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vendredi 3 août 2018

Plus transparente, mieux financée : pour une démocratie retrouvée


2 août 2018

Plus transparente, mieux financée  : pour une démocratie retrouvée

Démocraties fatiguées 4|6 La mauvaise régulation du financement des partis contribue à la défiance des Français envers les politiques et favorise l'abstention et les votes extrêmes, analyse Julia Cagé, professeure d'économie à Sciences Po Paris

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Il y a encore quelques mois, pour la très grande majorité des Français, la CNCCFP n'était rien d'autre qu'un sigle obscur. Qui avait entendu parler de cette commission créée en janvier  1990 par une loi " relative à la limitation des dépenses -électorales et à la clarification du financement des activités politiques " ? Son nom avait bien été quelquefois prononcé après l'élection de Nicolas Sarkozy en  2007, mais aussitôt oublié.
Aujourd'hui, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques tient le haut de l'affiche, tant les " affaires " concernant le financement des campagnes des différents candidats à l'élection présidentielle de 2017 se multiplient. Sans parler des comptes des candidats aux législatives, qui n'ont encore pu être consultés ! De l'ouverture d'une enquête préliminaire visant des faits présumés de détournement de fonds publics et de financement irrégulier de la campagne électorale d'Emmanuel Macron par les collectivités lyonnaises, aux soupçons de sous-facturations de la société d'événementiel GL Events d'Olivier Ginon, proche de Gérard Collomb, en passant par les suspicions de surfacturations de Mediascop, la société de communication de Sophia Chikirou pendant la campagne de Jean-Luc Mélenchon, aux frais de permanences et de locaux peut-être excessifs de Benoît Hamon ou encore aux dépenses pour le moins surprenantes du Front national, qui est allé jusqu'à demander le remboursement de plusieurs centaines d'euros de contraventions (des dépenses invalidées par la commission), on ne saurait presque plus où donner de la tête.
La " clarification " promise par la loi de 1990 est loin d'être complète : le financement des activités politiques en France -relève au mieux du clair-obscur ; on serait plutôt tenté d'y voir des aplats de couleur sombre. Pourtant, sur le papier, la France a mis en place au cours des trente dernières années des régulations et des institutions qui auraient dû permettre de prévenir ce genre de dérives. D'autant que si la France a régulé le financement de sa vie politique relativement tard en comparaison internationale – à la toute fin des années 1980, alors même qu'aux Etats-Unis, au Canada ou encore en Italie, les financements des partis et des campagnes ont été pensés dès le début des années 1970 –, cette régulation semble beaucoup plus durable. En théorie du moins. Car ce que nous révèlent les débats actuels autour de la pertinence des décisions prises par la CNCCFP, c'est surtout que cette commission ne dispose plus des moyens nécessaires pour mener à bien ses activités. Doit-on s'en étonner ? Le législateur semble malheureusement peu enclin à renforcer les pouvoirs d'une commission qui pourrait lui chercher des poux dans la tête quand il est lui-même candidat !
Un " pognon de dingue "La bonne nouvelle, c'est que les comptes de campagne font malgré tout l'objet d'une attention toute particulière. On peut saluer ici le travail fait par les journalistes de plusieurs médias, qui n'ont pas hésité à passer de longues journées à éplucher les milliers de factures de chacun des candidats, qu'il s'agisse de Mediapart – longtemps à la pointe sur la question des financements occultes des campagnes électorales, à commencer par celle de Nicolas Sarkozy en  2007 –, mais également du Monde ou encore de Libération. Un intérêt médiatique sans doute pas totalement étranger aux répercussions qu'a eues, au début des années 2010, la désormais fameuse " affaire Bygmalion ", les comptes de campagne de -Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle de 2012 ayant finalement été rejetés. Un rejet dont il faut souligner ici qu'il n'a pas seulement coûté cher aux sympathisants de droite, énergiquement sollicités dans le cadre du " Sarkothon " pour venir en aide à une UMP affaiblie financièrement par le non-remboursement des dépenses de campagne de son candidat, mais également à l'ensemble des citoyens français.
En effet, en France, les dons aux partis politiques ouvrent droit à une déduction fiscale pouvant atteindre 66 % des sommes versées pour les citoyens imposables au titre de l'impôt sur le revenu. Ainsi, sur les 11  millions d'euros réunis afin de rembourser les frais de campagne de Nicolas Sarkozy, le coût pour l'ensemble des contribuables français a potentiellement atteint les 7  millions d'euros. Si le chiffre exact n'est pas connu, l'ordre de grandeur – là, on peut parler de " pognon de dingue " – est le bon, et on peut dire que l'UMP s'en sort bien, elle qui n'aurait pas dû toucher de subventions publiques mais qui de fait en a plus que largement profité.
La mauvaise nouvelle, c'est que toutes ces affaires ont un effet délétère et ne viennent que renforcer la défiance déjà existante envers notre personnel politique, défiance qui alimente l'abstention, quand ce ne sont pas les votes pour les extrêmes. La fatigue démocratique semble prendre le dessus chez des citoyens de plus en plus lassés par les excès d'une classe politique qu'ils perçoivent – en partie à raison – comme déconnectée de leurs préoccupations.
Moins de 10 % des Français font aujourd'hui confiance aux partis politiques, et pas plus aux nouveaux qu'aux anciens. De là à ce qu'ils déclarent majoritairement ne plus vouloir les financer avec l'argent de leurs impôts, il n'y a qu'un pas. Il y a un petit goût d'Italie dans la critique actuelle du personnel politique français, et ce goût est amer. En Italie, la dénonciation de la " caste " politique a abouti à la suppression du remboursement des dépenses électorales, un combat mené à l'origine par le Mouvement cinq étoiles. Les élections de 2018 ont été les premières depuis plus de quarante ans à se faire sans remboursement public des dépenses ; avec les résultats que l'on connaît. De même aux Etats-Unis, l'élection de Donald Trump en  2016 a marqué officiellement la fin du financement public de la démocratie nationale, un financement pourtant là aussi vieux de plus de quarante ans. Pour la première fois, non seulement tous les principaux candidats ont renoncé au financement public de l'élection générale comme des primaires – afin de pouvoir dépenser sans compter –, mais les conventions des deux principaux partis ne sont plus non plus financées par le fonds présidentiel depuis une décision de 2014. Bien sûr, la suppression des financements publics est autant un symptôme qu'une cause de la crise actuelle de la démocratie que nous traversons. Mais il est important de rappeler certaines réalités.
Dans Le Prix de la démocratie (à paraître le 29  août chez Fayard), en m'appuyant sur une étude historique inédite des financements privés et publics de la démocratie dans une dizaine de pays sur plus de cinquante ans, je montre que si le coût de la démocratie – celui du fonctionnement des partis et des dépenses électorales – n'est pas pris en charge par la puissance publique avec des subventions publiques suffisantes, alors ce sont les généreux dons privés d'une minorité de favorisés qui viennent alimenter la machine électorale, avec un risque important de corruption et de capture. Un euro, une voix, plutôt qu'une personne, une voix. Il peut sembler paradoxal, au moment où sont mises au jour les irrégularités des comptes de campagne de plusieurs candidats – à des degrés divers –, de défendre le principe d'un financement public du jeu électoral. Ne faudrait-il pas mieux ne pas gaspiller ainsi l'argent de nos impôts ? Ne nous y trompons pas, la solution n'est pas dans la défiance, elle est dans une refondation des modalités du financement public actuel, qui doit être généreux, mais aussi dynamique, modernisé et mieux régulé.
Une pratique problématiqueJe voudrais insister ici sur un point qui me semble essentiel pour tenter de remédier à l'épuisement démocratique dont souffrent nombre de pays occidentaux : la transparence. Aujourd'hui, en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni ou encore aux Etats-Unis, quand un citoyen contribue au financement d'un parti politique ou d'une campagne électorale au-dessus d'un certain montant (quelques centaines d'euros), l'identité du donateur est rendue publique, souvent en ligne et en temps réel. Certes, tout n'est pas parfait dans ces pays : au Royaume-Uni, le montant des dons n'est pas limité, tout comme en Allemagne où les dépenses électorales ne sont pas plafonnées. Dans ces quatre pays, les entreprises sont autorisées à contribuer au financement de la vie politique, une pratique problématique et interdite en France depuis 1995. Mais il y a des choses à apprendre de tous les pays !
En France, si les dons aux partis et aux campagnes comme les dépenses électorales sont encadrés, la transparence sur les dons n'est toujours pas au rendez-vous.Il semble difficile de justifier une telle opacité, qui vient à rebours des pratiques des autres démocraties. Surtout, cela ne fait qu'alimenter la défiance.
En  2017, en France, a été élu un président jeune et inattendu. Certains ont vu là la fin de la vague populiste – caractérisée en particulier par le Brexit et le trumpisme – et le renouveau des démocraties occidentales. Un an plus tard, jamais on n'a vu un électorat aussi divisé que l'électorat français sur sa perception d'un président – et au vu des élections italiennes, on peut dire que la vague populiste n'a pas été stoppée. Un président aimé par les plus riches et les plus éduqués, et rejeté par les plus pauvres et les moins diplômés. Le " président des riches " ? On pourrait être tenté de voir un lien entre d'une part la transformation de l'impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière – autrement dit la suppression de l'ISF – et la mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique de 30  % sur les revenus du capital, et d'autre part les préférences et intérêts économiques de ceux qui ont contribué financièrement à la campagne de Macron. Les moins favorisés qui auraient donné à la campagne du président ne peuvent que constater qu'il a renoncé aux mesures destinées à satisfaire leurs préférences : gel des aides personnalisées au logement (APL) et hausse de la CSG pour les retraités " privilégiés " qui touchent une pension supérieure à 1 400  euros.
Surtout, les réfutations de l'équipe d'Emmanuel Macron seraient plus audibles si celle-ci s'engageait à publier la liste de ses donateurs au-dessus, par exemple, de 200  euros – comme cela est pratiqué ailleurs – et surtout si était introduite dans la loi une obligation de transparence. Qui s'appliquerait bien sûr à l'ensemble des partis et des candidats. Un petit pas, certes, mais un pas indispensable vers le renouveau démocratique et la reconstruction d'un lien de confiance entre les citoyens et leurs représentants politiques.
Julia Cagé
© Le Monde

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