Au-delà de la crise politique qu'elle a générée, l'affaire Benalla a produit une sorte de miracle : l'union de la gauche est de retour ! Les 62 députés du Parti socialiste, de La France insoumise (LFI) et du Parti communiste ont déposé une motion de censure commune contre le gouvernement d'Edouard Philippe. Mardi 31 juillet, ce texte, qui dénonce la " dérive autocratique " et le " sentiment d'impunité " au sommet de l'Etat, a été débattu – et rejeté – en même temps que celui des Républicains (LR). Il faut remonter au gouvernement de Raymond Barre pour trouver un tel précédent. En novembre 1979, le premier ministre eut à affronter, le même jour, deux motions de censure contre sa politique économique, l'une émanant des socialistes, l'autre des communistes. Cela avait conduit Raymond Barre à ironiser, en reprenant un propos du communiste Pierre -Juquin : " L'union de la gauche ne peut pas être, avant tout, une union parlementaire. "
Près de quarante ans après, l'union de la gauche est d'abord – et seulement – une union parlementaire de circonstance. Emmanuel Macron est ainsi confronté, pour la première fois depuis le début de son quinquennat, à un front commun de ses oppositions, qu'il a qualifié lui-même, le 24 juillet, de
" coalition baroque ". La motion de censure de LR a été votée par les députés de LFI mais pas par le groupe Nouvelle Gauche, Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, ne voulant pas
" donner le sentiment que nous pourrions à cette occasion nous regrouper sur un même texte ".Quant aux parlementaires du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, ils ont apporté leurs voix aux deux motions.
Cette censure unitaire de la gauche part du constat que
" notre pays traverse une crise politique qui révèle des dysfonctionnements graves au sommet de l'Etat et au cœur desinstitutions républicaines ". Au passage, elle dénonce une réforme constitutionnelle qui
" n'est pas à la hauteur de la crise des institutions de la Ve République ". Elle a donné lieu à des discussions préparatoires homériques. Qui allait être le premier signataire de la motion, et donc l'orateur principal lors du débat ? Le PS réclamait la première place, au nom de sa supériorité numérique. Pas question, répliquait Jean-Luc Mélenchon, qui préconisait un tirage au sort. Finalement, c'est André Chassaigne, le président du groupe communiste, pourtant connu pour ses mauvaises relations avec le leader de LFI, qui a été choisi. M. Mélenchon est le deuxième signataire et Valérie Rabault, la présidente du groupe Nouvelle Gauche, la troisième… L'union de la gauche vaut bien quelques compromis.
L'encre de ce texte commun était à peine sèche que M. Mélenchon célébrait l'événement.
" C'est bien et nous sommes très contents, se félicitait l'ancien candidat à l'élection présidentielle, vendredi 27 juillet.
D'autant que, comme elle ne peut pas se déposer sans nous, nous voyons que c'en est fini du “ni Macron ni Mélenchon”. "Relevant que lors du vote de confiance au gouvernement de M. Philippe, la majorité des socialistes s'était abstenue, le dirigeant de LFI, qui, depuis 2008, est en guerre ouverte avec un PS qu'il voue aux gémonies, a ainsi salué un
" événement politique ".
" Le Parti socialiste, s'est-il réjoui,
est maintenant unparti d'opposition frontale au gouvernement. " Déjà, lorsque le 26 mai la CGT s'était jointe à une cinquantaine d'organisations pour participer à la " marée populaire " de LFI contre M. Macron, M. Mélenchon y avait vu un signe positif, n'hésitant pas à envisager, malgré l'absence du PS,
" la construction d'un front populaire ".
Démonstration de faiblesseComme souvent, M. Mélenchon va vite en besogne, et l'union de la gauche du 31 juillet a toutes les chances de n'être qu'un leurre. M. Faure a rapidement remis les pendules à l'heure.
" Nous sommes dans un combat pour la défense de la démocratie, a-t-il martelé
, pas en train de régler la question du leadership de la gauche. " Quelques jours auparavant, il avait même exprimé de fortes réserves quant au recours à l'arme de la motion de censure :
" Je pense quece n'est pas la bonne façon de procéder, avait-il affirmé.
En réalité, ça rend service à Emmanuel Macron, puisqu'il va pouvoir clore une séquence par un vote qui marquera le fait qu'il n'y a pas de majorité alternative. "C'est aussi une démonstration de faiblesse de la gauche qui a ainsi montré à quel point, avec 62 parlementaires, elle est minoritaire à l'Assemblée nationale face à la forte majorité macroniste.
L'argument mis en avant par M. Faure pour refuser de voter la motion de censure de LR se retourne contre lui.
" Habituellement, a-t-il expliqué,
une motion de censure sert à faire tomber un gouvernement et à le remplacer par une majorité alternative, et il n'est pas question pour nous de constituer une majorité avec Les Républicains. " En 1979, quand François Mitterrand avait ferraillé contre Raymond Barre, il avait en effet défendu une politique économique alternative. Est-ce à dire aujourd'hui que le PS pourrait former une majorité alternative avec les cosignataires de sa motion, LFI et le PCF ? Nul n'imagine une telle perspective alors que M. Faure rend coup pour coup à M. Mélenchon, qu'il soupçonne de vouloir " tuer " le PS, renvoyant dos à dos un
" Jupiter radical " et un
" Jupiter libéral ", LFI n'ayant à ses yeux
" pas la capacité d'être cette force centrale à gauche ".
Qu'il s'agisse de la réforme des institutions, de la question européenne, et même – malgré une opposition conjointe sur les ordonnances sur le code du travail et sur la SNCF – de la politique économique et sociale, les divergences sont légion entre les trois formations de la gauche. Croire qu'une unité circonstancielle, à propos de la crise déclenchée par l'affaire Benalla, construira demain une unité dans les urnes n'est qu'une pure illusion. Un leurre.
Michel Noblecourt
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire