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vendredi 10 août 2018

Dans le sud de la Syrie, l'angoisse des Druzes face aux djihadistes


9 août 2018

Dans le sud de la Syrie, l'angoisse des Druzes face aux djihadistes

Après avoir subi des attaques meurtrières, la minorité, restée jusqu'alors à l'écart du conflit, soutient l'offensive du régime contre l'EI

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La guerre est de retour dans la région de Souweïda, bastion de la minorité druze situé dans le sud de la Syrie. La population y vit désormais au rythme de l'offensive lancée par le camp prorégime contre les djihadistes de l'organisation Etat islamique (EI) retranchés dans les zones désertiques qui bordent la province.
Les opérations en cours font suite aux sanglantes attaques menées par les djihadistes, le 25 juillet, contre Souweïda et plusieurs villages avoisinants. 250 personnes, des civils pour l'essentiel, avaient été tués par des membres de l'organisation Etat islamique et trente habitants – des femmes, des enfants et des jeunes hommes – d'un même village avaient été pris en otage. Après l'exécution, jeudi 2 août, de l'un deux, un jeune étudiant de 19 ans, dont les images ont été diffusées dimanche sur Internet, le climat d'angoisse, de colère et de tension qui règne dans la province druze est à son comble.
" Les gens ont peur qu'une nouvelle attaque se produise. Des rondes de nuit sont organisées au quotidien ", explique Chadi Saab, résident de Souweïda. Dans la ville, située à une centaine de kilomètres de Damas, des habitants veillent désormais eux-mêmes sur leurs quartiers, soutenant ainsi de multiples groupes d'autodéfense et des milices druzes qui ont proliféré au cours du conflit et tiennent des barrages à l'intérieur de la cité et sur les routes de la province. On craint autant une tentative d'infiltration de djihadistes venus du désert que l'activation d'éventuelles cellules dormantes.
Mardi, une foule en colère, encadrée par des miliciens pro-régime, a pendu en pleine rue dans Souweïda un combattant présumé de l'EI. Selon des sources locales il avait été arrêté quelques heures plus tôt alors qu'il tentait de commettre un attentat. " Tout le monde n'appuie pas cette façon de rendre justice, mais une majorité des habitants l'approuve. Personne ne peut oublier comment les gens ont été massacrés le 25 juillet ", affirme Kinan Al-Yassin, membre d'un groupe paramilitaire local qui coopère avec l'armée. D'autres cas de lynchages contre des individus accusés d'appartenir à l'EI ont été rapportés depuis les récentes tueries.
" La présence de Daech - acronyme arabe de l'EI - dans le désert voisin depuis plusieurs années était une source d'inquiétude. Mais personne ne pensait que ses hommes pouvaient entrer dansSouweïda et commettre un tel massacre. Ce fut un choc immense ", note le résident de Souweïda Chadi Saab. Depuis le début du conflit syrien, la région druze a cherché à tout prix à se tenir à distance des combats. Elle a obtenu du régime de Damas de ne pas voir ses hommes enrôlés dans l'armée pour combattre sur des fronts lointains, tout en refusant de soutenir une rébellion rapidement dominée des islamistes.
Renforts importants de l'arméeAprès l'attaque djihadiste du 25 juillet, des milices locales druzes jouissant d'un certain degré d'autonomie, comme l'unité des " Cheikhs de la dignité ", sont entrées en action, se coordonnant par la suite avec les forces du régime dépêchées pour les soutenir.
Des renforts importants de l'armée syrienne et ses supplétifs miliciens des Forces de défense nationale appuyées par l'aviation russe tentent d'enfoncer les lignes djihadistes en plein désert tandis que les groupes armés druzes tiennent l'arrière. Sur ce terrain extrêmement difficile, les habitants des villages éparpillés aux marges des territoires de l'EI ont été réquisitionnés pour servir de guides aux forces loyalistes.
Si les habitants de Souweïda espèrent voir la menace s'éloigner grâce au soutien de l'armée et de ses alliés, une certaine défiance demeure à l'égard du régime. Certaines voix accusent les autorités d'avoir laissé le terrain libre aux djihadistes pour effrayer les druzes et faciliter le retour en force du régime dans la région.
" Il y a aussi beaucoup de colère contre les forces du régime ", affirme le journaliste Fadi Dahouk, originaire de la région et désormais installé en France. Les habitants reprochent à l'armée et aux forces supplétives leur redéploiement, dans les semaines précédentes, vers le front de Deraa, laissant ainsi les Druzes livrés à eux-mêmes pour se défendre lors de l'attaque. Les évacuations de combattants de l'organisation Etat islamique, du camp de Yarmouk, en lisière de Damas, en mai, puis de la zone de Kuneitra, le 31 juillet, vers le désert de l'est syrien, renforçant les rangs des djihadistes, sont également violemment critiquées.
" Pour que la zone soit stabilisée, il faudra que l'armée maintienne une présence dans le désert après l'offensive, et que les Forces de défense nationale soient sur le qui-vive, commente le chercheur Talal Al-Atrache, issu d'une famille illustre de Souweïda. Il faut aussi qu'une forme de coopération soit trouvée entre Russes et Américains pour opérer dans le désert syrien. "
Dans la ville endeuillée, travaillée par ses tensions alors que la guerre est aux portes, la solidarité druze ne s'est pas démentie. Selon Chadi Saab, nul ne songe à partir, malgré le bain de sang et le climat électrique : " Les Druzes n'abandonnent pas leur terre. Ils la défendent et ils y meurent. "
Laure Stephan
© Le Monde

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