles, et le sentiment que le président obtient des avancées de Pyongyang à l'approche des élections de mi-mandat, en novembre.
" Tout le monde espère que ce sont bien nos soldats, même si les brèves observations réalisées au cours de l'étape en Corée du Sud n'ont rien donné dans l'immédiat ", précise Rick Downes, dont le père a été tué au combat en 1952, et qui dirige la Coalition des familles de disparus de la guerre de Corée.
Les restes de 5 300 soldats américains pourraient se trouver en Corée du Nord. Entre 1990 et 1994, le pays avait remis 208 boîtes aux Américains. Elles contenaient des os entremêlés d'environ 400 individus, dont 151 seront identifiés comme des soldats américains.
Mais ces boîtes révèlent alors le peu de soin et de technique de Pyongyang. Dans l'une d'elles ont été retrouvés un morceau de crâne et cinq fémurs présentés comme appartenant à un seul homme, en un défi aux lois de l'anatomie.
" Les Nord-Coréens voient la question des dépouilles mortelles comme un facteur politique qui peut être utilisé pour apaiser les Américains. Quand il faut des restes, ils en trouvent ", assure l'expert Paul Cole, qui a travaillé quatre ans au Laboratoire central d'identification du département de la défense, à Hawaï.
Selon lui, une série de 46 de ces boîtes ne contenait aucun ossements de soldat américain, signe de l'absence de savoir-faire ou de la négligence nord-coréenne. Dans ses Mémoires, un ancien numéro deux de l'ambassade de Corée du Nord à Londres, qui a fait défection au Sud en 2016, raconte comment les autorités britanniques se sont plaintes après la restitution en 2011 d'une valise contenant non pas les restes d'un lieutenant de la Royal Air Force, mais ceux d'animaux.
Pour pallier ces défaillances, après un accord sur le gel du programme nucléaire nord-coréen ouvrant une phase d'apaisement avec Pyongyang en 1994, l'administration de Bill Clinton était parvenue à obtenir l'organisation de missions conjointes sur le terrain. Durant un à deux mois, au printemps, des groupes de soldats américains effectuent alors des recherches avec l'armée nord-coréenne, une avancée majeure pour deux pays encore techniquement en état de guerre.
Trente-deux missions de ce type sont organisées entre 1996 et 2005, pour chercher des os abîmés et éparpillés par les inondations, les travaux et autres activités au cours des décennies sur les sites connus de défaites américaines ou de détention de prisonniers de guerre.
" Image diabolique "En échange, la République populaire démocratique de Corée demande une indemnisation : il en coûtera 28 millions de dollars environ aux Etats-Unis sur cette décennie. Auxquels s'ajoutent de multiples 4 × 4, vans et autres équipements à livrer et laisser sur place. Selon un rapport au Congrès de 2005, cette coopération a permis d'identifier 229 lots de corps – qui parfois se limitent à un ou deux morceaux d'os – dont 153 ont été identifiés. Ce programme sera ensuite suspendu, victime de la détérioration de la relation américano-nord-coréenne.
La Corée du Nord avait expliqué aux diplomates américains, ces dernières années, qu'elle avait encore environ 200 lots d'ossements. Le secrétaire à la défense, James Mattis, voit dans le transfert de la fin juillet les prémisses d'une possible reprise des opérations de recherche conjointes.
" C'est certainement quelque chose que nous souhaiterions explorer avec les Nord-Coréens, oui ", avait-il répondu à la presse le 27 juillet.
" La Corée du Nord comprend que restituer des corps corrige son image diabolique dans l'opinion américaine. Elle fait une concession sans l'affaiblissement stratégique que serait par exemple un retrait d'armes le long de la zone démilitarisée ou la suspension de l'enrichissement de matière fissile ", soutient Frank Jannuzi, ex-directeur Asie orientale pour les démocrates au sein du Comité sur la politique étrangère du Sénat américain, qui s'est rendu à Pyongyang dans le cadre du suivi de ces missions.
La présence de militaires américains est un risque pour la Corée du Nord, car ils amassent de l'information sur le niveau technique, la santé et le moral des troupes, mais c'est aussi une forme d'assurance. L'an dernier, Pyongyang a craint les menaces de frappes préventives des faucons qui entourent M. Trump ; il n'en est plus question avec des soldats américains présents sur son sol.
Cependant, réaliser de nouveaux paiements qui seraient exigés en contrepartie et livrer de nouvelles Jeep à l'armée nord-coréenne pourrait contrevenir aux sanctions qui visent la Corée du Nord. Or, M. Trump a promis qu'elles ne seraient levées qu'une fois la dénucléarisation effective.
Harold Thibault
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