Trois jours après leur mort en République centrafricaine (RCA), les conditions dans lesquelles trois journalistes russes expérimentés ont été assassinés demeuraient confuses, jeudi 2 août. Les corps criblés de balles d'Alexandre Rastorgouïev, d'Orkhan Djemal et de Kirill Radtchenko ont été retrouvés, mardi 31 juillet au matin, entre Sibut et Dékoa, à plus de 200 km au nord de Bangui. Selon une source sécuritaire onusienne, l'attaque menée par un groupe armé non identifié se serait produite la veille vers 17 h 30 (heure locale), et seul le chauffeur a pu en réchapper.
Les trois hommes enquêtaient sur les activités de Wagner, une société paramilitaire russe implantée en RCA. Leurs corps ont été rapatriés mardi soir dans la capitale, où leur mort a suscité une vive émotion.
Le porte-parole du gouvernement centrafricain a indiqué, mardi soir sur TVCA, que d'après les déclarations du chauffeur de l'équipe, une dizaine de
" ravisseurs enturbannés " ne parlant
" ni le français ni le sango ", la langue nationale, avaient confisqué le véhicule des journalistes, à 32 km de Sibut, avant de les exécuter par balles. Cette description pointe, sans le dire explicitement, les ex-rebelles de la Séléka, majoritairement musulmans et souvent venus du Tchad ou du Soudan voisins.
Réplique d'un responsable de l'un des principaux mouvements composant la Séléka :
" Nos hommes ne sont pas dans cette zone. Là-bas, ce sont les soldats des forces armées centrafricaines - FACA -
et les anti-balaka - groupes de milices opposées à la Séléka -
qui sont sur place. "
Pour l'heure, aucune source indépendante n'est venue apporter de lumière sur ces disparitions. Le porte-parole de la Minusca, la mission des Nations unies en République centrafricaine, a simplement déclaré mercredi que
" la zone fait l'objet de patrouilles régulières de la - force onusienne -
et des FACA " et qu'il n'avait
" pas eu connaissance d'incident grave sur cet axe ces derniers temps ". Toujours selon une source onusienne, des soldats centrafricains ont été
" tout récemment déployés dans cette zone et sont accompagnés par des casques bleus ".
" Rien de sensationnel "Les reporters, arrivés le 28 juillet dans le pays, préparaient un documentaire sur les activités de la compagnie de sécurité privée russe Wagner, selon Andreï Koniakhine, rédacteur en chef de l'Investigation Control Centre (TsUR), pour lequel ils menaient ce travail. Cet organe, créé en 2005 par l'ancien oligarque russe et opposant en exil Mikhaïl Khodorkovski, est spécialisé dans les enquêtes sur la corruption du régime russe.
Les autorités centrafricaines ont assuré qu'aucune autorisation n'avait été accordée aux journalistes. L'ambassade russe sur place a, elle aussi, déploré n'avoir
" pas été informée de la présence de journalistes dans le pays ". Sur sa page -Facebook personnelle, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères a assuré que
" le sujet - sur lequel travaillaient les journalistes -
n'avait rien de sensationnel " et renvoyé vers un document officiel précisant que Moscou avait envoyé en RCA
" cinq instructeurs militaires et 170 civils pour la formation des forces armées ".
" Ce que - les trois hommes -
faisaient réellement en RCA, quels étaient leurs buts et leurs missions…
La question reste ouverte ", écrivait encore Mme Zakharova.
Depuis le début de l'année, Moscou fournit des armes et assure le premier cercle de la sécurité du président, Faustin-Archange Touadéra. Depuis avril, la Russie forme également des éléments des FACA, un accord dans lequel la société Wagner n'est pas ouvertement mentionnée. Un camp d'entraînement des FACA se situe justement à Sibut, où s'étaient rendus les trois journalistes, qui avaient également été aperçus les jours précédents dans la ville de Berengo.
Jusqu'à présent, Wagner, dont les dirigeants sont proches du Kremlin, était plus connu pour son action en Ukraine, où ses mercenaires ont combattu les forces de Kiev dès 2014, et en Syrie, où la compagnie opère au côté du régime de Bachar Al-Assad. En février, plusieurs dizaines de ses membres avaient été tués par des frappes américaines alors qu'ils tentaient de s'emparer d'un site gazier près de Deir ez-Zor. Moscou, qui ne dispose d'aucune législation sur les sociétés privées de sécurité, les TchVK, dément entretenir le moindre contact avec l'entreprise, même si celle-ci utilise en Russie des infrastructures de l'armée et que son fondateur est issu des renseignements militaires.
L'arrivée de Wagner en Afrique constitue un secret de Polichinelle, mais la nature exacte de ses activités reste mystérieuse. Selon une bonne source, la compagnie ne s'occuperait pas seulement de formation, mais serait
" le vrai propriétaire de Lobaye Invest - une société d'exploitation minière de droit centrafricain -
. Son intérêt pour l'exploitation minière ne fait aucun doute ". Le think tank Conflict Intelligence Team évoque, lui aussi, l'intérêt de Wagner pour la filière extractive, qui justifierait des contacts avec les ex-rebelles de la Séléka, présents dans le nord du pays.
" Enquête approfondie "La police des Nations unies a indiqué qu'elle appuyait l'enquête lancée par les autorités centrafricaines et envoyé une équipe sur place. Plus de quatre ans après la mort de la photojournaliste Camille Lepage, Reporters sans frontières a demandé aux autorités centrafricaines et russes de mener
" une enquête sérieuse et approfondie " pour identifier les auteurs de l'assassinat des trois hommes.
Alexandre Rastorgouïev et Orkhan Djemal étaient deux professionnels reconnus. Le premier, âgé de 47 ans, documentariste de talent exerçant principalement pour le cinéma, avait -notamment travaillé en Tchétchénie et réalisé en 2014 le film
Srok (" le mandat ") sur l'opposition russe.
Orkhan Djemal, 51 ans, était un reporter de guerre confirmé, qui avait travaillé pour la plupart des médias indépendants de Russie, dont le journal
Novaïa Gazeta, en Afghanistan, dans le Caucase ou encore dans le Donbass. Il avait été grièvement blessé en Libye en 2011.
Le cameraman Kirill Radtchenko, 33 ans, avait travaillé à plusieurs reprises en Syrie.
Cyril Bensimon, Gaël Grilhot (à Bangui), et Benoît Vitkine
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire