Elles n'ont reçu ni corps ni explications, mais, depuis quelques semaines, des centaines de familles syriennes, restées sans nouvelles depuis des années d'un ou d'une proche, arrêté par les services de sécurité, ont au moins une certitude : l'absent est bel et bien mort. Leur décès a enfin été reconnu par les autorités syriennes qui ont entrepris d'actualiser les registres d'état civil.
Les causes ne sont généralement pas mentionnées sur le document auquel les familles, alertées par le bouche-à-oreille, ont eu accès. Mais, compte tenu des pratiques en vigueur dans les prisons syriennes, documentées par des dizaines de rapports d'organisations de défense des droits humains, la marge de doute est faible. Soit ces détenus, souvent arrêtés dans les manifestations du début du soulèvement anti-Assad, ont été exécutés à la suite d'un procès secret et expéditif, soit ils ont succombé à la torture, à la faim ou aux maladies qui sévissent dans les geôles du régime Assad.
L'ONG Syrian Network for Human Rights, qui, la première, a attiré l'attention sur ce phénomène, a comptabilisé déjà 343 cas de mort en détention, officialisés par le pouvoir, et s'attend à ce que ce chiffre augmente rapidement, à mesure que son travail de vérification avance.
Selon sa propre base de données, construite à partir de sources non officielles, 82 000 Syriens ont été arrêtés ou enlevés de force depuis le début de la révolte, en 2011. Sur ce total, 13 000 auraient trouvé la mort. Une estimation basée sur des informations glanées auprès des familles des détenus. Pour s'informer, celles-ci devaient jusque-là interroger des compagnons de cellule de leur proche, qui avaient été libérés, ou bien payer des intermédiaires, ayant des contacts dans les services de sécurité.
Démarches anodines
" Le régime Assad est en train de confirmer ce que les ONG hurlent depuis des années, à savoir que les prisons syriennes sont des abattoirs, s'indigne Fadel Abdel Ghany, le directeur du Syrian Network for Human Rights.
On aimerait bien entendre davantage de condamnation de la part des capitales occidentales. "
C'est par hasard, dans le courant du mois de mai, qu'il est apparu que la bureaucratie de la torture avait commencé à mettre à jour ses registres. Venu au bureau de l'état civil de leur lieu de résidence pour des démarches anodines, de nombreuses personnes ont été choquées d'apprendre qu'un parent ou un ami, happé par le système carcéral, était désormais officiellement considéré comme mort.
La nouvelle se répandant sur les réseaux sociaux, des milliers d'autres Syriens ont afflué dans les mairies, pour tenter d'obtenir des informations sur les disparus de leur famille.
" C'est une manière de procéder sadique, le gouvernement traite la population comme du bétail ", dit Fadel Abdel Ghany.
En envoyant l'une de ses amies à l'état civil de Daraya, une banlieue de Damas, Amina Khoulani, qui vit en exil à Beyrouth, a par exemple appris que ses deux frères, Majed et Abdelsattar, incarcérés à Sednaya, l'un des pires pénitenciers de Syrie, n'étaient plus de ce monde. Les informations qu'elle a reçues font apparaître que les deux trentenaires, piliers de la contestation populaire et pacifique des premiers mois dont Daraya était l'emblème, sont morts tous les deux le 15 janvier 2013. Le signe, selon leur sœur, qu'ils ont été passés par les armes ou pendus, à la suite du verdict d'une cour militaire.
Yehya Al-Shorbaji et Islam Dabbas, deux autres cadres de la révolte à Daraya, sont morts en détention le même jour, probablement exécutés avec les frères Khoulani. C'est ce que montre leur certificat de décès, remis à leur famille à la mi-juillet. Surnommé Abu Al-Ward (le père des fleurs), parce qu'il avait eu l'idée d'offrir des roses aux soldats, pour les dissuader de tirer sur les manifestants, Yehya Al-Shorbaji avait fait de la prison dans les années 2000, déjà, pour avoir lancé une campagne contre la corruption et pour le nettoyage des rues de sa ville.
" Islam, Yehya, Majed et Abdelsattar faisaient partie de cette jeunesse éduquée et pacifique, que le régime a voulu immédiatement éliminer, pour convaincre le reste du monde qu'il ne faisait pas face à une révolution, mais à des extrémistes armés ", soutient Amina Khoulani.
La raison exacte pour laquelle les autorités ont décidé d'officialiser les morts en détention n'est pas connue.
" C'est probablement parce que le régime estime qu'après sa reconquête de la Ghouta - la banlieue de Damas, reprise au printemps -
et de la région de Deraa - dans le sud, reprise en juin - ,
il a gagné la guerre et qu'il n'a donc plus rien à craindre ", suppose Fadel Abdel Ghany.
Cruel paradoxe, alors que les familles de détenus se précipitaient à l'état civil, le dossier des prisonniers était discuté, en début de semaine, lors d'un nouveau cycle de négociations, organisé à Sotchi, sous la tutelle du Kremlin.
" On espérait une amnistie, un geste positif, dit Noura Khartabel, de l'ONG Families for Freedom.
A la place, on a reçu des notices de décès. "
Benjamin Barthe
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