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vendredi 3 août 2018

Droits humains : " L'ONU doit parler haut et fort "


2 août 2018

Droits humains : " L'ONU doit parler haut et fort "

Le haut-commissaire des Nations unies Zeid Al-Hussein s'inquiète de " l'ascension de l'autoritarisme "

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Le haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Zeid Ra'ad Al-Hussein, achève son mandat le 1er  septembre. Le diplomate jordanien de 54 ans dénonce dans un entretien au  Monde" l'ascension continue de l'autoritarisme, la continuation des rhétoriques populistes, les mensonges, les demi-vérités et les tromperies ".


Quelle est la situation des droits de l'homme aujourd'hui dans le monde ?

La pression sur les droits universels est une évidence. Les mécanismes et les lois sur les droits de l'homme doivent être défendus et promus en permanence. Tandis qu'on voit des progrès dans certains pays, comme récemment l'ouverture très encourageante aux droits civils et politiques en Ethiopie, on voit les terribles crimes perpétrés par des groupes extrémistes violents, on voit l'ascension continue de l'autoritarisme, la continuation des rhétoriques populistes, les mensonges, les demi-vérités et les tromperies. On voit la mise en cause de la nature universelle des droits de l'homme. Alors c'est une lutte. L'avancée pour le progrès humain a toujours été une lutte. Et j'ai le sentiment que l'accumulation des crises a atteint un point qui en fait un problème charnière.


Les atteintes aux droits de l'homme concernent donc à la fois des pays totalitaires et des pays démocratiques ?

Aucun pays n'est totalement exempt de violations des droits de l'homme. Aucun n'est totalement exempt d'un déficit concernant l'un des trois critères fondamentaux nous permettant de mesurer le comportement d'un pays : des gens sont-ils discriminés, des gens sont-ils malmenés, des gens vivent-ils dans la peur ? Je ne pense pas que quiconque puisse prétendre qu'il y ait de gouvernement parfait.


L'universalité des droits de l'homme est sans cesse remise en cause. Pourquoi les valeurs que vous défendez seraient-elles universelles ?

Si vous acceptez l'idée qu'il existe suffisamment de points communs entre êtres humains qui nous identifient comme étant une espèce, alors l'idée que nous naissons libres, que nous naissons avec le même droit d'accès aux droits humains, est une évidence.
Mon expérience est que, quand on parle aux victimes de violations des droits de l'homme, ils savent tous que les droits de l'homme sont universels. Il n'y a que ceux qui violent les droits de l'homme qui trouvent des excuses dans les traditions, les cultures, les circonstances. J'ai entendu les témoignages de victimes de beaucoup de pays, sur tous les continents, et ça ne varie pas : si vous avez souffert une perte, si un membre de votre famille a été détenu arbitrairement, s'il a disparu, s'il a été torturé, si quelqu'un a été privé de sa vie ou de sa liberté, la souffrance est identique.


La montée des populismes et des atteintes aux droits de l'homme dans des pays démocratiques, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, est-il un phénomène nouveau ?

Non. L'idée d'imposer aux autres un programme basé sur sa seule nationalité, en ne respectant aucune règle, l'idée que chacun devrait être " le premier ", que ce soit " America first " ou " n'importe qui first ", est une vieille idée qui a déjà donné des résultats catastrophiques. L'idée de créer un sentiment de peur au sein de peuples déjà anxieux des changements autour d'eux, l'idée d'évoquer une menace qui viendrait d'au-delà des frontières ou de minorités, sont de vieilles tactiques. Et ce n'est pas du génie : on sait que ça fonctionne à court terme, que ça peut faire gagner une élection.
Mais les conséquences à long terme sont catastrophiques. Une fois qu'un nationalisme s'est réellement implanté, le seul moyen d'en venir à bout est à travers le conflit. Vous ne pouvez pas créer un sens d'exceptionnalisme ou de supériorité au sein d'une société et dire un beau jour : " Au fait, nous nous sommes trompés, nous sommes tous égaux et avons les mêmes droits. " C'est pourquoi cette politique est extrêmement risquée. Le fait de voir l'autoritarisme revenir dans des parties du monde que l'on pensait acquises aux règles démocratiques, aux droits civiques et au respect des droits de l'homme, est profondément dérangeant.


D'où vient ce mouvement ?

Je pense que le réveil des nationalismes est dû au fait que, dans des cycles politiques à court terme et dans un contexte de multiples changements planétaires, la rhétorique nationaliste fonctionne. On blâme les migrants. Or, la réalité est que 4,5  % de la population mondiale est actuellement en mouvement. Cela signifie que 95,5  % des gens restent là où ils sont ! Toute cette psychose et cette pression, par exemple sur l'Union européenne, est le résultat de ces 4,5  % de gens en mouvement, quand bien même certains ne sont pas des Africains en route pour l'Europe : beaucoup de mouvements - de migrants - vont du Sud vers le Sud. Politiquement ça marche, mais sans aucune vision des conséquences.
D'un autre côté, le Bangladesh accueille soudainement 600 000 personnes - des Rohingya venus de Birmanie - . Le Bangladesh, qui n'est même pas signataire de la convention de 1951 sur les réfugiés, aurait pu miner sa frontière en prétextant une menace sécuritaire.
La source du problème est la xénophobie. Pour un xénophobe, peu importe que trois cents étrangers vivent à ses côtés ou un seul. Un seul suffit. Alors comment en finir avec la xénophobie ? Comment en finir avec la discrimination ?
En ex-Yougoslavie, là où j'ai commencé ma carrière, on sait ce qu'il est advenu lorsque ces idées ont été transformées en armes. On a vu les actes les plus cruels. Que voulaient-ils : des pays ethniquement purs ? Un retour au passé ? L'histoire de l'humanité a été sanglante et cruelle, et ils voulaient revenir à une époque d'arbitraire et d'injustice. L'idée que ce soit possible est insupportable.


Après le sentiment de progression des droits humains dans les années 1990, le tournant a-t-il été le 11-Septembre et la réponse qu'y a apporté l'administration Bush ?

Oui, certainement. La création de ce Haut-Commissariat pour les droits de l'homme en  1993, la création des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, puis l'établissement de la Cour pénale internationale, furent des étapes d'une importance considérable. Il y avait un sentiment du possible. Il suffit de regarder le nombre de traités et de conventions : beaucoup de travail a été effectué dans les années 1990.
Puis, avec le 11-Septembre et la guerre d'Irak, tout s'est progressivement compliqué. La crise irakienne fut un tournant, avec notamment le fait que la torture gagne de nouveau une sorte d'admissibilité.


Cette régression est-elle un succès pour Al-Qaida, deux décennies après sa déclaration de guerre ?

Il faut accepter le fait que des groupes extrémistes et violents peuvent perturber des sociétés avec leurs terrifiantes attaques, mais il est peu probable qu'ils puissent détruire la planète. Seuls les gouvernements peuvent détruire la planète. Dans le combat contre ces extrémistes, il faut appliquer strictement et intelligemment la loi. Il faut être respectueux des droits humains de chacun. Sinon l'Etat, au fil du temps, commence à ressembler au groupe qu'il combat.


Votre façon de dénoncer haut et fort toutes les atteintes aux droits de l'homme et le fait que vous vous soyez mis à dos -quasiment tous les Etats de la planète semblent faire débat au sein de l'ONU, notamment sur l'efficacité de la démarche. Qu'en pensez-vous ?

Je crois que l'ONU doit parler haut et fort. Revenons aux accusations centrales envers les Nations unies au moment du génocide des Tutsi du Rwanda : c'est que l'ONU n'a pas parlé au moment où elle aurait dû parler. Ce fut l'accusation principale contre l'ONU également en ex-Yougoslavie. La leçon de l'ex-Yougoslavie est aussi que si on s'autorise à être plus terrifié que les gens auxquels on parle, si l'ONU n'est pas respectée, si les règles ne sont pas respectées, alors c'est l'impunité, et le désastre arrive.
Ce que j'ai retenu de mon expérience en ex-Yougoslavie est que je préfère commettre une erreur en parlant haut et fort plutôt que de ne rien dire et de le regretter terriblement ensuite. Je le dis à mes collègues de l'ONU : personne ne se souviendra de vous pour votre silence.
Les défenseurs des droits de l'homme défendent les droits de chaque individu. Les autres défendent les droits d'une communauté particulière. C'est la différence. Défendre les droits d'une communauté contre d'autres communautés, c'est créer les conflits de demain. Les violations des droits de l'homme d'aujourd'hui sont les conflits de demain. Quelle humanité veut-on ? Une humanité où lorsqu'on est menacé par la guerre, la mort, personne ne vous accueille ? C'est ce que ces populistes tentent de -promouvoir. C'est de l'égoïsme. Et ce sera terrible si nous ne résistons pas.
Propos recueillis par Rémy Ourdan
© Le Monde


2 août 2018

Les droits à l'épreuve des " hommes forts "

L'unilatéralisme qui prospère dans plusieurs Etats complique la défense des droits universels

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LES DATES
10 décembre 1948
L'Assemblée générale des Nations unies adopte à Paris, par sa résolution 217, la Déclaration universelle des droits de l'homme. Le texte n'a qu'une valeur proclamatoire, sans réelle portée juridique.
20 décembre 1993
Création du Haut-Commissariat aux droits de l'homme, agence spécialisée des Nations unies. Il est basé à Genève.
DEMANDE DE LIBÉRATION DE MILITANTS SAOUDIENS
Les Nations unies ont demandé, mardi 31 juillet, la libération de militants des droits de l'homme détenus en Arabie saoudite. " Nous appelons le gouvernement saoudien à libérer sans condition tous les militants et défenseurs des droits de l'homme mis en prison en raison de leurs activités pacifiques, notamment pour les campagnes en faveur de la levée de l'interdiction faite aux femmes de conduire ", a déclaré la porte-parole du Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme, Ravina Shamdasani. Une quinzaine d'opposants ont été arrêtés depuis la mi-mai, dont l'avocate des droits de l'homme Hatoon Al-Fassi, interpellée alors qu'elle voulait prendre des journalistes à bord de sa voiture afin de célébrer la levée de l'interdiction de conduire pour les femmes.
C'est un anniversaire sans faste. Depuis soixante-dix ans, l'ONU a patiemment construit un édifice de protection des droits de l'homme qui reconnaît " la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables ". Cette déclaration proclame un " idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ".
L'universalité de ces droits est aujourd'hui menacée par des dirigeants qui assument et revendiquent ouvertement leur dédainpour les droits de l'homme, comme Vladimir Poutine en Russie, Donald Trump aux Etats-Unis, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, Rodrigo Duterte aux Philippines, ou encore, au sein de l'Union européenne, Viktor Orban en Hongrie.
Qualifiés d'" hommes forts ", ils partagent le même profil autoritaire, plus portés sur l'ordre, la sécurité, la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme violent que sur un ordre international fondé sur le respect de droits de l'homme défendant les individus contre les abus éventuels des Etats.
Est-ce seulement un hoquet de l'Histoire ? Les deux mandats de George W. Bush, aux Etats-Unis, ont jeté les bases, après le 11-Septembre et la " guerre au terrorisme ", d'un certain mépris américain pour les droits de l'homme. L'arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en  2017, élu sur la promesse de favoriser " l'Amérique d'abord ", n'a été que l'accélérateur de ce que le représentant français après des Nations unies, François Delattre, nomme " le momentjacksonien " des Etats-Unis – du nom du 7e président des Etats-Unis, Andrew Jackson, connu pour son populisme en politique intérieure et son isolationnisme en politique étrangère. Ce mouvement isolationniste et unilatéraliste a " brisé les digues ", explique Stéphanie David, chargée du plaidoyer pour la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) à l'ONU.
" Bête imparfaite "" Cette conscience universelle semble s'évaporer à un rythme alarmant ", a prévenu le haut-commissaire aux droits de l'homme de l'ONU, Zeid Ra'ad Al-Hussein. " De quel droit les Etats-Unis jugeraient-ils la situation des droits de l'homme dans d'autres pays ? ", a affirmé le président américain dans un entretien avec le New York Times. M. Trump a aussi vanté durant sa campagne le- " waterboarding ", la simulation de noyade, comme méthode d'interrogatoire. Il s'est retiré, comme la Hongrie, du pacte mondial pour une migration sûre, régulière et ordonnée, a appliqué à la lettre la politique de tolérance zéro en séparant les familles de migrants rentrés illégalement par la frontière mexicaine, a interdit d'entrée aux Etats-Unis les ressortissants de six pays musulmans et constamment attaqué la presse.
Les dirigeants populistes et autocrates n'en demandaient pas tant pour s'engouffrer dans la brèche ouverte par Washington. " La politisation et l'instrumentalisation des droits de l'homme par les Etats-Unis ont encouragé d'autres Etats, critiques du “deux poids deux mesures”, à faire de même ", remarque une diplomate d'un pays membre du Conseil de sécurité. A l'ONU, garante du respect des droits de l'homme, la dernière secousse a été l'annonce, en juin, du retrait des Etats-Unis du Conseil des droits de l'homme basé à Genève, " une bête imparfaite, certes, mais un outil qui a obligé un certain nombre d'Etats à faire des efforts sur les droits de l'homme ", estime une ONG observatrice.
" Défense des acquis "La bataille pour les droits de l'homme n'est pas nouvelle. L'ancien secrétaire général Ban Ki-moon (2006-2016) avait, à la veille de son départ, lancé un appel à ce que " les Nations unies continuent d'être le rempart contre les menaces aux droits de l'homme ". Mais c'est le même qui avait retiré l'Arabie saoudite de la liste noire des pays qui violent le droit des enfants – pour sa participation au conflit yéménite – sous la menace de représailles financières.
L'arrivée au secrétariat général de l'ONU, en janvier  2017, d'Antonio Guterres, ex-président de l'Internationale socialiste et ex-directeur du Haut-Commissariat pour les réfugiés, a suscité l'espoir de voir les droits de l'homme revenir au cœur du système onusien. Le 10  décembre 2017, à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'homme, n'a-t-il pas sonné l'alerte concernant une " hostilité perturbante " envers les droits de l'homme dans toutes les régions du monde ? Las, " il lui a fallu plus de six mois pour dire clairement que les droits de l'homme devaient être au cœur de sa diplomatie préventive. Et depuis, on attend toujours un véritable engagement dans ce sens ", regrette Stéphanie David.
La lente érosion des droits de l'homme a coïncidé avec un retour des grandes puissances sur l'échiquier mondial, avec la Russie et la Chine mais aussi des puissances régionales comme la Turquie, l'Arabie saoudite, l'Indonésie ou encore l'Egypte. " Ces pays sont de plus en plus mobilisés pour faire obstruction ", note une diplomate, qui assure que l'ONU " est désormais uniquement dans une position de défense des acquis – essentiellement le droit des femmes et des enfants – car la crispation du débat rend d'autres progrès plus difficiles ".
Cela se traduit par des tentatives répétées de réduire des postes dévoués aux droits de l'homme dans les opérations de maintien de la paix, des critiques envers des ONG dont la présence en tant qu'observateur est contestée, des baisses de financement pour certains programmes, ou encore l'incapacité à faire condamner l'utilisation des armes chimiques contre les civils en Syrie. " Le système est en train de s'effriter par pans,constate une diplomate. Cela a commencé avec les pays qui ont décidé de quitter la Cour pénale internationale – Burundi, Gambie, Afrique du Sud –, puis avec le retour de la peine de mort dans certains pays,et maintenant une politique de plus en plus répressive sous couvert de lutte contre le terrorisme. "
L'organisation s'apprête à célébrer le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies, en septembre, et le nombre de chefs d'Etat présents à l'événement enverra un signal important. " Le manque de leadership sur cette question est dramatique ", dénonce Stéphanie David. Une célébration en catimini serait un aveu désastreux.
Marie Bourreau
© Le Monde

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