C'est un réseau d'influence discret, qui suscite souvent la controverse en Autriche. Les membres des corporations estudiantines, les Burschenschaften, n'ont jamais eu autant de pouvoir, depuis que la formation d'extrême droite FPÖ (Parti autrichien de la liberté), alliée aux conservateurs (ÖVP, Parti populaire autrichien), a obtenu six ministères en décembre 2017.
L'Autriche préside depuis le 1er juillet le Conseil de l'Union européenne. La participation du président russe, Vladimir Poutine, samedi 18 août, au mariage de la ministre autrichienne des affaires étrangères, Karin Kneissl, nommée par le FPÖ, sera l'occasion d'observer ces amitiés couvées dans l'ombre. Car nombre des conviés à la noce sont membres de ces structures, favorables au Kremlin et fuyant la publicité.
On retrouve ces confréries dans le monde germanique et aux Etats-Unis depuis le XIXe siècle. Dans le pays alpin, celles qui sont décriées ne sont qu'une petite soixantaine. Elles sont dites
" frappantes ", à cause du goût de leurs sociétaires pour les duels. Proches du FPÖ, elles sont fermées, exclusivement masculines et défendent la notion d'une
" communauté culturelle allemande " dépassant les frontières actuelles. On y entre de père en fils.
Selon la journaliste Christa Zöchling, qui enquête pour l'hebdomadaire
Profil depuis des années sur le sujet, le FPÖ a toujours puisé dans le vivier de ces organisations. S'ils ne représentent que 0,04 % de la population, leurs membres sont au moins dix-sept à occuper des postes clés, dans les cabinets ministériels, ainsi qu'à la direction du Parlement. Le vice-chancelier, le ministre des transports, le directeur de cabinet du ministre de l'intérieur, celui des affaires sociales ou encore de la défense : tous dépendent de l'une de ces formations élitistes, selon le quotidien libéral
Der Standard.
On estime qu'environ 4 000 hommes, recrutés dans la haute société, resteraient fidèles à ces structures dont le ministère autrichien de l'intérieur affirmait dès la fin des années 1990 qu'elles souhaitaient, sous leurs appellations épiques (Olympia, Brixia, Corps Vandalia…),
" faire accepter d'une certaine façon, par des chemins détournés, les idées nationales-socialistes ". En janvier, un candidat du FPÖ aux élections régionales, Udo Landbauer, avait été critiqué pour son appartenance à une confrérie dans laquelle un hebdomadaire a retrouvé un recueil de textes faisant l'apologie du IIIe Reich.
Malgré cette polémique, Odin Wiesinger se réjouit de voir enfin ses camarades du réseau accéder au sommet de l'Etat. Ce militant du FPÖ, artiste peintre et sculpteur, appartient à Scardonia, une confrérie basée dans la ville de Linz.
" Ceux qui nous traitent de nazis sont des idiots, soutient-il.
Les corporations ont été dissoutes et interdites sous le IIIe Reich ! "
En fait, les choses sont un peu plus compliquées. En 2016, le Musée du judaïsme de Vienne a organisé une exposition montrant que l'antisémitisme européen s'est en partie construit au sein de ces
Burschenschaften. Dès la fin du XIXe siècle, elles ont interdit l'adhésion à des juifs. Lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir, après l'annexion de l'Autriche à l'Allemagne, en 1938, ils ont recruté massivement leurs cadres autrichiens dans les plus radicales d'entre elles. Et l'on retrouverait la trace de cet héritage aujourd'hui au gouvernement : selon Christa Zöchling,
" lorsqu'on a été politisé dans un contexte nationaliste allemand et antisémite, cela favorise des prises de position futures hostiles aux étrangers et à la politique d'intégration ".
Sur son compte Twitter, le vice-chancelier FPÖ, Heinz-Christian Strache, poste surtout des messages virulents à l'encontre des demandeurs d'asile originaires du monde musulman ou d'Afrique. Le 8 août, il partageait un article sur une rixe entre réfugiés et écrivait :
" Les Afghans – soi-disant en besoin de protection – se battent les uns avec les autres. On ne veut pas de ce genre de personnes en Autriche. Actuellement, les Afghans sont plus nombreux à être expulsés d'Autriche et c'est très bien comme cela ! "
Sur le site Internet d'Aldania, il est précisé que
" tous les réfugiés venant de pays ayant une autre culture n'ont aucune idée de la culture nationale du pays les accueillant ". Leur intégration serait
" une violation des droits humains " car
" chaque peuple a un caractère, un espace vital et une identité qui lui sont propres ".
Lors de son dernier passage à Vienne, la militante antinazie Beate Klarsfeld se disait consternée par l'apathie de l'UE, qui accepte de travailler avec de telles personnalités :
" Il est incompréhensible pour moi que les gens ne semblent pas se rendre compte de ce qu'implique une prise de pouvoir par l'extrême droite. "
Benjamin Abtan, le président du Mouvement antiraciste européen, évoque pour sa part un
" affaiblissement moral " des élites politiques, mais aussi d'une Commission européenne
" s'accommodant " de la situation.
" Cela ne semble poser aucun problème que des gens qui sont dans une filiation très claire avec le nazisme président l'UE ", dénonce-t-il.
Lors d'un entretien accordé au journal régional
Tiroler Tageszeitung, le 11 août, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, qualifiait le gouvernement autrichien
" d'incontestablement prœuropéen ".
Blaise Gauquelin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire