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mardi 7 août 2018

Au Brésil, Lula investi candidat à la présidentielle malgré sa détention


7 août 2018

Au Brésil, Lula investi candidat à la présidentielle malgré sa détention

L'ex-chef de l'Etat devrait être déclaré inéligible, mais veut rester dans la course, avec l'ex-maire de Sao Paulo, Fernando Haddad, en colistier

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LE PROFIL
Fernando Haddad
Ministre de l'éducation de 2005 à 2012 sous les présidences de Lula et de Dilma Rousseff, Fernando Haddad, 55 ans, reste dans leur ombre une personnalité politique de second plan. Jusqu'au mois de décembre 2016, M. Haddad dirige la mairie de Sao Paulo où il doit faire face aux plus importantes manifestations qu'ait connues le Brésil depuis les années 1990. En cause : la hausse du prix des transports en commun.
La politique, c'est l'art de l'impossible ", aime à répéter Lula. Le prisonnier le plus célèbre du Brésil semble se surpasser en la matière. Non seulement Luiz Inacio Lula da Silva a réussi à se faire investir par le Parti des travailleurs (PT, gauche) réuni en convention samedi 4  août à Sao Paulo, mais les sondages le donnent toujours favori du scrutin présidentiel qui doit se tenir en octobre, avec 30  % des intentions de vote après quatre mois d'incarcération. Depuis le fond de sa cellule, l'indomptable poursuit son épreuve de force implacable avec les juges et compte bien imposer son agenda aux autres candidats.
" Je suis Lula ", ont lancé plus de 2 000 partisans à la convention du Parti des travailleurs (PT), portant le masque de leur leader détenu à 400  kilomètres de là. " Ils s'imaginaient que Lula perdrait de son prestige. Mais le peuple connaît Lula et nous sommes face à une bataille décisive ", a lancé Fernando Haddad, l'ancien maire de Sao Paulo âgé de 55 ans.
Celui-ci a été désigné comme colistier de l'ancien président (2003-2010) tard dans la soirée de dimanche après quatre heures de négociations entre le PT et le Parti communiste. C'est lui qui sera amené à le remplacer en cas d'inéligibilité. La candidate communiste à la présidentielle, Manuela d'Avila, devrait renoncer à sa candidature pour rejoindre le ticket du PT aux côtés de Fernando Haddad si Lula est exclu de la course.
La candidature de Lula doit être officiellement enregistrée d'ici au 15  août, date à partir de laquelle le Tribunal supérieur électoral pourra se prononcer sur son inéligibilité. Celle-ci est considérée quasiment certaine en vertu d'une loi interdisant la candidature de personnalités condamnées en deuxième instance pour corruption ou blanchiment d'argent, ce qui est précisément le cas de Lula.
Susceptibilités de la gaucheSes avocats font néanmoins valoir que les voies de recours n'ayant pas été épuisées, leur client devrait être éligible au titre de la présomption d'innocence. Le tribunal supérieur électoral aura jusqu'au 17  septembre pour prendre sa décision, soit seulement trois semaines avant le scrutin. Le président du tribunal, Luiz Fux, a répété début août que Lula était " inéligible ".
En choisissant de rester dans la course jusqu'au bout, le charismatique Lula espère transférer à la dernière minute son capital électoral à Fernando Haddad, pour le propulser au second tour de la présidentielle. Cela, même sans être autorisé à faire campagne ou à participer aux débats, pour lesquels il sera remplacé par Haddad.
André Singer, proche de Lula et auteur du livre Lulismo (" Lulisme "), s'interroge sur cette stratégie dans une interview au site UOL et estime que Lula aurait dû désigner un remplaçant plus tôt pour que l'électorat ait le temps de se familiariser.
Fernando Haddad est méconnu hors de Sao Paulo, dans ce pays immense de plus de 200 millions d'habitants. Selon un sondage mené en juillet par DataPoder360, si 44  % des électeurs ont entendu parler de lui, 33 % ne le connaissent pas du tout. Malgré cela, l'ancien ministre de l'éducation de Lula suscite, dans une opinion écœurée, un taux de rejet proche de celui de politiciens en vue.
Celui-ci s'élève à 57 %, contre 60  % pour Lula et 65 % pour Jair Bolsonaro, le candidat d'extrême droite. " Fernando Haddad est moins connu, moins charismatique, moins expérimenté et souffre comme Lula du dégoût qu'inspire le PT ",note Carlos Melo, professeur de sciences politiques à l'Institut Insper.
Les tactiques de l'ancien syndicaliste ont en outre froissé les susceptibilités au sein de la gauche. Occupant tout l'espace, il a provoqué l'ire de Ciro Gomes (Parti travailliste démocratique) en fragilisant sa candidature. " Sa stratégie d'autopréservation par voie d'hégémonie sur la gauche divise celle-ci et fait le jeu de la droite et l'extrême droite ", estime Oliver Stuenkel, professeur à la Fondation Getulio Vargas. Quant à sa décision de continuer à faire front à la justice, les avis divergent radicalement sur son bien-fondé et ses conséquences.
Lula, qui clame son innocence, se dit persécuté par la justice, les médias et les élites. Il peut compter sur son électorat le plus fidèle qui continue à le soutenir sans faille et sur une partie de l'opinion qui juge sa condamnation trop sévère au regard des accusations de corruption bien plus graves pesant sur le reste de la classe politique.
" Confusion totale "Lula a opté pour une stratégie jusqu'au-boutiste face aux juges. Au risque de polariser encore plus l'opinion publique, il parle déjà d'une élection " truquée ". " S'il continue à faire appel, on court le risque d'avoir son nom sur les bulletins de vote, ce qui provoquerait la confusion totale parmi les électeurs, déplore Silvana Batini, ex-procureure et spécialiste de droit électoral à la Fondation Getulio Varga. C'est une attitude dangereuse pour la démocratie. "
Mais pour les défenseurs de Lula, le ver est dans le fruit depuis la destitution de sa dauphine, Dilma Rousseff, en  2016, qu'ils considèrent comme un coup d'Etat parlementaire. Celle-ci aurait, selon eux, contribué à la montée des extrêmes, représentée aujourd'hui par le candidat Jair Bolsonaro, deuxième dans les sondages. Lequel a choisi comme vice-président sur son ticket le général de réserve Hamilton Mourao, celui-là même qui défendit l'idée d'une intervention militaire pour mettre fin à l'incurie générale en  2017. " La démocratie brésilienne s'est affaiblie et peut céder ", prévient André Singer. – (Intérim.)
© Le Monde

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