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samedi 30 juin 2018

Pedro Sanchez : " Le défi de l'Europe, c'est l'europhobie "



29 juin 2018

Pedro Sanchez : " Le défi de l'Europe, c'est l'europhobie "

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 Alors que débute, jeudi 28 juin, à Bruxelles, un sommet européen qui s'annonce tendu, le nouveau premier ministre espagnol critique les " discours incendiaires " et les " décisions unilatérales " sur les questions migratoires
 Le chef de gouvernement socialiste, qui a accepté d'accueillir l'" Aquarius ", défend l'idée d'un accord européen
 Il propose à quelques pays d'avancer sur ces sujets , faute d'accord à vingt-huit
Pages 2-3, débats pages 22-23,
chronique page 24
© Le Monde





29 juin 2018

" L'Espagne sera solidaire avec l'Allemagne "

Le premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, critique les " décisions unilatérales " sur la question migratoire

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LE CONTEXTE
Sommet
La question des migrants focalisera l'attention des vingt-huit -dirigeants de l'Union européenne, lors du sommet européen, jeudi 28 et vendredi 29 juin, à Bruxelles. Les autres sujets sont nombreux : du commerce mondial menacé par Donald Trump à la proposition française d'un budget pour la zone euro, en passant par les négociations du Brexit, dans l'impasse. Les Vingt-Huit discuteront notamment de la proposition du président du Conseil européen, Donald Tusk, de créer des " plates-formes " au sud de la Méditerranée pour récupérer les migrants. Paris et Madrid suggèrent plutôt la création de centres fermés en Europe.
Depuis le palais de la Moncloa, à Madrid, où il réside, le nouveau président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sanchez, défend une politique migratoire respectueuse des droits de l'homme, à la veille d'un sommet européen, jeudi  28 et vendredi 29  juin, à Bruxelles, qui s'annonce tendu sur les questions migratoires. Après avoir accepté d'accueillir l'Aquarius, bateau affrété par l'association SOS Méditerranée et interdit de port en Italie et à Malte, il est bien décidé à remettre son pays à l'avant-garde de la politique européenne, tout en cherchant à apaiser la crise catalane. Il répond aux questions duMonde, avec le Guardian et la Süddeutsche Zeitung.


Quelle va être la position espagnole sur les migrants lors du Conseil européen ?

Nous allons défendre la nécessité d'une réponse commune de l'Union européenne - UE - . Il faut travailler dans trois directions. Premièrement, il faut aborder la dimension extérieure de la question migratoire : la prévention des arrivées, via l'aide au développement, et la stabilisation sociale, économique et démocratique des pays d'origine et de transit. Deuxièmement, il faut renforcer le contrôle des frontières, grâce à une augmentation des capacités de Frontex - Agence européenne de gardes-frontières et de gardes-côtes - . Enfin, il faut aborder la question des mouvements secondaires, ceux des migrants qui circulent dans l'UE.


Quelle est la priorité espagnole ?

L'Espagne a vu ses flux migratoires augmenter de 100  % en  2017, par rapport à 2016, et encore de 64  % depuis le début de l'année. Pour les pays frontaliers comme nous, les deux premières dimensions sont les plus importantes à traiter. Pour d'autres pays, comme l'Allemagne, la troisième dimension est primordiale.
Il faut trouver un équilibre, complexe mais nécessaire, entre les intérêts des uns et des autres. L'Espagne aura une attitude constructive, pour proposer des solutions responsables et solidaires. On va être solidaire avec l'Allemagne. Nous gérons une réalité migratoire difficile. Et, dans le cas de l'Aquarius, nous avons assumé celle d'autres pays.


L'Espagne va-t-elle accueillir plus de bateaux comme l'" Aquarius " ?

Nous accueillons chaque jour des embarcations de migrants. Avec l'Aquarius,l'Espagne a fait un appel à la solidarité de -l'ensemble de l'UE. Nous ne -pouvions pas nous permettre que l'indifférence transforme une tragédie humaine en crise humanitaire. La société et les institutions espagnoles ont fait preuve d'empathie avec les migrants, mais aussi avec la réalité des pays qui accueillent cette immigration.


La position italienne de rejeter les bateaux des ONG est-elle viable ?

Je comprends que l'Italie se trouve dans une situation délicate, avec une pression de l'opinion publique. C'est un Etat fondateur de l'UE dont il faut comprendre la réalité, celle des nombreux migrants qui sont arrivés et n'ont pas été rapatriés.
Je ne vais pas entrer dans la controverse sur ce que Rome fait bien ou mal. Mais je revendique ce que fait l'Espagne : appliquer une politique migratoire contrôlée, qui sauve de nombreux êtres humains, même si, malheureusement, d'autres meurent près de nos côtes. L'Italie devrait se demander si les décisions unilatérales sont une réponse efficace à un problème global. Si les discours incendiaires peuvent être efficaces en termes électoraux, ils ne le sont pas comme réponse à ces drames.


Vous défendez un accord -commun, mais l'Europe est très divisée. Est-ce réaliste ?

Peut-être que cette solution commune ne concerne pas l'ensemble des Vingt-Huit dans un premier temps, mais elle doit commencer à s'articuler sous la forme d'une coopération entre différents pays, avant de s'étendre au reste.
Une des réflexions du mini-sommet de dimanche, à Bruxelles, a été la nécessité de prendre des initiatives entre différents Etats membres de l'UE et des pays d'origine ou de transit, en fonction des relations historiques de chacun. Ainsi, l'Espagne a une relation historique de coopération, de collaboration et de dialogue avec le Maroc, qui a une importance géostratégique essentielle pour le continent européen, dans le contrôle des flux migratoires. La France, l'Italie ou l'Allemagne en ont une aussi avec d'autres pays.


Etes-vous favorable à la création de plates-formes de débarquement de migrants hors de l'UE ?

Ce qui est fondamental, c'est la prévention et le contrôle régulier des flux migratoires, dans le respect des droits de l'homme. La collaboration du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés - HCR - et de l'Organisation internationale pour les migrations - OIM - est importante. Nous allons attendre de connaître la proposition du président du Conseil européen, Donald Tusk, pour donner notre opinion. A priori, cela ne nous semble pas une mauvaise idée. Il faut l'explorer.


Vous avez défendu, avec Emmanuel Macron, la proposition de centres fermés dans l'UE…

Je ne les appellerais pas des centres fermés mais des ports sûrs : il s'agirait avant tout de localiser des ports le long de la Méditerranée pour que les ONG sachent où se diriger et d'obtenir une réponse européenne approuvée par le HCR.
L'UE pourrait verser des fonds pour l'accueil des migrants et la gestion des demandes d'asile. Logiquement, ceux qui ne respectent pas les critères seraient renvoyés dans les pays d'origine. Quand une embarcation arrive sur les côtes de Tarifa, en Andalousie, ou de Lesbos, en Grèce, elle arrive en Europe, pas en Espagne ou en Grèce…


La question migratoire est-elle un défi ou une opportunité pour l'Europe ?

C'est un devoir pour elle d'y répondre. En Afrique, notamment – où la réalité démographique fait que la population devrait passer de 1,3  milliard à 2,5  milliards en  2050, où le climat crée des réfugiés, où l'instabilité provoque des migrations massives… –, il faut créer des opportunités. En fonction de la réponse que l'on donne à tous ces problèmes, l'UE sera plus forte ou plus faible.
Nous sommes un continent qui a de nombreuses valeurs. Nous, les politiques, nous nous gargarisons de grands mots, de grands principes. Mais il arrive que les citoyens perçoivent que nous ne les respectons pas dans la pratique. Nous devons être cohérents. Le défi de l'UE, c'est l'europhobie, et elle ne sera vaincue que si l'Europe est plus forte et unie.


Quel projet européen défendez-vous ?

L'Europe doit être sociale ou elle sera dans la difficulté… Il est très important d'avancer dans l'intégration sociale, pas seulement en matière d'accès à l'emploi, mais aussi pour établir des conditions de travail dignes, pour l'intégration et la lutte contre les inégalités, particulièrement intergénérationnelles, alors que les jeunes souffrent aujourd'hui de la précarité et de l'affaiblissement de l'Etat-providence.


Vous soutenez l'accord de -Meseberg négocié par la France et l'Allemagne…

C'est une très bonne initiative. Nous allons demander, lors de la prochaine réunion de l'Eurogroupe - la réunion des ministres des finances de la zone euro - , d'avancer de manière décidée sur l'union bancaire et sur le budget commun de l'union monétaire.
Et j'ai dit à Angela Merkel et à Emmanuel Macron que l'Espagne ne veut pas se contenter de les soutenir, mais veut participer à la rédaction et à l'élaboration de propositions concrètes, afin d'occuper la place qui correspond à une économie importante comme la nôtre, dans l'objectif de mener le processus d'intégration européenne.


Qui manque-t-il à cet axe Berlin-Paris-Madrid ?

J'aimerais que Lisbonne rejoigne aussi cet axe. La perspective ibérique est importante. C'est un gouvernement très engagé avec l'UE, qui a beaucoup à apporter.


Sur le plan intérieur, vous gouvernez avec seulement 85 députés sur 350, vous avez promis de légiférer sur l'euthanasie, de revenir sur la " loi bâillon " – texte controversé de 2015 sur la sécurité intérieure – et sur la réforme du travail. Allez-vous y parvenir ?

Oui. Le précédent gouvernement a gouverné contre le Parlement. Le mien le fera avec le Parlement. Il y a une majorité pour toutes ces lois. Et il y en aura une pour que l'Espagne ait une loi sur l'euthanasie.
Et si notre gouvernement compte le plus de femmes, c'est la conséquence des manifestations féministes du 8  mars, de cette société espagnole qui est sortie dans la rue contre la violence de genre, les écarts de salaires et pour l'égalité professionnelle. Nous allons donner au monde un exemple de société moderne, avancée, inclusive.
propos recueillis par Sandrine Morel
© Le Monde

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