Plutôt décevant, sans être pour autant catastrophique. Au deuxième trimestre, le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro a progressé de 0,3 %, selon l'estimation préliminaire publiée mardi 31 juillet par Eurostat. C'est moins que les 0,4 % des trois premiers mois de 2018 – un coup de mou qui avait soulevé une vague d'inquiétude, voire d'incompréhension, parmi les économistes. En 2017, la croissance avait en effet caracolé à 0,7 % par trimestre, soit 2,4 % sur l'ensemble de l'année. La page de la crise se refermait enfin, et l'espoir d'une reprise solide soufflait sur les carnets de commandes.
Depuis, l'optimisme a pris du plomb dans l'aile. Le chiffre du deuxième trimestre est d'autant plus frustrant que la croissance américaine, elle, a bondi de 4,1 % en rythme annuel entre avril et juin, au plus haut depuis quatre ans, contre un timide 2,2 % dans l'Union européenne (UE), où les premiers effets des tensions commerciales se font sentir.
Dans le détail, la croissance française a traversé un trou d'air avec un PIB en progression de 0,2 %, comme en Italie, tandis que celui de l'Espagne augmentait de 0,6 %, plutôt robuste, même s'il s'agit de sa plus faible hausse en six ans. La croissance allemande, très attendue, sera dévoilée le 14 août.
" Nous pensons qu'elle sera plutôt bonne ", confie Jack -Allen, de Capital Economics.
En attendant, les chiffres en demi-teinte de la zone euro confirment l'essoufflement enregistré au premier trimestre.
" Après la très bonne année 2017, ce ralentissement cyclique n'a rien de surprenant : passé l'effet de rattrapage, l'activité se rapproche de son rythme de croisière ", rappelle l'économiste indépendante Véronique Riches-Flores.
Le pic de la croissance européenne est désormais derrière nous. Mais les conjoncturistes ne sont pas tous d'accord sur le niveau de ce rythme de croisière : sera-t-il à 1,6 % par an ou plutôt à 1,9 % ? Bien sûr, les conséquences pour les finances publiques ne seront pas les mêmes.
Les plus optimistes soulignent que les facteurs temporaires qui ont pesé sur la croissance en début d'année – mauvaise météo, arrêts maladie liés à l'épidémie de grippe en Allemagne, grèves – sont dissipés. Les salaires frémissent, les entreprises vont bien et l'emploi tient bon : le taux de chômage était de 8,3 % en juin, au plus bas depuis décembre 2008. Si les indicateurs laissent penser que la demande domestique a été le principal moteur de l'économie européenne ces dernières semaines, la reprise de l'inflation a néanmoins grevé le pouvoir d'achat. En outre, le commerce extérieur a fléchi : après leur rebond de 4,7 % en 2017, les importations mondiales ont ralenti sur la première moitié de l'année.
Il est peu probable qu'elles se redressent de manière significative d'ici à décembre, au regard des crispations commerciales sino-américaines. Aujourd'hui, celles-ci représentent le principal risque pesant sur la croissance mondiale. Dans une étude publiée mardi 31 juillet, l'agence de notation Moody's estime que d'autres mesures tarifaires entre Washington et Pékin sont à craindre d'ici à la fin de l'année.
Prise en étauAu total, elles pourraient amputer la croissance américaine de 0,25 point de PIB en 2019, annulant une partie des effets de relance liés aux cadeaux fiscaux dispensés par Donald Trump, tandis que l'économie chinoise perdrait de 0,3 à 0,5 point de PIB.
La zone euro, elle, se trouve prise en étau, la Chine et les Etats-Unis comptant pour 20 % de ses exportations. L'accord préliminaire conclu le 25 juillet entre Donald Trump et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, laisse espérer une désescalade et la fin des hostilités douanières. Cependant, l'issue des négociations reste incertaine.
" Les tensions commerciales ont un impact direct pour l'instant limité sur la zone euro, mais elles pourraient peser sur les décisions d'investissement des entreprises si elles se prolongent ", analyse Nadia Gharbi, chez Pictet.
" Les risques sont conséquents pour les économies les plus ouvertes : Allemagne, Pays-Bas et Suisse ", ajoutent les experts de Capital Economics.
Dit autrement : la seconde partie de l'année sera placée sous le signe des incertitudes politiques. Car au commerce s'ajoutent les tensions liées au Brexit. En théorie, un compromis sur les modalités de sortie du Royaume-Uni de l'UE doit être conclu d'ici à octobre avec Bruxelles, mais les discussions patinent. Si bien que le scénario d'un " no deal " – une sortie sans accord aux conséquences imprévisibles – n'est désormais plus exclu.
A la rentrée, la présentation du premier budget du gouvernement italien fera aussi figure de test pour la zone euro. La coalition entre la Ligue (extrême droite) et le Mouvement Cinq étoiles (antisystème) remettra-t-elle en cause les règles budgétaires communes ? Ira-t-elle à la confrontation avec Bruxelles, quitte à ce que cela se traduise par une flambée des taux d'emprunt italiens, ou cherchera-t-elle l'apaisement ?
Dans ce contexte, nombre d'institutions ont revu leurs prévisions de croissance à la baisse. La Commission européenne mise désormais sur un PIB en hausse de 1,9 % dans la zone euro en 2018, au lieu de 2,3 %. Et il n'y a plus de doute sur le fait que la France fera moins bien que prévu.
" Nous réviserons les perspectives de croissance pour 2018 ", a admis le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, mardi sur BFMTV. L'objectif de 2 % fixé par le gouvernement pour cette année n'est plus crédible : la Commission table sur 1,7 %.
Reste à savoir comment la Banque centrale européenne interprétera ces chiffres. L'institut monétaire prévoit de cesser ses rachats de dettes publiques fin 2018, et de ne pas relever ses taux directeurs avant l'été 2019.
" Elle se retrouve dans une situation délicate, avec qui plus est, peu de marges de manœuvre dans le cas où le ralentissement s'aggraverait encore ", conclut Mme Riches-Flores.
Marie Charrel
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