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vendredi 29 juin 2018

Erdogan ou la victoire de la nostalgie ottomane


27 juin 2018

Erdogan ou la victoire de la nostalgie ottomane

Le président turc a multiplié les discours hostiles à l'Occident pour assurer sa réélection au premier tour

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UNE CAMPAGNE ÉLECTORALE " INÉQUITABLE ", SELON LES OBSERVATEURS DE L'OSCE
Les conditions dans lesquelles s'est déroulée la campagne pour les élections présidentielle et législatives turques de dimanche 24 juin, remportées par le chef de l'Etat sortant, Recep Tayyip Erdogan, et son parti, n'ont pas été équitables, ont jugé les observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). " Les entraves aux libertés fondamentales que nous avons constatées ont eu un impact sur ces élections et j'espère que la Turquie lèvera ces restrictions dès que possible ", a déclaré, lundi 25 juin, Ignacio Sanchez Amor, chef de la mission. L'organisation a entre autres pointé l'absence d'" opportunités égales " pour les candidats, et une couverture médiatique largement favorable au président turc.
Dans son " discours du balcon ", prononcé à Ankara dans la nuit du dimanche  24 au lundi 25  juin pour célébrer sa réélection à la présidence, Recep Tayyip Erdogan a attribué son succès (avec 52,5  % des voix) à la lutte menée " ensemble avec le peuple contre les vandales et les traîtres ", vantant " la bonne leçon donnée à tous ceux qui s'attendaient à ce que la Turquie se mette à genoux ".
L'idée d'une Turquie assiégée par ses ennemis internes – les partisans de l'imam Fethullah Gülen et les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) –, lesquels sont aidés en sous-main par les partenaires occidentaux qui travaillent à sa perte, trouve un écho favorable auprès d'une large partie de l'électorat. Aux yeux de nombreux Turcs, l'Occident était à la manœuvre pendant toute la durée de la campagne pour les élections du 24  juin, dans le but de faire chuter le président Erdogan et avec lui la Turquie, les deux ne faisant plus qu'un.
Du pragmatisme à l'idéologieSe décrivant comme féru d'histoire, l'homme fort d'Ankara ne manque jamais une occasion de citer les grandes dates censées préfigurer l'émergence d'une " Turquie forte ". L'année 2023 est son horizon préféré. Le centième anniversaire de la République fondée par Atatürk en  1923 sera alors fêté, ou plutôt son remplacement par la " République d'Erdogan ", plus religieuse, plus sûre d'elle, certaine d'être au rang des " dix premières puissances mondiales ".
Il lui arrive de mentionner aussi 2053, soit le 600e anniversaire de la prise de Constantinople, et 2071, qui marquera le millénaire de l'arrivée des Seldjoukides en Anatolie, ce qu'il a fait une fois de plus lors de son " discours du balcon ".
Depuis son accession au pouvoir en  2003, M.  Erdogan a progressivement viré du pragmatisme à l'idéologie. Une vaste réinterprétation de l'histoire turque et ottomane est à l'œuvre, une " pop culture " sert de socle au nouveau roman national selon lequel la Turquie a un rôle civilisationnel à jouer sur la scène mondiale.
Au fil des ans, le chef de file de l'islam politique turc a mis en place son soft power, un narratif à la sauce néo-ottomane qui a le don de capter les esprits. Cette " ottomania " est omniprésente dans ses discours, sur le petit écran via les séries télévisées, et jusque sur les stands des vendeurs de rue, lesquels, toujours habiles à capter la tendance du moment, vendent désormais des fez (chapeaux ottomans) sur lesquels il est écrit : " Nous sommes tous les petits enfants de l'Empire ottoman. "
" Processus de renaissance "Les séries télévisées sont le fer de lance de ce travail de propagande. Exportées pour certaines vers le Moyen-Orient, l'ex-URSS, les Balkans, l'Amérique latine, elles sont la marque de fabrique du pays. Les touristes arabes, nombreux à Istanbul, les connaissent si bien qu'ils demandent souvent à leurs guides de les emmener sur les lieux où elles ont été tournées.
Comme la plupart de ses concitoyens, M.  Erdogan est friand de ces sagas historiques à l'eau de rose. L'une d'entre elles, intitulée Dirilis Ertugrul, retrace la vie de Ertugrul Bey, le père d'Osman Bey, le fondateur de l'Empire ottoman. Dirilis, " renaissance " en turc, est une notion importante pour le numéro un turc, qui a comparé récemment le référendum constitutionnel d'avril  2017 pour l'élargissement de ses pouvoirs au début d'un " processus de renaissance ".
Mais sa série de prédilection est Payitaht Abdulhamid, une saga sur le sultan Abdulhamid II, auquel il s'identifie. Dès qu'il le peut, il en suit les épisodes. Surnommé " le sultan rouge " pour avoir ordonné des massacres parmi la population arménienne, Abdulhamid II fut déposé en  1909 par les Jeunes-Turcs, et mourut dans l'oubli à Istanbul le 10  février 1918.
Le 10  février, le centenaire de la mort d'Abdulhamid II était commémoré au palais de Yildiz à Istanbul. " Trop nombreux sont nos concitoyens qui, aveuglés par l'Occident, ont coupé le pays de ses racines ottomanes. Or l'Histoire est plus que le passé d'un pays, elle est aussi sa boussole pour le futur ", a expliqué M.  Erdogan lors de son intervention.
La personnalité d'Abdulhamid est la boussole du moment. A travers la série, un récit épique et fantaisiste, ponctué de combats à l'épée, de trahisons, de complots, un parallèle est dressé entre le règne du sultan et celui de l'actuel président, confrontés aux mêmes écueils. " Derrière tout ce qui est néfaste à cette nation, il y a un ordre venu de l'Occident ", affirme le sultan dans le premier volet de la série.
Les ennemis y sont ouvertement désignés : les Grecs, les Arméniens, les sionistes. M.  Erdogan ne manque pas une occasion de vanter cette production télévisée. " Est-ce que vous regardez Payitaht ? ", a-t-il lancé à la cantonade lors d'une rencontre avec ses partisans en janvier, avant d'expliquer : " Les puissances étrangères réclament toujours des concessions de notre part. Y accéderons-nous ? Jamais ! "
La " parenthèse " AtatürkPour avoir trop regardé Payitaht Abdulhamid, Necati Sentürk, le gouverneur de la province de Kirsehir (région du centre du pays), a connu un moment d'égarement. C'était au début du mois de mars, et l'armée turque et ses supplétifs syriens étaient sur le point de prendre la ville syrienne d'Afrine aux milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG).
Le départ des soldats au front se faisait au son des fanfares ottomanes, à coups de serments religieux collectifs. Inspiré par la nostalgie ambiante, le gouverneur est apparu alors en grande tenue ottomane au balcon de la préfecture, agitant en l'air un sabre à double pointe, assurant qu'après Afrine l'armée turque irait " jusqu'à Jérusalem ". Ce qui lui a valu un départ anticipé à la retraite, dès le lendemain.
Du haut de son balcon à Ankara, le président Erdogan a tracé avec moins d'emphase les contours de la Turquie qu'il veut voir émerger. Pour commencer, la République érigée par Mustafa Kemal Atatürk en  1923, perçue comme une erreur historique, est une " parenthèse " qu'il convient de fermer, ce qu'il va s'employer à faire. Son souhait le plus ardent est de ramener le pays à l'époque ottomane (les portables et les centres commerciaux en plus). Quand l'empire s'étendait du Moyen-Orient aux Balkans.
Marie Jégo
© Le Monde


27 juin 2018

L'AKP bénéficie du succès inattendu du parti nationaliste MHP

Le parti d'Erdogan sauve sa majorité au Parlement grâce à son alliance avec les nationalistes, opposés à toute concession envers les Kurdes

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Les politologues et les instituts de sondages disaient du Parti d'action nationaliste (MHP, droite nationaliste) qu'il serait le grand perdant des législatives du dimanche 24  juin. Pourtant, le MHP a suscité la surprise en recueillant 11  % des voix.
Une aubaine pour son partenaire de coalition, le Parti de la justice et du développement (AKP islamo-conservateur) de M. Erdogan, ainsi tiré d'un bien mauvais pas. Sans cette alliance, l'AKP, avec 42  % des voix, était assuré de perdre sa majorité parlementaire.
Le chef du MHP, Devlet Bahçeli, 70 ans, a salué lundi le " succès historique " de l'Alliance du peuple, qui est venu déjouer les plans de ceux qui misaient sur un scénario de crise. " C'est avec stupéfaction que nous assistons au succès et à l'essor du peuple ", a déclaré M. Bahçeli.
Son étonnement est compréhensible. Lui-même n'a guère fait campagne, il n'affichait pas de programme. Son unique revendication était la libération d'Alaattin Cakici, un ancien chef de la pègre qui purge actuellement une peine de prison. " Est-il juste de laisser nos frères moisir derrière les barreaux ? ", avait-il interrogé en vain le 23  mai après lui avoir rendu visite à la prison de Kirikkale. Le président turc n'a pas voulu entendre parler d'amnistie.
Etonnamment, le score du MHP est le même que celui réalisé aux législatives de novembre  2015 alors qu'entre-temps un schisme s'est produit au sein du parti, quand Meral Aksener, l'une de ses égéries, a fait défection pour créer son propre parti (Iyi Parti, Le Bon Parti) à l'automne 2017, entraînant avec elle une partie de la base.
La " dame de fer " de la politique turque pensait chasser sur les terres de l'électorat nationaliste. Elle a mené sa campagne tambour battant, malgré les obstacles placés en travers de sa route par le pouvoir islamo-conservateur : électricité coupée, salles impossibles à louer, militants attaqués. A Gaziantep, ville proche de la frontière syrienne, des camions envoyés par la mairie AKP ont bloqué son convoi, empêchant ainsi la tenue de son meeting.
Attaques et intimidationsEn tant que candidate à la présidentielle, Meral Aksener a obtenu 7,3  % des voix, moins que Selahattin Demirtas, le leader kurde qui a fait campagne depuis sa prison (8,4  %). Aux législatives, Le Bon Parti a recueilli 10  % des suffrages, soit 44 députés au nouveau Parlement qui en compte 600 en tout, contre 550 autrefois. C'est un échec pour cette ancienne ministre de l'intérieur qui a peut-être payé dans les urnes son alliance avec le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), à l'origine d'une ouverture en direction de l'électorat de la gauche pro-kurde.
Muharrem Ince, le candidat du CHP à la présidentielle, est allé rendre visite à Selahattin Demirtas à la prison d'Edirne (ouest). Il a demandé publiquement sa libération. Meral Aksener l'a réclamée elle aussi.
Or, aux yeux des ultranationalistes, le problème kurde n'existe pas. Mme Aksener n'étant pas tout à fait sur cette ligne, elle n'a pas pu séduire les électeurs nationalistes. Selon les analystes, les suffrages recueillis par Le Bon Parti venaient du CHP, pas du MHP.
Avec cinq partis représentés, le Parlement est diversifié et très polarisé, à l'image de la société. Le fait que deux partis de la droite nationaliste – MHP et Bon Parti – y siègent témoigne de la vigueur de ce courant politique.
Sa résurgence va de pair avec la montée en puissance du discours agressif envers la gauche kurde, devenu monnaie courante chez une bonne partie de l'élite au pouvoir. Attaques, intimidations, interpellations ont d'ailleurs été le lot des candidats du Parti de la démocratie des peuples (HDP, prokurde) tout au long de la campagne.
M. Jé.
© Le Monde

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