C'est en toute discrétion, avec ses conseillers les plus proches et une seule caméra de la télévision publique ERT, qu'Alexis Tsipras est venu, lundi 30 juillet, à Mati, à une quarantaine de kilomètres d'Athènes, sur les lieux de l'incendie qui a coûté la vie à au moins 92 personnes le 23 juillet. " J'ai visité les lieux de la tragédie, j'ai discuté avec des citoyens, ingénieurs, militaires et bénévoles. La douleur est sans précédent mais il faut respecter ceux qui ont lutté contre les flammes et qui maintenant se battent pour la reconstruction ", a souligné le premier ministre grec sur son compte Twitter, photos à l'appui.
Pour l'opposition, cette visite éclair d'une heure et tenue secrète vient trop tard, une semaine après l'incendie le plus meurtrier de l'histoire du pays.
" Il a fallu une semaine après une tragédie nationale pour que M. Tsipras visite Mati comme un voleur et dans un environnement absolument protégé (…).Il doit prendre conscience que quelqu'un doit être tenu responsable pour les erreurs du 23 juillet ", dénonçait lundi le principal parti d'opposition, Nouvelle Démocratie (droite), qui réclame des démissions.
Sur les réseaux sociaux, les internautes s'adonnaient à des plaisanteries : un photomontage sur Twitter montrait le premier ministre en treillis militaire se camouflant dans la nature pour ne pas affronter les critiques.
" Nous ne voulions pas faire de la visite à Mati un show. Le premier ministre se concentre sur l'aide à apporter aux sinistrés au plus vite ", a répondu lundi le porte-parole du gouvernement, Dimitris Tzanakopoulos.
Jeudi, le ministre de la défense, Panos Kammenos, avait dû faire face lors de sa visite à Mati à des huées après ses déclarations considérées comme provocantes.
" La construction anarchique est un crime du passé, et à Mati la plupart des maisons ont été construites sans permis(…). Après une telle tragédie, il est temps de comprendre qu'il est dangereux de ne pas respecter les lois ", avait-il déclaré face à la caméra de la BBC.
Pour Eleni Politopoulou, qui a perdu des amis dans l'incendie, ces propos sont
" honteux ". Une maladresse qui a conduit vendredi Alexis Tsipras à assumer
" la responsabilité politique " des ravages causés par la catastrophe, sans pourtant admettre d'erreurs au niveau de l'organisation des secours. Le gouvernement promet désormais de détruire toutes les constructions illégales.
" Pas d'information "Le soir même, à la veillée organisée place Syntagma face au Parlement, à Athènes, Mme Politopoulou est toujours sous le choc :
" Le gouvernement n'a pas eu un mot d'excuse pour les victimes. Mais il accuse les habitants de Mati d'avoir construit illégalement ! Toute la Grèce a été bâtie à cause de décennies de clientélisme mais les hommes politiques ne s'en inquiètent que lors de catastrophes ! "
Une série de mesures de soutien aux sinistrés a été annoncée : 5 000 euros pour toute personne ayant perdu un bien, 8 000 euros pour les entreprises qui ont dû fermer, exemptions fiscales pour les habitants de la région…
" Tout à fait insuffisant compte tenu des pertes ", soupire Katerina Alkai, qui a perdu sa résidence principale lors de l'incendie. La retraitée était à Mati lorsqu'elle a vu les flammes déferler à toute vitesse sur sa maison :
" Il n'y avait pas d'information, les services ne se sont pas coordonnés. Avec un vent si fort, ils auraient dû évacuer immédiatement mais ils ont attendu une heure ou deux avant de prendre la mesure des événements. " Les secours ont tardé à venir, selon Katerina Alkai, qui a attendu pendant cinq heures sur une plage bondée de monde qu'une barque la mette en sécurité au port de Rafina.
Le maire de Rafina, Evangelos Bournous, est lui aussi monté au créneau à plusieurs reprises :
" Personne ne nous a avertis qu'il fallait évacuer les lieux rapidement. " A Kineta, près de Corinthe, où un autre feu s'était déclenché au même moment, les autorités n'ont pas été débordées de la même façon :
" Les habitants ont été avertis par la police avec des mégaphones qu'ils devaient évacuer. Certains ont fait de la résistance, mais nous les avons forcés à partir. Dès que les flammes se sont approchées des habitations, nous avons agi rapidement ", soutient le maire de Mégare, Grigoris Stamoulis. Mais, à Mati, les vents allaient jusqu'à 120 km/h, l'accès à la mer était plus compliqué, obstrué par des bâtiments.
" La meilleure planification au monde n'aurait pas pu éviter un tel sinistre ", assure le ministre adjoint à la protection du citoyen, Nikos Toskas. En 2007, après les incendies qui avaient fait 77 morts dans le Péloponnèse, les mêmes critiques pleuvaient contre le parti conservateur au pouvoir. Des mesures avaient été alors prises : des citernes devaient être installées dans toutes les municipalités, de l'argent avait été promis aux communes afin de constituer des équipes de secouristes et de pompiers… Onze ans plus tard, elles n'ont toujours pas été appliquées. La crise est passée par là : le budget des sapeurs-pompiers a été diminué d'environ 30 %.
Marina Rafenberg
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