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mercredi 22 août 2018

La marche contrariée de Bannon sur l'Europe


La marche contrariée de Bannon sur l'Europe

Le plan de l'ancien stratège de Trump pour fédérer la droite radicale européenne est accueilli avec scepticisme

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Ces derniers mois, on a vu sa crinière grise à Rome, à Londres, à Budapest, à Prague ou à Lille. Remercié par la Maison Blanche en août 2017, Steve Bannon multiplie depuis lors les rencontres avec les figures de la droite radicale européenne, de Marine Le Pen à Viktor Orban. Dans quel but ? Le 23  juillet, l'ex-conseiller du président américain, Donald Trump, s'est fait plus précis sur ses ambitions pour le Vieux Continent.
Dans un article remarqué du Daily Beast, cette figure de l'alt--right a promis rien de moins que de mettre l'Union européenne (UE) à terre. La date est fixée : les élections européennes de mai 2019. " Les mouvements de droite populiste et nationaliste vont gagner. Ils vont gouverner. Vous allez avoir des Etats-nations avec chacun leur identité et leurs frontières ", y prédit celui qui aime se présenter comme le grand organisateur de la victoire du président américain, Donald Trump.
Pour atteindre son but, il annonce le lancement d'une fondation, baptisée " Le Mouvement ", destinée à organiser les différentes formations de droite radicale de toute l'Europe. Basée a Bruxelles et employant à terme dix personnes, elle a vocation à préfigurer " un super-groupe " qui pourrait attirer " un tiers " des eurodéputés de la prochaine mandature. Et paralyser ainsi toute l'UE. Une œuvre dont la droite radicale européenne rêve depuis longtemps, mais qu'elle n'a jamais pu accomplir en raison de ses divisions. Le Parlement européen compte aujourd'hui trois groupes différents pouvant être affiliés à cette sensibilité.
Un peu plus d'un mois après cette annonce, Steve Bannon devrait débarquer dans les prochaines semaines en Europe pour la concrétiser. Mais cela s'annonce moins tonitruant que prévu. Les plans de Bannon ont, en effet, été accueillis avec prudence, voire même avec un franc scepticisme par la plupart des mouvements de droite radicale européens censés se regrouper sous sa bannière.
" Intérêts divergents "En Suède, au Danemark et en Finlande, les partis d'extrême droite ont tous poliment décliné. " Ce n'est pas une personne intéressante de notre point de vue ", a ainsi asséné une porte-parole des Démocrates de Suède, fin juillet. Le FPÖ autrichien a évoqué, lui, de simples " coopérations ponctuelles ". Et en Allemagne, le parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) s'est divisé. Si Alice Weidel, coprésidente du groupe au Bundestag, et Beatrix von Storch, sa vice-présidente, se sont entretenues avec lui lors de sa venue à Zurich en mars, Alexander Gauland, coprésident du parti et coprésident du groupe (aux côtés de Mme Weidel), a estimé que son projet était illusoire. " Les intérêts des partis anti-establishment en Europe sont assez divergents, a-t-il relevé dans un entretien au groupe de presse allemand Funke, le 11 août. M. Bannon ne réussira pas à former une telle alliance en vue des élections européennes. "
Pour la plupart de ces partis, -Donald Trump et son ancien conseiller font davantage figure de repoussoir que de modèle. Ainsi, en Allemagne, l'électorat craint le risque de guerre commerciale posé par la politique de M. Trump. Ce qu'Alexander -Gauland résume en une formule : " Nous ne sommes pas en Amérique. "
Si ses idées identitaires séduisent des partis qui ont fait du refus de l'immigration une position commune ces dernières années, le reste est plus problématique. Alors que certains veulent la fin de l'UE, d'autres souhaitent juste réduire ses pouvoirs. Et le libéralisme à l'américaine ne plaît pas toujours à des partis dont plusieurs prônent au contraire l'interventionnisme public.
A l'Est, les partis de droite ultraconservateurs au pouvoir ont aussi mis le pied sur le frein. En Pologne, en raison de la proximité de M.  Bannon avec la Russie, qui reste un repoussoir. Et en Hongrie, parce que Viktor Orban, le premier ministre ultraconservateur, n'est pas prêt à rompre avec le Parti populaire européen (PPE, droite conservatrice), même s'il a reçu l'ex-conseiller de la Maison Blanche en mai. La collaboration entre les deux hommes pourrait toutefois prendre d'autres voies. Fasciné par son emprise sur la Hongrie et son combat contre l'immigration, l'Américain a en effet qualifié -Viktor Orban de " héros ", tandis que celui-ci, qui rêve de plus en plus d'un destin pan-européen, lui a souhaité " un grand succès dans cette entreprise ".
Le parti de Marine Le Pen, Rassemblement national (RN), est un des seuls à se montrer véritablement intéressé par la démarche. Plusieurs cadres du parti, comme Louis Aliot, député des Pyrénées-Orientales, son ami Jérôme -Rivière, membre du bureau national du RN, et l'eurodéputé Nicolas Bay le rencontrent régulièrement ou ont l'intention de le faire prochainement. " Bannon, c'est une plate-forme d'idées, un think tank, qui porte le retour des nations ", vante M. Rivière. En interne, certains sont toutefois beaucoup plus sceptiques. " Il n'est pas forcément au fait de toutes les nuances de la scène européenne ", relève un dirigeant du RN, tandis qu'un autre tranche carrément : " Bannon n'est pas une bonne publicité pour nous, il est cramé en France où il a l'image d'un raciste. "
" Il s'agit juste d'un club "Même en Italie, où M. Bannon assure avoir passé " des heures " à convaincre le chef de la Ligue, Matteo Salvini, de rompre son alliance avec Silvio Berlusconi pour s'allier avec le Mouvement 5 étoiles, beaucoup jugent aujourd'hui que celui-ci s'est surtout fait mousser.
Face à ces réticences, les représentants de Bannon en Europe relativisent désormais son projet. " La presse raconte que Steve apporte son républicanisme américain en Europe. Mais ce n'est pas du tout ce qu'il veut faire ", assure ainsi son bras droit en Europe, le Britannique Raheem Kassam. Cet ancien conseiller politique de Nigel Farage, l'ex-leader du UKIP, le parti anti-UE du Royaume-Uni, a connu l'ancien directeur du site d'information ultraconservateur Breitbart News lorsque lui-même en dirigeait la branche londonienne.
Fils d'immigrés tanzaniens musulmans d'origine indienne, il s'est fait connaître à la fois pour son ultralibéralisme, sa proximité de l'extrême droite américaine et sa dénonciation virulente de l'islam. " La seule chose nécessaire pour faire partie de ce mouvement, c'est de rapatrier votre souveraineté nationale depuis Bruxelles ", promet-il,en décrivant Le Mouvement comme une simple " structure de rassemblement, de mise en commun ".
" Il s'agit juste d'un club ", renchérit le troisième homme de la fondation, le Belge Mischaël -Modrikamen. " Ce n'est pas Bannon qui va diriger un super-groupe européen ", assure cet avocat à la tête du Parti populaire, un mouvement d'extrême droite wallon aux scores électoraux négligeables. Egalement proche de Nigel Farage, c'est lui qui a eu l'idée du nom " Le Mouvement ". Il a déposé les statuts d'une fondation portant ce nom dès janvier  2017, dans la foulée de l'élection de Donald Trump.
Ses statuts précisent qu'elle a notamment vocation à promouvoir " la souveraineté des nations ", la " lutte contre l'islam radical " ou " une approche scientifique et non dogmatique des phénomènes climatiques ". Son conseil d'administration est actuellement composé de M. Modrikamen, son épouse et Laure Ferrari, une proche de Nigel Farage devenue directrice de la fondation du groupe du UKIP à Bruxelles jusqu'à ce qu'elle soit privée de financements par le Parlement européen en raison d'irrégularités.
Selon M. Modrikamen, c'est à l'occasion d'un déjeuner avec M. Bannon organisé à Londres le 15 juillet par M. Farage qu'il -présente sa structure alors en sommeil. " Cela a été très vite ; -quelques jours après, il souhaitait que je sois le managing director pour l'Europe, raconte-t-il. Bannon est un type de décision, l'intendance suivra. " Bien conscient des réticences européennes, il insiste toutefois sur ce que peut apporter Bannon " en matière de données ".
Fichiers électorauxLe héros de l'alt-right a, en effet, siégé dans le conseil d'administration de Cambridge Analytica, l'entreprise spécialiste des campagnes électorales qui a fermé en mai à la suite du scandale sur l'usage de données récupérées sur Facebook en faveur de Donald Trump. Même si ce dossier fait l'objet d'une enquête judiciaire aux Etats-Unis, sa capacité supposée à maîtriser les réseaux sociaux pendant les campagnes électorales fascine encore nombre de populistes européens.
Un cadre de RN assure ainsi que l'ex-" spin doctor " a posé des questions sur la manière dont les fichiers électoraux peuvent être utilisés en France. " C'est une question très sensible,avertit toutefois Raheem Kassam. Si nous faisons quelque chose en matière de données, il ne s'agira pas de les amasser et de les partager. Ce serait trop lourd en -matière réglementaire. "
Autre question, l'argent. Si MM. Kassam et Modrikamen soutiennent que Le Mouvement sera une réponse à la fondation Open Society du philanthrope George Soros, ils conviennent qu'elle ne sera jamais aussi bien dotée. M.  Kassam assure qu'il va solliciter des financeurs européens, -M. Modrikamen parle, lui, d'Américains. Privé du soutien de la famille du riche conservateur américain Robert Mercer depuis le début de l'année, Steve Bannon a évoqué le lancement d'une cryptomonnaie " pour le mouvement populiste dans le monde entier "
En attendant, le Mouvement n'a encore ni site Internet ni même de page Facebook. Et le siège reste pour l'instant au domicile personnel de M. Modrikamen, même si M. Kassam parle aussi de futurs bureaux à " Budapest, Londres, Rome et Varsovie ". La grande conférence de presse de lancement que M. Bannon voulait organiser pour le 3 septembre en Europe ne devrait finalement se produire que mi-septembre. Il a de toute façon passé le mois d'août avec -Raheem Kassam en Californie pour produire un spectaculaire film à la gloire de Donald Trump en vue des élections de mi-mandat de novembre.
Philipe Bernard (à Londres) et Jean-Baptiste Chastand, (à Paris), avec les, correspondants européens
© Le Monde

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