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vendredi 10 août 2018

En Norvège, les survivants de la tuerie d'Utoya, en 2011, victimes de menaces


9 août 2018

En Norvège, les survivants de la tuerie d'Utoya, en 2011, victimes de menaces

Les jeunes travaillistes rescapés du massacre commis par Anders Breivik sont l'objet d'insultes

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Sept ans après le double attentat du 22  juillet 2011 -perpétré par le terroriste d'extrême droite Anders Behring Breivik, une enquête du quotidien norvégienAftenposten publiée mi-juillet dévoile que de nombreux survivants d'Utoya, l'île où 69 jeunes militants travaillistes ont été abattus, reçoivent insultes et menaces. Ces révélations ont obligé la police à réagir et en disent long sur le trouble profond qui continue d'habiter la société norvégienne.
Blessé sur l'île, Tarjei Jensen Bech, 19 ans à l'époque, raconte le type de messages qu'il reçoit : " Tu es un traître. Ça aurait été mieux pour nous si tu étais resté sur Utoya et si tu n'avais pas survécu. Dommage que Breivik n'ait pas mieux visé. " Soit une terminologie proche de celle utilisée par le terroriste lui-même pour justifier son massacre, avant sa condamnation à vingt et un ans de prison. Aftenposten raconte que le jeune élu travailliste a subi vingt-cinq opérations et reçu quatre menaces de mort. " Regarde la prochaine fois que tu passes le coin d'une rue, je serai là avec un -Magnum et tu seras mort, sale porc que tu es ! ", dit une autre lettre.
Un an après l'attentat, Elin Maria l'Estrange, une autre survivante, avait déposé une proposition visant à obliger les communes à accueillir des réfugiés. Sur Facebook, un anonyme lui dit : " Mauvaise idée. Tu aurais dû être abattue, et tu sais où. J'espère que tu étais là-bas et que tu as vécu l'enfer, ce serait une maigre consolation. " Après cela, la jeune femme a été plus prudente pour s'exprimer sur la politique d'asile et l'immigration.
Tarjei Jensen Bech a arrêté de porter plainte, ses premiers signalements n'ayant eu aucune suite. L'AUF, l'organisation norvégienne des Jeunesses travaillistes, qui a perdu tant des siens sur l'île, n'a pas enregistré ces plaintes de manière systématique. Depuis la publication de l'article dans Aftenposten, le groupe de lutte contre les crimes de haine, mis en place en  2014 au sein de la police d'Oslo, a pris contact avec l'AUF. La police reconnaît toutefois ne pas connaître l'ampleur du phénomène.
" Tirer la carte du 22-Juillet "Sur les 36 expéditeurs d'insultes et de menaces évoqués dans l'article, 29 ont été identifiés. Il s'agit en général d'hommes, aux revenus modestes, critiques du Parti travailliste (AP), dont ils estiment qu'il mène une politique d'islamisation. Les attentats ont eu des conséquences paradoxales sur la Norvègé, dirigée depuis 2013 par une coalition rassemblant le Parti conservateur et le Parti du progrès, anti-immigrés, dont Breivik a fait partie pendant dix ans avant d'en claquer la porte.
D'un côté, les victimes n'ont en général pas osé se mettre en avant. " Beaucoup de ceux qui ont vécu le 22-Juillet ont eu peur de participer au débat, regrette Tonje Brenna, une survivante. Nous avions peur que les gens nous accusent de profiter de ce qui nous était arrivé. Une partie de nos opposants politiques ont pris leur part de responsabilité quand ils ont commencé à se servir de l'expression tirer la carte du 22-Juillet”. "
L'exigence d'un ton plus austère dans le débat public n'a qu'un temps apaisé les esprits." La colère a été trop facilement mise de côté, note Henrik Syse, chercheur à l'Institut de recherche sur la paix d'Oslo. Elle fait un retour sous la forme d'un discours de haine parmi ceux qui estimaient qu'il n'y avait pas d'espace d'expression pour eux dans le débat public. "
" De puissantes organisations issues de la société civile comme Human Rights Service, qui obtient des millions de couronnes de fonds publics grâce à leurs larges réseaux dans les cercles du Parti du progrès, mais aussi des fonds de riches entrepreneurs norvégiens soutenant le gouvernement, produisent quotidiennement du discours de haine antimusulman, constate Sindre Bangstad, un anthropologue qui suit de près ces phénomènes. Le même réseau de milliardaires finance de nouveaux médias d'extrême droite. " Des réseaux bien plus actifs depuis les attentats.
Le débat provoqué à la suite de la publication de l'enquête a aussi mis l'accent sur la haine particulière dont fait l'objet l'AP. Terje Emberland, du Centre d'études de l'Holocauste et des minorités religieuses, a effectué des recherches sur les théories conspirationnistes qui visent l'AP et qui reposent sur l'idée que, pour certains, le parti a encore un agenda révolutionnaire caché visant à détruire la démocratie et l'héritage culturel chrétien de la Norvège. Les conspirationnistes sont persuadés que l'AP encourage l'immigration de masse afin de remplacer la population norvégienne et d'islamiser la Norvège, à l'instar de la théorie du complot Eurabia, dont Breivik s'est largement inspiré.
" Le 22-Juillet était un attentat politique, note Frode Elgesem, un des avocats des parties civiles lors du procès Breivik en 2012. - Cet aspect - est en passe d'être oublié. La politique perd quelque chose d'important si la génération Utoya est réduite au silence par la peur. "
Olivier Truc
© Le Monde

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