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vendredi 3 août 2018

Enquête Benalla : les contradictions de l'Elysée.......A l'Assemblée nationale, ce jour où les oppositions ont relevé la tête...............


2 août 2018

Enquête Benalla : les contradictions de l'Elysée

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" Le Monde " a eu accès à l'enquête judiciaire sur les violences du 1er mai, qui met en lumière les hésitations et les contradictions du cabinet du chef de l'Etat
 Alexandre Benalla dit avoir prévenu l'Elysée le jour même de la manifestation et affirme avoir transmis les copies des vidéosurveillances au cabinet
" Il faut protéger le directeur de cabinet ", aurait -indiqué en mai l'Elysée, qui n'a saisi la justice qu'en juillet. Des armes ont aussi été saisies au siège de LRM
Dans un entretien, Richard Ferrand, président du groupe LRM, dit " ne pas assurer " que la révision constitutionnelle revienne devant le Parlement
Alors que deux motions de censure ont été rejetées, mardi 31 juillet, M. Ferrand affirme ne pas croire à un remaniement
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2 août 2018

A l'Assemblée nationale, ce jour où les oppositions ont relevé la tête

Sans surprise, les deux motions de censure défendues par la droite et la gauche ont été rejetées, à l'issue d'une folle journée au cours de laquelle l'" ancien monde " a donné de la voix

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Le premier a de Gaulle pour modèle, le second convoque Jaurès et Aragon. L'un cultive les terres conservatrices de Seine-et-Marne, l'autre est ancré dans une circonscription du Puy-de-Dôme acquise à la gauche. Tout oppose les députés Christian Jacob et André Chassaigne, président du groupe Les Républicains d'un côté, président du groupe communiste de l'autre. Tour à tour, les deux hommes ont porté une motion de censure du gouvernement d'Edouard Philippe, mardi 31  juillet. Mais ils ont parlé avec la même voix, les mêmes mots, et du même cœur, à la tribune de l'Assemblée nationale.
Revigorés le temps d'une journée, à l'unisson de leurs troupes, par la première crise d'ampleur subie par ce pouvoir macronien qui les a relégués au second plan depuis un an. Ragaillardis par ce qu'ils nomment de concert " l'affaire Macron-Benalla ", mêlant ostensiblement les noms du président de la République et de ce chargé de mission élyséen accusé d'avoir commis des violences lors des manifestations du 1er-Mai. Le temps d'un après-midi de débats, les oppositions ont ressurgi du placard de " l'ancien monde ".
Drôle de journée, où les touristes venus visiter les jardins et salons du Palais-Bourbon côtoient, sous une chaleur écrasante, des députés prêts à en découdre avec une majorité " arrogante ". Où de jeunes élèves arrivés de Mayotte pour visiter les palais de la République avec leur classe assistent par hasard à l'improbable amourette estivale de la droite et de la gauche.
" de simples digéreurs "C'est bien de cela qu'il s'agit quand deux adversaires s'applaudissent mutuellement, se congratulent, et opinent du chef aux bons mots de l'autre camp. Christian Jacob dénonce " l'éclosion d'une forme de police parallèle aux ordres de l'Elysée qui n'a pas pu se produire sans le soutien du président de la République " ? Les bancs " insoumis " rugissent de plaisir et applaudissent de bon cœur. Il dénonce " la République des copinages malsains ", " celle - qui - est de l'autre côté de la Seine, à l'Elysée " ? Droite et gauche approuvent à l'unisson.
A son tour, le communiste André Chassaigne séduit des deux côtés de l'Hémicycle quand il lance : " Ce qu'il y a de terrible dans votre refus de faire émerger la vérité, c'est qu'il fait de vous de simples digéreurs, intestins silencieux de la bouche élyséenne. " La majorité s'indigne et hue. Quelques minutes plus tôt, les " marcheurs " claquaient vigoureusement leurs pupitres pour couvrir la voix de l'orateur Jacob. Adoptant des pratiques qu'il y a peu, ils jugeaient révolues.
L'ancien temps semble avoir -refait son apparition à la faveur de l'été. Comme aux heures du programme commun ou de la gauche plurielle, socialistes, communistes et " insoumis " ont apposé leur paraphe en bas d'un même texte. Contraints, certes, par le seuil requis de 58 députés pour pouvoir déposer une -motion de censure ; mais unis par une même volonté politique de dénoncer la " dérive " du pouvoir, comme l'a souligné le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure. Ce " long catalogue de privilèges d'un autre âge " (Christian Jacob), " cette ultraconcentration des pouvoirs aux mains d'un monarque élu " (André Chassaigne), tous, sur les bancs de l'opposition, les conspuent. L'occasion de tenter de torpiller, dans le même mouvement, la révision constitutionnelle à venir, assimilée par les mêmes à une " réduction des pouvoirs du Parlement ".
Sur la pile de ses dossiers, le député (La France insoumise) Alexis Corbière a posé un petit livre à la couverture jaunie. Un " Que sais-je ? " sur les jacobins, ces -révolutionnaires – dont Robespierre fut l'une des figures de proue – qui firent rouler la tête du roi. Jean-Luc Mélenchon lance à la tribune : " Nous n'avons pas fini de détrôner les monarques, tout le temps et partout, dans la cité comme dans l'entreprise. " Il tonne contre le " régime ", lui qui prône l'instauration d'une Constituante et l'avènement d'une VIe République. Qu'importe si la perspective a de quoi faire blêmir ses amis de circonstance à droite, qu'ils soient gaullistes, bonapartistes ou libéraux.
Contre-attaqueFace à cette " soi-disant grande affaire ", le premier ministre, Edouard Philippe, rend coup pour coup. A la gauche, il rappelle l'affaire Cahuzac. De ces longs mois qui se sont écoulés avant l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire pour faire la lumière sur la fraude -fiscale ourdie par le ministre du budget de François Hollande. A la droite, le chef du gouvernement oppose l'affaire des sondages de l'Elysée. Des enquêtes d'opinion commandées sans appel d'offres par la présidence de Nicolas Sarkozy auprès de la société de son conseiller Patrick Buisson et qui n'avaient pas fait l'objet de la moindre commission d'enquête, en dépit des demandes répétées de l'opposition d'alors.
Aujourd'hui, le pouvoir s'enorgueillit d'avoir permis l'ouverture d'une telle commission après vingt-quatre heures. " Quel contraste, mesdames et messieurs les députés, avec les périodes précédentes. (…) Sans doute M.  Jacob, avez-vous conservé quelques souvenirs de cet épisode. Sans doute, M.  Faure, en avez-vous aussi quelques-uns plus amers. Je les ai pour ma part parfaitement en tête ", déroule, taquin, le premier -ministre. Qui plaide la modestie, en écho à Emmanuel Macron : " La République exemplaire n'est pas la République infaillible. " Mais, jure le locataire de Matignon, sous les dénégations de l'opposition : " Ce qui devait être fait l'a été ", avec notamment les licenciements de M.  Benalla et de son comparse Vincent Crase. " Les événements du 1er-Mai ne -disent rien du fonctionnement de la présidence de la République ", tente-t-il de convaincre.
La contre-attaque d'Edouard Philippe tient en un chiffre : " Quarante et un. " Comme le nombre de lois qu'il revendique avoir fait voter devant le Parlement depuis le début du quinquennat. " Que voulez-vous censurer ? ", interroge le premier ministre, qui cite, pêle-mêle, " les transformations du marché du travail, la politique fiscale qui vise à garder les investisseurs en France, le redressement des finances publiques, la réforme de la SNCF, qui tétanisait tous les gouvernements depuis vingt ans ". Texte voté, rappelle-t-il, par 74 députés LR.
Chauffés à blanc, les députés de La République en marche (LRM) exultent, se lèvent pour saluer le discours de leur chef, tout comme celui de Richard Ferrand, leur président de groupe. " On a carte blanche, la majorité est devenue politique. On nous a dit : - “Mobilisation” ", rapporte le député LRM de la Vienne, Sacha Houlié. " Edouard Philippe a donné une bonne leçon de respect des institutions et même de gaullisme à ceux qui s'en réclament ", se félicite Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'Etat auprès du ministre des affaires étrangères.
Un enthousiasme qui rend sceptiques certains députés de la majorité. " Ces motions de censure sont le résultat de l'arrogance d'un parti tout-puissant qui se targue d'appartenir à un nouveau monde mais qui ne laisse aucune place -à ce qu'il appelle l'ancien ", regret-te la députée LRM des -Alpes-de-Haute-Provence, Delphine Bagarry. Un " ancien monde " qui balaie le discours du premier ministre d'un revers de la main. " C'était service minimum : un discours de secrétaire d'Etat chargé des relations de -l'Elysée avec les députés ", raille ainsi le député LR de l'Yonne, Guillaume Larrivé. La gauche, elle, critique par la voix du député des Landes Boris Vallaud " un mauvais discours de politique générale ".
Venu en soutien, Marc Fesneau, président du groupe MoDem, condamne pour sa part les " improbables " et " si incompréhensibles " alliances du jour entre gauche et droite. " Vous n'avez toujours pas accepté le sort des urnes de 2017, lance-t-il. En  2017, c'est une motion de -censure du peuple français tout entier que vous avez reçue. " Et de lancer : " Qu'avez-vous en commun ? Rien. "
" Alliance contre-nature "La passion est par nature passagère, de toute façon. Et celle entre droite et gauche montre déjà des signes d'usure. A l'heure des votes, chacun regagne son lit. Les Républicains, à l'exception de deux d'entre eux, refusent de soutenir la motion de censure de leurs vieux adversaires. De l'autre côté, seuls les " insoumis " et les communistes apportent leur suffrage au texte de la droite en plus du leur. Le groupe Nouvelle Gauche préfère s'abstenir.
" Ensemble, nous combattons une dérive, nous ne préparons pas une alternance ", avait prévenu M.  Faure. " La solution alternative de gauche, ce n'est pas la solution alternative de droite ", abondait son collègue député LR du Pas-de-Calais, Daniel Fasquelle, rejoint par son camarade Damien Abad : " Les électeurs ne comprendraient pas une alliance contre nature avec Jean-Luc Mélenchon. "
Des préoccupations qui n'empêchent pas les députés du -Rassemblement national (ex-Front national) de dormir, en chantres revendiqués du " ni droite ni gauche " et de l'antisystème. Ils votent en faveur des deux motions de censure.
Clap de fin sur la première grande crise du quinquennat -Macron ? Beaucoup le craignent, à gauche comme à droite. " On ne voulait pas de cette motion de censure au début, car on avait peur que le gouvernement s'en sorte comme ça ", confie un -député de gauche.
Une inquiétude similaire s'était exprimée en réunion de groupe au sein des Républicains. Mais d'aucuns gardent l'espoir de voir l'affaire Benalla ébranler durablement la présidence de la République. " Il y a une affaire pendante en justice, qui va alimenter le suivi ", savoure d'avance la secrétaire générale de LR, Annie Genevard. Gare, toutefois, aux ambitions démesurées. Après être passé devant Alexis Corbière et son " Que sais-je ? " sur les jacobins, le député LRM Sacha Houlié a eu ce commentaire sur Twitter : " Il m'est d'avis qu'ils n'ont pas tous bien fini… "
Sarah Belouezzane, Olivier Faye, et Manon Rescan
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2 août 2018

Rétroprojecteur, Google Doc… comment PS, PCF et LFI ont préparé leur texte commun

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Du " nouveau monde ", ils ont appris à utiliser les outils de la " start-up nation ". Vendredi 27 juillet dans l'après-midi, -socialistes, communistes et " insoumis " se sont retrouvés dans une salle de l'Assemblée nationale autour d'un rétroprojecteur et d'un Google Doc. Objets politiques insolites, en apparence, mais bien pratiques pour travailler sur l'écriture d'un texte à plusieurs mains, celui de la motion de censure que l'ensemble de la gauche a déposée contre le gouvernement d'Edouard Philippe, mardi. " Ç'a été une écriture interactive, je pense que ça ne s'est jamais fait à l'Assemblée nationale ", s'amuse la socialiste Valérie Rabault, chef de file des députés Nouvelle Gauche.
Cette nouvelle méthode s'est révélée indispensable pour aboutir à une signature commune au sein d'un camp d'ordinaire éclaté, réuni le temps de l'affaire Benalla. Un mal nécessaire, car aucune formation de gauche ne comptabilisait à elle seule le seuil minimum de cinquante-huit députés permettant de déposer une motion de censure.
Si l'écriture du texte s'est révélée relativement consensuelle, le mode de désignation du premier signataire – appelé à prendre la parole à la tribune de l'Assemblée nationale – a suscité davantage de débats. La France insoumise (LFI) plaidait en faveur d'un tirage au sort ; le Parti socialiste entendait, de son côté, assumer un choix sans s'en remettre au hasard. Le communiste André Chassaigne, président du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, est alors apparu comme l'homme du compromis, -malgré son inimitié de longue date avec le leader de LFI, Jean-Luc Mélenchon.
" La désignation s'est faite de façon naturelle. Il ne s'agissait pas d'avoir une parole mutualisée, défend M. Chassaigne. On savait que je n'allais pas instrumentaliser cette première place. " M.  Mélenchon, qui n'avait pas l'intention de se laisser voler la vedette, ne s'est toutefois pas privé de venir voir le communiste à sa place quelques minutes avant son -intervention dans l'Hémicycle, se penchant sur son texte pour y jeter un œil.
Les uns et les autres le jurent pourtant : cet événement ne représente pas un retour de l'union de la gauche telle qu'elle a existé aux grandes heures du programme commun (époque Mitterrand) ou de la gauche plurielle (époque Jospin), révolues depuis près de quinze ans. " Cette motion commune n'est pas un accord de gouvernement. Elle a la volonté de dénoncer une dérive, mais n'a pas vocation à rejouer la gauche plurielle ", défend le premier secrétaire du PS, Olivier Faure.
Scènes singulières" Chacun garde ses spécificités. On signe un texte suffisamment consensuel pour que tout le monde s'y retrouve ", ajoute Mme Rabault. " Ce n'est pas le retour de l'union de la gauche, abonde le député LFI de Seine-Saint-Denis, Eric Coquerel. Mais cela fait rentrer le PS dans l'opposition, c'est toujours ça de pris. " Un poids lourd du PS l'explique sans ambages : " Les désaccords demeurent. Notre sujet, c'est nous-mêmes. Notre renaissance ne se fera pas à l'ombre de La France insoumise. "
D'autant qu'une différence importante s'est exprimée entre le PS d'un côté, LFI et le PCF de l'autre : le choix de voter ou non en faveur de la motion de censure déposée par le parti Les Républicains. Les premiers ne s'y sont pas résolus, quand les seconds ont cédé à la tentation. " Nous croyons au clivage droite-gauche, ce qui n'est pas le cas de tout le monde ", explique M.  Faure. " Jean-Luc Mélenchon avait proposé la motion de censure à tous les groupes. A partir du moment où le contenu d'un texte est correct, on le vote ", plaide de son côté M. Coquerel.
D'où des scènes singulières, où l'on a vu les députés " insoumis " applaudir le discours du président du groupe LR, Christian Jacob, quand les socialistes se montraient plus discrets. Tout le monde, en revanche, a applaudi André Chassaigne de concert. " L'union de la gauche est à l'avenir politique ce que Radio Nostalgie est à la création contemporaine ", raille le président du groupe La République en marche, Richard Ferrand.
S. B., O. F. et Ma. Re.
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2 août 2018

Richard Ferrand : " Après la tempête vient le ressac "

Le président du groupe LRM à l'Assemblée tire les leçons de la crise

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Deux semaines après les premières révélations du Monde  sur l'affaire Benalla, Richard Ferrand, président du groupe La République en marche (LRM) à l'Assemblée nationale, revient sur la première crise politique du quinquennat. Selon lui, il ne devrait pas y avoir de remaniement à la rentrée. Et la révision constitutionnelle n'est pas assurée de revenir devant les députés.


Avez-vous, collectivement, sous-estimé cette affaire Benalla ?

Pour ma part, je n'avais pas imaginé qu'elle déclenche un tel tsunami politico-médiatique ! Alors qu'il s'agit avant tout d'une faute individuelle - de l'ex-chargé de mission à l'Elysée, Alexandre Benalla - . Lorsqu'on parle de " République exemplaire ", on ne revendique pas l'infaillibilité, mais l'exemplarité dans le traitement des fautes qui peuvent être commises. Tout ce qui a été fait, en peu de temps - notamment la commission d'enquête à l'Assemblée nationale - , a montré qu'il n'y avait aucun frein mis à la manifestation de la vérité.


Mais comment expliquez-vous le flottement au sein de l'exécutif et dans la majorité au début de l'affaire ?

Je n'ai pas vu de flottement. J'ai vu un emballement des oppositions. Je comprends qu'on puisse dire qu'il y a eu du silence et un certain retard à l'allumage, mais il me semble que toute réaction prématurée aurait pu être inappropriée. Si le président de la République ou même le premier ministre s'étaient empressés de s'exprimer sans disposer de la totalité des faits et alors même que des commissions d'enquête, une inspection générale et une information judiciaire étaient ouvertes, on leur aurait reproché de vouloir peser sur le cours des choses. Après la tempête, il y a toujours un ressac.Aujourd'hui, on s'aperçoit qu'on est partis d'un pseudo " scandale d'Etat " pour arriver au comportement fautif d'un seul individu qui a, depuis, reconnu sa faute.


Le premier ministre a-t-il bien joué son rôle de bouclier pour le chef de l'Etat ?

Il a fait son boulot. Il a gardé son sang-froid, il a répondu avec clarté et maestria lors des questions au gouvernement le mardi 24  juillet.


Un remaniement de l'exécutif se profile-t-il à la rentrée ? Gérard Collomb peut-il rester à son poste après avoir mis en cause son administration ?

Un remaniement, non, je ne le pense pas. Quant au ministre de l'intérieur, il n'est en rien défaillant depuis qu'il est aux manettes. Il a fait face à la menace terroriste, il a porté la fin de l'état d'urgence, la loi " asile et immigration "… Je ne vois pas en quoi cette funeste histoire et les déclarations des uns et des autres remettraient en cause sa place au ministère de l'intérieur.


Quel bilan tirez-vous du travail mené par la commission d'enquête à l'Assemblée ?

Si on enlève la dimension spectacle et polémique, on constate que ceux qui étaient en situation de donner des éléments sur la vérité sont venus répondre. Mais, comme la vérité qui se dessinait décevait les espoirs de l'opposition, celle-ci a décidé de claquer la porte avec pertes et fracas et de déposer des motions de censure. En l'absence du corapporteur LR Guillaume Larrivé, la commission d'enquête ne remettra donc pas de rapport formel. Mais chacun pourra tirer des enseignements des auditions.


Les débats autour de la révision constitutionnelle reprendront-ils à la rentrée ?

Je ne peux pas vous l'assurer. Mardi, le gouvernement a annoncé l'ordre du jour de la rentrée, qui commencera par la loi " agriculture et alimentation ", puis par la loi contre la fraude fiscale. Il a dit ensuite qu'il arbitrerait dans les semaines à venir pour décider si la révision constitutionnelle sera examinée fin septembre, ou si c'est la loi Pacte - destinée à rendre l'économie française " plus compétitive " - qui le sera. Je suis très satisfait de cet ordre du jour. Il faut donner la priorité à ce qui concerne la vie de nos compatriotes.


Est-ce à dire que la révision constitutionnelle, dont l'examen a été reporté du fait de l'affaire Benalla et de l'obstruction de l'opposition, n'est plus prioritaire ?

La révision constitutionnelle est très importante, mais les engagements essentiels pris par Emmanuel Macron portent sur trois choses : la réduction du nombre de parlementaires, la limitation du cumul des mandats dans le temps et l'introduction d'une dose de proportionnelle. Or, ces trois réformes ne nécessitent pas une révision de la Constitution. Si d'aventure le climat ne se prêtait pas à la reprise de la révision constitutionnelle, nous serions quand même en capacité de tenir l'intégralité de nos engagements.


L'affaire Benalla, qui a mis au jour des fragilités au sein de la Macronie, peut-elle réduire les marges de manœuvre -politiques du président ?

Je ne crois pas. Ce qui est certain, c'est que tout ce tintamarre autour de ce fait divers a jeté la suspicion sur les acteurs démocratiques du pays et le fonctionnement des institutions. Ça signifie donc qu'il va nous falloir redoubler d'énergie pour bien expliquer ce que nous faisons. J'en veux à nos oppositions d'avoir surexploité de manière politicienne une faute individuelle qui ne remet nullement en cause le fonctionnement de l'Etat ou des institutions.Quand on jette la suspicion sur la République et ses responsables, c'est la démocratie qu'on affaiblit. Si, à la fin, les gens ont le sentiment que les responsables politiques ne sont pas réglos, mais aussi que la presse n'est pas crédible car elle en fait trop, c'est la démocratie qui perd deux fois.


Reléguée dans " l'ancien monde ", l'opposition s'est souvent sentie humiliée par la jeune majorité. Elle savourerait aujourd'hui une forme de revanche…

La défaite électorale a créé beaucoup d'aigreurs et un désir de revanche fort, c'est évident… Vous me demandez si l'on n'a pas un peu mérité la férocité de l'opposition parce que nous aurions été fiers ou arrogants ? Mais l'a-t-on été ? J'espère que non… Je ne le crois pas… Ce qui est vrai, c'est que nous avons installé un rythme très soutenu. Nous avons une volonté d'agir vite, de répondre aux impatiences des Français. Et nous avons bousculé pas mal de codes et d'habitudes. Peut-être que cela a pu apparaître comme irrespectueux de codes anciens.


Le 24  juillet, devant le groupe LRM, Emmanuel Macron a critiqué les députés de la majorité qui font entendre une voix différente. " Les tireurs couchés d'un jour finissent abattus avec les autres quand ils décident de tirer sur leurs camarades ", a-t-il lancé. Partagez-vous ce constat ?

Oui. C'est la leçon de la fronde - qui a empoisonné le quinquennat de François Hollande - . Il en reste combien des frondeurs - socialistes - dans l'Hémicycle ? Un seul - le député Nouvelle Gauche de la Loire, Régis Juanico - ! Quand vous tirez contre votre camp, votre camp s'effondre avec vous. C'est toujours comme ça dans la vie.


Après avoir dit que voter -contre  un texte du gouvernement était un " péché mortel ", vous avez décidé de ne pas exclure du groupe la députée Aina Kuric, qui s'est opposée au projet de loi " asile et immigration ". Pourtant, un autre député, Jean-Michel Clément, a été exclu pour les mêmes raisons. Un deux poids, deux mesures ?

Je n'ai exclu personne, Jean-Michel Clément s'est retiré de lui-même du groupe. Nous ne sommes pas des fonctionnaires en charge d'appliquer la loi. Nous sommes des responsables politiques qui apprécions dans notre groupe les situations pour ce qu'elles sont. J'ai longuement discuté avec Aina Kuric, une " marcheuse " de la première heure, qui n'a pas fait de déclarations polémiques. Elle est attachée aux valeurs du groupe et au travail collectif. Il faut traiter cela à la fois de manière humaine et de manière politique. On peut y voir deux poids, deux mesures ou alors discernement et intelligence pratique.


L'affaire Benalla va-t-elle laisser des traces dans vos troupes, alors que beaucoup de députés ont été séduits par la promesse d'exemplarité d'Emmanuel Macron ?

Encore une fois, l'exemplarité, ce n'est pas l'infaillibilité. Beaucoup de députés ont été surpris par la violence des réactions par rapport à la réalité des faits. Ce qui nous importe, c'est que la vérité soit connue et analysée. S'il y a eu faute, qu'elle soit sanctionnée, s'il y a eu dysfonctionnement, idem. Une fois que cela sera fait, j'ai la conviction que nous regarderons tout cela comme l'exemple d'une difficulté correctement résolue, surpassée. Nous apprenons toujours des épreuves, c'est ça l'humilité. Pour nous, cette séquence qui a été une forme d'épreuve du feu sonne aussi la fin de l'innocence.
propos recueillis par, Manon Rescan, et Solenn de Royer
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2 août 2018

Les révélations de  l'enquête

Les éléments réunis par les juges, dont " Le Monde " a pris connaissance, éclairent les faits reprochés à Alexandre Benalla et Vincent Crase

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Moins de deux semaines après la révélation de l'affaire Benalla, Le Monde a pu prendre connaissance des premiers actes de l'enquête judiciaire, ouverte le 22  juillet, à la suite de l'identification, dans une vidéo, d'un chargé de mission de l'Elysée en train de brutaliser un jeune couple place de la Contrescarpe, à Paris, en marge de la manifestation du 1er-Mai. La plupart des acteurs de cette affaire ont été entendus par les commissions d'enquête parlementaires. De son côté, la justice, saisie de faits de " violences en réunion ", " immixtion dans l'exercice d'une fonction publique " et " port public sans droit d'insignes réglementés ", mène ses propres investigations. Aux côtés d'Alexandre Benalla et de son comparse Vincent Crase, mis en examen, trois policiers sont poursuivis pour " violation du secret professionnel " et " détournement d'images issues d'un système de vidéo-protection ". Ils sont suspectés d'avoir transmis à l'ancien chargé de mission de la présidence des images pour l'aider à organiser sa défense.
Les premiers éléments réunis par les juges révèlent des points inédits. L'enjeu, aujourd'hui, est de comprendre comment M.  Benalla et son ami ont pu être présents aux côtés des forces de l'ordre le 1er  mai. Mais, surtout, de savoir si les plus hautes autorités de l'Etat ont tenté de dissimuler les dérives de ce jeune homme de 26 ans qui avait accès au cœur de l'intimité présidentielle.
Benalla dit avoir prévenu l'Elysée dès le 1er  mai Devant les sénateurs, le 26  juillet, Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée, a assuré qu'il avait été informé des violences commises par M.  Benalla le " 2  mai dans la matinée ". Une version confirmée par le directeur de cabinet de l'Elysée, Patrick Strzoda, devant les enquêteurs. Selon lui, c'est " une collaboratrice du service communication " qui lui a appris que M. Benalla apparaissait sur des images circulant " sur les réseaux sociaux ".Il a immédiatement -convoqué le chargé de mission et lui a dit que son intervention, place de la Contrescarpe, était " tout de même rugueuse ". Et " que cela allait être chiant à gérer ", -selon M.  Benalla, qui assure au -contraire que, dès le 1er  mai au soir, l'Elysée avait été prévenu. Il a déclaré avoir informé M. Kohler après dîner, par messagerie cryptée, que, " malheureusement, une vidéo tournait sur les réseaux sociaux " sur laquelle il apparaissait. Il ajoute étrangement qu'il n'a plus le téléphone avec lequel il a envoyé ce message, mais qu'il en a - " conservé les donnéessur une clé USB ". Toutefois, il ne souhaite pas – " pour l'instant " – " dire où elle se trouve ".
La vidéosurveillance Au cœur de l'affaire se trouve la remise d'images de vidéosurveillance de la manifestation par trois policiers à Alexandre Benalla. L'ex-chargé de mission de l'Elysée, au jour des révélations du Monde, le 18  juillet, est loin de saisir l'ampleur de la polémique. Après un appel d'un de ces policiers – Laurent Simonin, le chef d'état-major adjoint à la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) de la préfecture de police, qui lui dit avoir pu récupérer des images –, il est rejoint par Jean-Yves Hunault, l'officier de liaison de l'Elysée, chargé de lui apporter les vidéos sur un CD. Ce dernier se souvient avoir retrouvé M.  Benalla dans un bar, près de l'Elysée, en compagnie de Vincent Crase : " Il était au téléphone (…) en train de fumer la chicha. "
Le lendemain, le commissaire Maxence Creusat vient trouver son supérieur, Alain Gibelin, le directeur de la DOPC, qui déclare aux enquêteurs : " Je le vois arriver le visage défait. Il me dit : “On a fait une énorme connerie, je préfère vous dire les choses que vous allez finir par apprendre.” " Les trois policiers ont enfin réalisé qu'ils n'auraient jamais dû transmettre ces images – que la préfecture n'avait d'ailleurs pas le droit de conserver plus de trente jours. Ils ont tenté de les récupérer, en vain.
Ismaël Emelien, le conseiller spécial de MacronCe même jeudi 19  juillet, Alexandre Benalla passe une tête dans le bureau de Jean-Yves Hunault, l'officier de la -préfecture de police. L'enquête fait la " une " des chaînes d'info en -continu. " En passant devant l'écran TV qui était sur BFM, il a pris une photo de l'écran et, d'un air très décontracté, plaisantait sur ce qui était en train de se passer, raconte le commandant aux enquêteurs. Il m'avait dit que le CD était dans les étages supérieurs. Il me semble avec Ismaël Emelien. " M.  Emelien est l'influent -conseiller spécial du président. L'un des plus discrets aussi.
Alexandre Benalla affirme, lui aussi, aux enquêteurs, avoir " avisé Ismaël Emelien qu'il était en possession d'une vidéo " dès la veille au soir, aussitôt après l'avoir reçue. Il ne l'a pas visionnée, assure-t-il, mais il sait qu'on y voit " le jeune homme de la place Contrescarpe - qu'on l'accuse d'avoir molesté - jeter des projectiles sur les CRS ". Une façon, aux yeux de l'intéressé, de préparer sa défense. " Il - Ismaël Emelien - m'a demandé de lui envoyer cette vidéo au Palais dès le lendemain matin, ce que j'ai fait ",poursuit M.  Benalla, en ajoutant que le conseiller ne connaissait pas " la nature " de cette vidéo.
La " panique " de Patrick Strzoda " En allumant mon téléphone - le 3  mai - , j'ai vu la présence de nombreux messages me demandant de rappeler en urgence le directeur de cabinet, M. Strzoda, a déclaré Alexandre Benalla en garde à vue. Je l'ai rappelé, il était agacé, m'indiquant qu'il avait été appelé par le ministère de l'intérieur (…) Je suis allé le voir dans son bureau, je l'ai senti paniqué. Il m'a indiqué qu'il semblait ne pas avoir compris que ma présence en tant qu'observateur comprenait ma présence sur la voie publique, il pensait que je serais resté au niveau de la salle de commandement.(…) Il ne m'a pas posé de questions sur le déroulé de la scène, et m'a juste dit que cela allait être chiant à gérer. "
Alexandre Benalla est convoqué à nouveau en fin de matinée par Patrick Strzoda, pour se voir notifier une sanction – quinze jours de suspension et une réduction théorique de sa mission. Une décision " prise par ses soins ", a déclaré le préfet devant les parlementaires, prise " collectivement ", avait-il assuré aux enquêteurs quelques jours auparavant, après avoir " informé le président de la République " et en avoir " parlé à d'autres conseillers aussi ".
" Il faut protéger " le directeur de cabinet Convoqué le jeudi 3  mai, pour se voir notifier sa sanction, Alexandre Benalla refuse le premier courrier qu'on lui adresse. " J'accepte toutes les sanctions qu'il faut, même le licenciement s'il le faut, mais je ne peux pas signer ce courrier, car le deuxième paragraphe n'est pas la réalité, écrit-il par SMS au directeur de cabinet, Patrick Strzoda. Je ne suis pas allé de ma propre initiative avec ma voiture et un casque faire du maintien de l'ordre, je ne suis pas fou. "
C'est la responsable des ressources humaines de l'Elysée qui avait insisté pour qu'il signe ce document dicté par Patrick Strzoda. " Elle m'a alors dit que cette décision était au nom du directeur de cabinet et qu'il fallait le protéger, de la même façon que le préfet de police ", a expliqué Benalla en garde à vue. Finalement, Patrick Strzoda accepte de modifier le courrier dans les termes proposés par le jeune chargé de mission. Il est mis à pied quinze jours, pas " pour les faits en eux-mêmes ", croit-il comprendre. " Simplement pour avoir exposé la présidence à un risque d'image. "
L'Elysée ne saisit la justice qu'en juillet Lorsqu'il apprend les agissements de M. Benalla, le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron ne juge pas nécessaire d'avoir recours à l'article  40 qui oblige tout fonctionnaire et " toute autorité constituée " ayant connaissance d'un délit ou d'un crime à saisir la justice. Mais, le 20  juillet, alors que l'affaire a éclaté et que la controverse gronde, il se montre plus diligent quand il apprend que le chargé de mission détient des images de vidéoprotection des manifestations. Il écrit cette fois immédiatement au procureur de la République de Paris, François Molins, pour le lui signaler. M.  Strzoda prend toutefois soin de préciser prudemment, au bas de la lettre et à la main, qu'il n'a " pas pris -connaissance du contenu du CD ".
Le chef de cabinet de l'Elysée, François-Xavier Lauch, lui emboîte le pas et saisit la justice le 27  juillet, lorsqu'il découvre que M.  Benalla a tenté de récupérer à la fourrière la voiture de fonction mise à sa disposition par l'Elysée. M.  Benalla a été entre-temps licencié et le chef de cabinet, prévenu par la préfecture de police, s'oppose à la restitution du véhicule.
Alexandre Benalla a fait le ménage chez lui Lors de la perquisition du bureau d'Alexandre Benalla à l'Elysée, le 25  juillet, les juges ont découvert une " proposition de plan de transformation organisationnelle des services ". Un document " confidentiel ", daté du 5  juillet, encore en " version projet " et qui évoque notamment le sujet sensible de la réorganisation de la sécurité présidentielle. Le 21  juillet, les enquêteurs s'étaient aussi rendus, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), dans l'appartement qu'il s'apprêtait à quitter pour un logement de fonction dans une dépendance de l'Elysée, quai Branly. Ils y ont trouvé un gyrophare bleu, des clés sur un porte-clés de l'Assemblée, mais aussi, au fond de l'armoire, une rampe lumineuse de police, donnée " par le conducteur de M. de Rothschild ".
Le coffre-fort où Alexandre Benalla rangeait ses armes, son Glock 43, deux autres pistolets, pour lesquels il assure avoir " des autorisations ", et un fusil Remington, avait, en revanche, disparu. " Pouvez-vous nous dire où se trouvent cette armoire et ces armes ? ", demande un enquêteur. " Aucune idée, répond le gardé à vue. Elle a dû être emmenée dans un lieu sûr par une personne, mais ce n'est pas moi qui me suis occupé de cela. " Loin de lui l'idée de dissimuler quoi que ce soit, jure-t-il. C'est juste que son appartement avait été " identifié par les journalistes " et que, " par souci de sécurité et responsabilité ", il a préféré ne pas les laisser.
Un " déguisement " un peu " too much " De nouvelles questions se posent sur le rôle joué par M.  Benalla, sur le terrain, le 1er  mai, depuis que Libération a révélé, vendredi 27  juillet, la plainte de deux jeunes disant avoir été victimes d'une interpellation musclée, au Jardin des plantes, après avoir croisé Alexandre Benalla et son ami Vincent Crase. Lundi 30 juillet, France Info et Mediapart diffusaient une nouvelle vidéo sur laquelle deux hommes leur ressemblant fortement procèdent à une interpellation – le parquet de Paris s'en est saisi et a ouvert une nouvelle enquête, puisque ces éléments n'étaient pas connus lorsque M. Benalla était en garde à vue. Il disait simplement avoir signalé aux CRS des " casseurs ", mais n'indiquait à aucun moment avoir procédé à une interpellation. Alexandre Benalla portait alors un brassard police et s'en est expliqué. Le matin du 1er  mai, il a retrouvé Vincent Crase à l'Elysée. Lorsqu'il lui montre l'équipement prêté par la préfecture de police, son ami lui déconseille d'enfiler la tenue de capitaine de police, un  peu " too much ". " M.  Benalla n'était pas policier, a expliqué Vincent Crase. C'était de l'ordre du déguisement. " Benalla suit ses -conseils et part avec le seul sac contenant " le brassard, le casque et le masque, l'équipement radio et le masque à gaz ". Il a enfilé le brassard boulevard de l'Hôpital. " J'étais habillé en noir et gris et un des policiers (…) m'a alors fait la remarque que je devais mettre un signe distinctif au risque d'être pris pour un casseur par les CRS. "
Trois pistolets non déclarés dans les locaux d'En marche ! Vincent Crase, de son côté, a farouchement nié le 20  juillet, au premier jour de sa garde à vue, porter une arme lors de la manifestation. Le lendemain matin, il concède qu'" il ne lui paraissait pas anormal " de porter son arme, mais qu'il n'avait pas pu la récupérer : elle se trouvait à l'Elysée, " dans un coffre dont la clé se trouve dans un coffret " dont il n'a pas le code. Avant de craquer.
Oui, il a bien porté un pistolet, un Glock 17, le 1er  mai. Il est désolé d'avoir menti, mais il est père de famille, et ils sont " en train d'acheter une maison, dit-il aux enquêteurs, - il - attend une réponse du banquier sur - leur - demande de prêt ". Ajoutant : " Cette affaire, si je perds mon travail, va me mettre dans une situation précaire. " Et le gendarme -réserviste d'expliquer : " Cette arme n'est pas à mon nom, elle appartient à LRM   - La République en marche - , elle est réservée pour la défense du site LRM ", en cas d'attaque terroriste.
Il y a d'ailleurs deux autres pistolets, au siège du parti, dans une armoire forte, découverts lors d'une perquisition. Les trois Glock ne sont pas déclarés. Vincent Crase a bien envoyé une demande à la préfecture, mais le dossier n'était pas complet. Le gendarme portait donc une arme sans autorisation et sans complexe : " J'ai toujours une arme sur moi, c'est une habitude de travail et de sécurité. " Il détenait, aussi, chez lui, un fusil sans permis.
" Il a agi en électron libre " Le rôle exact joué par Alexandre Benalla, place de la Contrescarpe, au moment de l'interpellation du jeune couple, reste contesté par l'ancien chargé de mission, qui réfute toute violence. C'est en trébuchant, que " la pointe de - s - on pied a effleuré - le - torse - du manifestant - "" En aucun cas, je ne lui ai porté un coup de pied. (…) A aucun moment porté de coups ", assure-t-il, même s'il reconnaît que, " sortie de son contexte ", cette scène peut paraître " violente ".
Son référent ce jour-là, le major Philippe Mizerski, a une interprétation toute différente : " Sur place, ce que j'ai vu est une extraction rapide de deux manifestants. (…) La violence était des deux côtés. " M.  Mizerski ne s'estime, toutefois, " pas apte " " à juger de la légitimité des actes commis par Benalla et le gendarme, ni à dire si ces actes étaient disproportionnés ". Ce qui le " choque, c'est qu'il devait être simple observateur, et qu'il est parti comme ça, sans rien dire, au front. (…) Il a agi en électron libre ". Le major ajoute : " Moi, j'aurais sans doute agi d'une autre manière. "Les médecins ont noté sur le jeune homme victime des violences " des traces de coups sur la poitrine et une raideur cervicale " et lui ont prescrit six jours d'arrêt de travail.
Émeline Cazi, François Krug, et Simon Piel
© Le Monde
2 août 2018

Vincent Crase : " Mon ADN de gendarme est ressorti "

Ami d'Alexandre Benalla depuis près de dix ans, le réserviste était armé, place de la Contrescarpe, le 1er-Mai

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Jusqu'ici, son nom et son visage n'étaient apparus qu'une fois dans la presse. En  2011, Vincent Crase posait pour le quotidien régional Paris Normandie dans son uniforme d'officier de réserve de la gendarmerie, fier de détailler les activités du peloton de réservistes qu'il commandait dans l'Eure.
C'est en civil qu'il a accompagné Alexandre Benalla place de la -Contrescarpe le 1er  mai et procédé avec lui à l'interpellation musclée de manifestants. Sur les images, on distingue à sa ceinture un étui destiné à une arme de poing. En garde à vue, il a tenté de convaincre les enquêteurs qu'il était vide, avant de finir par admettre avoir porté ce jour-là un Glock  17 qu'il utilise au service sécurité de La République en marche (LRM).
Depuis le début de l'affaire, Vincent Crase semble être dépassé par les événements. Le Monde le contacte le 18  juillet, ainsi que d'autres proches de Benalla, quelques heures avant de révéler que celui-ci est l'homme casqué filmé place de la Contrescarpe. Son nom apparaît en effet, en qualité de trésorier, dans les statuts d'une association fondée par Benalla, une discrète Fédération française de la sécurité privée. Surpris, Crase assure alors ne pas savoir grand-chose de Benalla. Contacté à nouveau le lendemain, il dément d'abord avoir été présent le 1er  mai et semble encore plus surpris quand on l'informe que le porte-parole de l'Elysée, Bruno Roger-Petit, vient de révéler son identité à la télévision.
Les ors de l'ElyséeL'affaire Benalla est aussi l'histoire d'une amitié, née au printemps 2009 sur la base aérienne  105, près d'Evreux. Le capitaine de réserve de la gendarmerie Vincent Crase, 35  ans, y dirige un stage de formation pour les réservistes. Alexandre Benalla a 17 ans, l'âge minimum pour postuler. Il sort major de sa promotion. " Très discipliné "," tenue irréprochable ", " il donne le meilleur de lui-même ", écrit, admiratif, le capitaine dans la " fiche d'appréciation individuelle ". Dix-huit ans les séparent, leur passion les unit. " On ne s'est jamais perdu de vue ", résume Crase pendant sa garde à vue.
Vincent Crase a grandi à Louviers (Eure), 18 000 habitants. Marié et père de trois enfants, il y est encore domicilié aujourd'hui. Sa passion pour la gendarmerie le conduit jusqu'au grade de chef d'escadron, en  2013. " Il donnait l'impression de ne pas avoir de job à côté, ça occupait une bonne partie de sa vie ", se souvient un ancien collègue. Il tente pourtant une carrière dans la sécurité privée. En  2013, il s'inscrit comme autœntrepreneur. En août  2017, il crée sa société de conseil en sécurité, baptisée Mars.
Quand Alexandre Benalla devient directeur de la sécurité d'En  marche !, en décembre  2016, il recrute naturellement Vincent Crase. Qui ne verra pas grand-chose de la campagne : il la passe enfermé dans le QG du 15e arrondissement. Crase prend à cœur sa mission de sécurisation de l'immeuble, au point de s'y installer, avec son chien. Il emménage au quatrième étage, dans une chambre improvisée près des locaux du SO, le service d'ordre.
Après la victoire, Crase se verrait bien en directeur de la sécurité du parti. Le poste est attribué à un autre membre du SO, Pierre-Yves Baratier. Le voilà à nouveau cantonné à la surveillance d'un QG, le siège du parti dans le 2e arrondissement. Benalla va lui permettre de prendre l'air et d'admirer lui aussi les ors de l'Elysée.
" Je n'ai pas été violent "En novembre, Crase quitte la réserve de la gendarmerie de l'Eure et intègre celle de la garde républicaine. Il est affecté à l'Elysée, où le commandant militaire, le général Eric Bio-Farina, le charge de superviser un groupe de 14  réservistes. Crase espérait en doubler les effectifs dans les prochains mois. Au même moment, Benalla réfléchissait justement à la création d'une direction de la sécurité de la présidence de la République sous la seule autorité du chef de l'Etat et s'ouvrant aux réservistes ayant son profil.
Le matin du 1er  mai, Crase se trouve dans l'Eure quand Benalla l'appelle et lui propose de l'accompagner dans les manifestations. Crase prend le train pour Paris : " Je voulais découvrir le maintien de l'ordre version police et être avec mon ami. " Place de la Contrescarpe, " d'instinct, mon ADN de gendarme est ressorti et je me suis élancé avec les CRS ". Pour justifier sa présence aux côtés de Benalla, il assure que la définition de ses missions de réserviste à l'Elysée était souple : " Il m'arrive souvent de réaliser des missions qui sont régularisées quelques jours plus tard pour les faire passer comme journée de réserve. Pour moi, c'était une mission comme une autre, et je n'ai pas outrepassé mes fonctions, je n'ai pas été violent, j'ai fait le travail que je fais habituellement. "
Le réserviste a été remercié le 4  mai. LRM lui a de son côté infligé une suspension de quinze jours en mai et annonce son licenciement. Comme Benalla à l'Elysée. Comme si les destins des deux anciens réservistes de l'Eure étaient plus que jamais liés.
François Krug
© Le Monde

2 août 2018

" Pour nous, Benalla représentait Macron pour tous les sujets sécurité "

Les trois policiers mis en examen sont accusés d'avoir transmis les images de vidéosurveillance au chargé de mission de l'Elysée

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COLLOMB RASSURE LES POLICIERS
Mardi 31 juillet, le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, a reçu les syndicats de police à tour de rôle. Tout en leur -manifestant son soutien, il les a rassurés quant à sa position concernant la réforme du dispositif de sécurité assurant la protection du président de la République. Envisagée depuis plusieurs mois par l'Elysée, elle prévoit notamment de faire passer le groupe de sécurité de la présidence de la -République (GSPR), composé d'un peu moins de 80 policiers et -gendarmes, sous l'autorité unique de l'Elysée. Jusqu'à -présent, et même si elle était relativement autonome vis-à-vis du ministère de l'intérieur, elle était rattachée à la police nationale par le biais du service de la protection (SDLP), autrefois appelé le service de protection des hautes personnalités (SPHP). Ce projet n'est pas du goût des -syndicats qui craignent une mainmise de l'Elysée sur le -recrutement des agents. Le ministre de l'intérieur leur a affirmé qu'il s'opposait à ce projet de réorganisation.
C'est l'affaire dans l'affaire. Le volet du dossier qui s'est greffé sur les violences reprochées à Alexandre Benalla et son comparse Vincent Crase, lors des manifestations du 1er-Mai, place de la Contrescarpe, à Paris.
Trois policiers sont aujour-d'hui mis en examen pour " violation du secret professionnel " et " détournement d'images issues d'un système de vidéoprotection " dans le cadre de l'information judiciaire ouverte le 22  juillet. On leur reproche notamment d'avoir transmis sur un CD des images des caméras de la Préfecture de police (PP) afin " d'aider " l'ex-chargé de mission à préparer sa défense. Or, malgré des contradictions, leurs auditions, dont Le Monde a pu prendre connaissance, s'accordent sur un point : ils n'auraient jamais agi de la sorte si M.  Benalla ne leur était pas apparu comme l'homme de confiance de M. Macron.
Les trois policiers sont tout sauf des débutants. Le plus gradé, Laurent Simonin, 51 ans, contrôleur général, a trente années de carrière derrière lui, dont plus de quinze au sein de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) à la PP. Au fil des ans, M. Simonin en a gravi tous les échelons, jusqu'à occuper, depuis 2011, le poste de chef d'état-major adjoint. Un poste de premier plan, avec voiture et chauffeur, au salaire mensuel de près de 8 000  euros.
Un " lien direct téléphonique "Le deuxième, Jean-Yves Hunault, 57 ans, a été nommé en mars officier de liaison à l'Elysée, à l'issue d'un parcours sans faille au sein de la police nationale, où il est entré comme simple gardien de la paix en  1980, brevet en poche. Il venait de passer dix ans à la DOPC et avait pour mission d'assurer un lien étroit entre l'Elysée et la PP, tout en s'occupant de " l'entourage " de l'Elysée.
Le troisième, le commissaire Maxence Creusat, 30 ans, a été le plus précis sur le rôle de M.  Benalla au sein du dispositif de sécurité présidentiel. " Depuis l'élection de M. Macron, les chefs du groupe de sécurité de la présidence de la République - GSPR - - étaient - ostracisés par la présence de M. Benalla, a-t-il -notamment confié aux enquêteurs.  Lors des déplacements (…)- il communiquait - les souhaits et les volontés du président. " D'après ce policier de la DOPC, en poste depuis 2011, M.  Benalla était, en outre, destinataire, " au quotidien, des télégrammes et notes confidentielles ".
Pour illustrer son propos, Maxence  Creusat a raconté que " quand le chef de la DOPC, du GSPR et M.  Benalla - étaient - ensemble sur un service d'ordre, et que le président - devait - communiquer une volonté en matière de sécurité (…), il - appelait - M. Benalla sur son téléphone ". Lors de la descente des Champs-Elysées du bus de l'équipe de France de football, " plusieurs témoins " auraient été impressionnés de son " lien direct téléphonique avec le président de la République afin de caler le timing ". " Pour nous, M. Benalla - représentait - Macron pour tous les sujets sécurité ", a conclu le commissaire.
Ce témoignage contredit les déclarations des membres de l'Elysée devant les commissions d'enquête parlementaires. Selon Patrick Strzoda, directeur de cabinet du chef de l'Etat, Alexandre Benalla " n'était pas chargé de la sécurité rapprochée du président (…).  Cette protection rapprochée est de la compétence exclusive du GSPR ", a-t-il déclaré, le 25  juillet, devant les sénateurs.
M.  Simonin, de son côté, a reconnu qu'il n'avait pas informé sa hiérarchie de la venue de M.  Benalla le 1er  mai, le " croyant sur parole " quand ce dernier lui a dit avoir les autorisations nécessaires. M.  Simonin a précisé qu'il était persuadé qu'Alain Gibelin, patron de la DOPC, avait été informé de cette invitation lors d'un déjeuner, les jours précédents, avec M. Benalla et le général Eric Bio-Farina, commandant militaire de l'Elysée.
Alors que les déclarations des trois fonctionnaires laissent deviner une défense délicate, prise en étau entre le souci d'éviter trop d'ennuis et l'incrimination éventuelle d'une hiérarchie sous pression, M.  Simonin a livré une anecdote. Le 2  mai, lorsque le cabinet du préfet de police découvre la vidéo des agissements de M. Benalla, il lui est demandé de rédiger en urgence une " note technique " dans laquelle il fait état de " l'accord de principe " de M. Gibelin à la venue de M. Benalla. Mais M. Gibelin " retoque " immédiatement le passage gênant et l'oblige à réécrire une note expurgée.
Juste un " facteur "Dans ce huis clos entre policiers rompus aux subtilités des dépositions sur procès-verbaux, un des points obscurs de l'enquête demeure le " sac " remis à M. Benalla juste avant le 1er  mai. Celui-ci était censé contenir l'équipement nécessaire à sa journée au sein des forces de l'ordre. Un aspect sensible, car MM. Benalla et Crase sont poursuivis – en plus des faits de " violences en réunion "– pour " immixtion dans l'exercice d'une fonction publique " et " port public et sans droit d'insignes réglementés "La justice cherche à savoir qui leur a fourni radio et brassard de police.
M.  Simonin a nié que ce soit lui. Il a émis l'hypothèse que le GSPR " disposait " de ce genre de radio. M. Benalla, lui, est resté flou. Mais leurs versions s'entrechoquent avec celle de M. Hunault. Celui-ci a précisé que le sac contenait une combinaison de type BAC siglée " police " et portant les galons de capitaine, un brassard orange " police ", un casque de maintien de l'ordre, un masque à gaz, ainsi qu'une radio P2G. Le tout " sur instruction de M.  Simonin "…
Aux yeux de M. Simonin, la présence de M. Benalla lors de la manifestation était pourtant " tout à fait accessoire ". Interrogé sur la gravité des faits, M.  Simonin a affirmé qu'il n'avait eu connaissance des dérapages de MM. Benalla et Crase qu'au lendemain de la manifestation. Il ne s'était alors pas posé " la question d'alerter une quelconque autorité judiciaire ", car " ce n'est pas de - son - niveau et la DOPC, culturellement, n'est pas sur ce registre-là ", a-t-il affirmé.
Dans cette histoire, le commandant Hunault est le seul à nier en bloc toutes les accusations. Il aurait juste été le " facteur ", s'est-il défendu devant les enquêteurs. " Oui, ce port de CD ne faisait pas partie de mes missions premières ", a-t-il précisé en ajoutant qu'il en ignorait le contenu. Mais, quand il a reçu un appel de M. Simonin, ce 18  juillet, afin de venir à la PP pour un " service ", il n'a pas refusé. " J'ai simplement dit oui, car cela concernait le directeur de cabinet adjoint et l'Elysée. (…) J'avais besoin de recon-naissance dans ce nouveau poste. "
Élise Vincent
© Le Monde

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