Huit ans après son départ, Google pourrait bientôt faire son retour en Chine. Selon plusieurs médias américains, la société californienne travaille sur une version censurée de son moteur de recherche, filtrant les mots-clés et les sites Internet interdits par Pékin. Cette possible volte-face suscite déjà de vives réactions, notamment chez les salariés.
D'après des documents internes obtenus par le site
The Intercept, Google aurait déjà présenté un moteur de recherche et un agrégateur d'informations aux autorités chinoises et viserait un lancement d'ici six à neuf mois. Le projet, baptisé " dragonfly " (libellule), s'est accéléré en décembre 2017 après une visite en Chine de Sundar Pichai, le directeur général de l'entreprise. Il aurait été reçu par Wang Huning, un des sept membres du comité permanent du bureau politique du Parti communiste et le théoricien de la politique extérieure du président Xi Jinping.
Le moteur de recherche actuellement en gestation fonctionnerait sur le même modèle que celui d'avant 2010. Une requête sur Tiananmen mènerait à des articles sur le mausolée de Mao Zedong et la Cité interdite, laissant de côté le massacre des étudiants qui eut lieu sur la place en 1989. Un message informerait simplement les internautes que des liens ont été retirés. Pour certaines recherches sensibles, aucun résultat ne s'afficherait.
Google avait quitté la Chine en 2010 avec fracas. Après quatre ans dans le pays, le moteur avait conquis 36 % des parts de marché, face au concurrent local Baidu. Sa décision avait été motivée par la découverte, fin 2009, d'une vaste opération de piratage, visant notamment les boîtes mails de défenseurs des droits de l'homme et d'activistes tibétains. Depuis 2010, son moteur de recherche et la plupart de ses services (Gmail, YouTube…) sont bloqués.
Ces dernières années, Google ne faisait pas mystère de son intention de retrouver le marché chinois.
" Nous voulons être en Chine, et servir les utilisateurs chinois ",expliquait, en 2016, Sundar Pichai.
Quelque mois plus tôt, le groupe avait tenté sans succès de lancer une version censurée de sa boutique d'applications Google Play. Rien ne dit que cette nouvelle tentative aura plus de succès.
Un projet très critiquéDébut 2018, l'entreprise a également ouvert un laboratoire spécialisé dans l'intelligence artificielle à Pékin. En juin, elle a investi 550 millions de dollars (soit 475 millions d'euros) dans le numéro deux chinois du commerce en ligne, JD.com. Et elle a lancé ses applications Translate (traduction) et Files Go (gestion de fichiers) en Chine.
Le pays compte le plus d'internautes au monde, avec 772 millions de personnes connectées. C'est 2,5 fois plus qu'aux Etats-Unis. Mais l'accès au pays est très contrôlé. Les entreprises du Web doivent non seulement se plier à la censure, mais aussi partager des informations de leurs utilisateurs avec les autorités locales. La liste des sites Internet bloqués ne cesse de s'allonger : Facebook, Twitter, et de nombreux médias, dont
Lemonde.fr, sont toujours interdits.
Malgré tout, le marché chinois aiguise les appétits. Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, ne ménage pas ses efforts pour amadouer les dirigeants du régime. Selon le
New York Times, le réseau social aurait conçu un outil de censure permettant de supprimer des sujets de discussion. D'autres géants de la Silicon Valley acceptent de se soumettre à des réglementations controversées. Depuis février, Apple héberge les données des utilisateurs chinois du service iCloud sur les serveurs d'une entreprise proche du pouvoir.
Le possible retour de Google est critiqué par les ONG de défense des droits de l'homme.
" Ils risquent - Google -
d'apporter une caution aux abus du gouvernement chinois, pointe Maya Wang, de l'ONG Human Rights Watch.
Quant à la protection de la vie privée des utilisateurs, il est de plus en plus difficile de la respecter depuis la loi sur la cybersécurité - en application depuis juin 2017 -
qui oblige les entreprises en Chine à collaborer aux enquêtes de police. " Aux Etats-Unis, le sénateur républicain Marco Rubio dénonce un choix
" troublant ".
En interne, la contestation est vive. Le départ de Chine avait été une décision forte, impulsée par Sergey Brin, l'un des deux fondateurs dont les parents avaient fui la Russie communiste. Elle plaçait le rejet de la censure devant les opportunités commerciales. La nouvelle direction est plus pragmatique. Sur les forums internes de l'entreprise certains salariés – à la lumière du non-renouvellement du contrat avec le Pentagone – espèrent encore faire plier leurs dirigeants au sujet de la Chine.
Simon Leplâtre, et Jérôme Marin
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