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samedi 30 juin 2018

Immigration et indignation.....


29 juin 2018

Immigration et indignation

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En Europe, le débat sur l'immigration est victime d'un double mal – indignation et hystérisation – qui agit comme une double peine. Au lieu de prendre des voix aux " populismes ", il les nourrit et, in fine, assurera leur victoire aux élections européennes de 2019. Ajoutez à ce triste tableau que -Donald Trump milite ouvertement pour les partis protestataires de l'ultradroite européenne, et vous avez une situation qui recèle un potentiel de désastres inédit.
Oui, le fait de séparer des enfants de leurs parents, au seul motif que ceux-ci tentent d'entrer illégalement aux Etats-Unis, est révoltant. Oui, le fait de refouler de port en port un navire qui a secouru des réfugiés en Méditerranée est indigne. Oui, reconduire en Libye des migrants d'Afrique subsaharienne sans qu'on sache quel sera leur sort dans ce pays est ignoble. Oui, le comportement de certains membres de l'Union européenne (UE), qui jugent n'avoir aucune obligation de solidarité dans l'affaire des flux migratoires, est lamentable.
Et oui, sans doute était-il nécessaire que ces choses-là soient dites. Après tout, c'est un vaste mouvement d'indignation qui a fait reculer Donald Trump dans l'affaire des enfants. Mais la seule expression de cette juste réaction ne tient pas lieu de politique. Elle ne réglera pas la question de fond – qui risque d'être durable – pas plus qu'elle n'arrêtera la vague d'" insurrections électorales ", comme dit Hubert Védrine, qui menace de submerger l'Europe.
Bien au contraire, taxée d'angélisme ou d'élitisme, l'indignation des uns nourrit la démagogie des autres, ceux qui manipulent et hystérisent le débat sur l'immigration à des fins électorales. Ils peaufinent leur profil " populaire " sur le bon vieux thème du monopole du cœur – qui ne saurait appartenir aux seuls " bien-pensants " de l'élite " bobo ". L'indignation a ses limites et ses effets pervers.
Elle ne changera pas le fait qu'une majorité d'Italiens a placé au pouvoir une coalition baroque comprenant un parti d'extrême droite. Sur la carte électorale de l'UE, elle ne fera en rien reculer les progrès constants d'une droite néonationaliste qui n'est plus le seul apanage de l'est du continent.
Elle ne bouleversera pas l'opinion d'une majorité d'Américains qui, selon les sondages, jugent que, dans l'histoire des enfants, le vrai responsable n'est pas Trump, mais les parents qui tentent l'aventure de l'immigration illégale avec des mineurs. Incidemment, Donald Trump, toujours selon les études d'opinion, bénéficie de la fidélité en béton armé de son électorat et, dans une situation macroéconomique plutôt bonne, se porte politiquement comme un charme.
L'hystérisation est, principalement, le fait de la droite protestataire. Au pouvoir en Europe de l'Est, ce néonationalisme monte partout dans l'ouest du Vieux Continent. Un seul thème : la peur. On annonce le déferlement de hordes d'immigrés qui vont changer la nature de l'Europe. On peut essayer d'opposer les chiffres aux démagogues : le flux migratoire à destination de l'Europe a considérablement diminué. On ne changera pas la perception, en partie fondée, d'un phénomène migratoire non maîtrisé, aux Etats-Unis comme en Europe.
" La montée des extrêmes en Europe ", écrit dans " Le Monde " (daté 22  juin) un collectif emmené par Edgar Morin, est moins due au " contexte migratoire " qu'à " l'impression donnée à nos concitoyens d'une impuissance des -pouvoirs publics ". Laissons de côté les pays d'Europe de l'Est qui ont une politique : immigration zéro – au nom des " valeurs chrétiennes ", bien sûr. Mais l'incapacité des autres membres de l'UE à définir une " coopération renforcée " sur ce sujet ajoute au désarroi de l'opinion.
On ne changera pas non plus cette autre réalité : l'immigration, l'un des dérivés de la mondialisation, ne touche pas, à l'intérieur d'un même pays, les nationaux de façon égale. Elle bouleverse l'environnement des plus fragiles. Elle change plus les quartiers pauvres que les riches. Elle recouvre une multitude de peurs : émiettement progressif des cultures collectives, dissolution de ce qui assure la continuité historique d'un pays.
Des compromis à trouverEn refusant de considérer que la question de l'immigration en était une – d'une façon ou d'une autre –, la gauche n'a cessé de perdre du terrain. Elle n'a pas voulu écouter le malaise de ceux qui votaient pour les partis protestataires ou elle a réduit leur mal-être à une affaire de lutte contre les inégalités. Pourquoi la social-démocratie recule-t-elle partout en Europe, interroge Michael Bröning, le patron du centre de réflexion du SPD allemand ? Parce qu'elle a tenté de " déplacer le débat vers sa zone de confort idéologique que sont le chômage, les inégalités et la justice sociale ".
Mais les nombreux électeurs qui s'inquiètent de l'immigration, à tort ou à raison, " ne pourront pas être gagnés par des appels, même justifiés, à l'égalité ", écrit-il dansProject Syndicate. Là où l'Etat-providence est fort et les inégalités moindres, comme au Danemark ou en Suède, les populismes montent quand même, et sur un seul thème – l'immigration.
Il y a des compromis à trouver entre l'Afrique et l'Europe pour réguler des flux migratoires qui, sans être de proportion biblique, devraient être durables. Difficulté conjoncturelle : Trump s'en mêle, pour semer la zizanie. A coups de mensonges sur le niveau de la criminalité en Allemagne, il soutient les ennemis d'Angela Merkel. Il défend le renouveau nationaliste européen qui mine l'UE. Il salue ceux des responsables européens qui, comme lui, ont décidé de " murer " leur pays contre l'immigration. Dans le défi qu'ils ont à relever, les Européens modérés, du centre droit au centre gauche, font face à un scénario inédit : les Etats-Unis sont contre eux.
par Alain Frachon
© Le Monde



29 juin 2018

Hubert Védrine " Contrôler davantage les flux migratoires "

A l'occasion du Conseil européen des 28 et 29 juin, l'ancien ministre socialiste des affaires étrangères explique qu'il faut instaurer des quotas d'immigration légale par pays

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Pour éviter d'autres Aquarius, la désagrégation des relations coopératives entre Européens, mettre fin à cette infernale partie de mistigri et réduire la pression sur nos sociétés fragiles, il faut adopter un plan d'ensemble et des mesures d'urgence. Le sentiment que l'Europe est une passoire, alors même que l'islamisme progresse partout chez les musulmans sunnites et que le terrorisme islamiste sévit, est peut-être exagéré ou injuste, mais il est obsédant. Il nourrit le " populisme " et alimente les insurrections électorales. Les efforts accomplis ces dernières années ou en cours à l'initiative du président français sont occultés par des événements tragiques et les pugilats européens. Ceux qui espéraient paralyser les réactions de rejet des migrations de masse à coups d'eau bénite ou de condamnations morales ont dû déchanter. Ceux qui n'ont vu dans l'immigration qu'une nécessité économique ou démographique ont nourri les angoisses des populations européennes.
Croire que le plus dur est passé parce que les flux ont diminué depuis le pic de 2015 est illusoire quand on connaît les prévisions démographiques africaines. Et comment être sûr que d'autres drames ne jetteront pas demain sur les routes des familles à la recherche d'asiles ? Pour casser cet engrenage dévastateur, il faut contrôler ces flux par des mécanismes durables.
Dans le cadre d'un Schengen consolidé et renforcé, il faut d'abord vérifier que chacun des Etats membres, et nouveaux candidats, en particulier les Etats frontaliers, sera capable administrati-vement, politiquement et géographiquement d'assumer des engagements renforcés grâce à une agence Frontex - l'agence européenne de -surveillance des frontières - mieux équipée et transformée en vraie police des frontières parfaitement connectée aux polices nationales.
Le droit d'asile pour les gens en danger doit absolument être préservé. Il est l'âme même de l'Europe. Mais cela suppose qu'il ne soit pas détourné de son objet. Sans distinction claire d'avec les mouvements migratoires, il finira par être balayé. La distinction entre les demandeurs d'asile, dont certains seront admis en tant que réfugiés, et les migrants économiques, dont certains seront admis comme immigrants légaux, est cruciale.
Réseau de centres d'accueilLe traitement des demandes d'asile au sein de Schengen devra se faire dans un véritable réseau de centres d'accueil à créer, dans les pays extérieurs au plus près des zones de conflits ou de départ, partout où c'est possible (c'est déjà le cas au Niger). Mais il faut aussi, comme l'a proposé le président Macron, installer sur le territoire européen, aux frontières extérieures de Schengen, des centres fermés et sécurisés où l'on examinera qui relève du droit d'asile, ce qui relativisera la notion de pays d'arrivée à la base de l'accord de Dublin et des controverses qui en découlent.
Bien sûr, les critères d'attribution de l'asile dans Schengen devront être complètement harmonisés, et les demandeurs d'asile acceptés devront être mieux accueillis et intégrés. Quant aux déboutés, ils devront être pris en charge et reconduits par Frontex dans leur pays d'origine, où ils pourront postuler comme immigrants légaux.
On ne peut pas fixer a priori de quotas de -réfugiés : étant donné que le nombre des futurs -demandeurs d'asile dépend des tragédies à venir, il ne peut pas être plafonné à l'avance. L'Europe devra rester généreuse, vis-à-vis des personnes persécutées ou menacées, tout en aidant plus les pays voisins qui les accueillent en premier lieu, comme la Turquie, la Jordanie, le Liban.
La question des migrations est différente. Les mouvements de migration économiques vers les pays riches ne cesseront pas, raison de plus pour s'organiser. Des quotas d'immigration légale par pays, et par métiers, devront être fixés chaque année au cours d'un sommet entre pays de Schengen, pays de départ et de transit. Ces derniers demanderont des aides, ce qui -conduira à reconsidérer les politiques de codéveloppement. Cette cogestion est indispensable, car il est impossible de détruire sans ces pays les réseaux de passeurs qui ont reconstitué une économie de la traite en Afrique ; de gérer avec eux, avec l'aide du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans des centres d'accueil, les demandes d'asile et les demandes d'immigration en Europe ; de lutter contre le trafic de faux papiers dans le Sahel ; et, mieux, de contrôler les frontières entre ces pays. Cette gestion plus rigoureuse des flux migratoires permettra aussi de favoriser, comme promis dans le discours de Ouagadougou du président Macron, la circulation pour les non-candidats à l'immigration (étudiants, hommes d'affaires, artistes).
En attendant, et en urgence, il faut remplacer Dublin par de nouvelles règles. Les pays de Schengen qui ne voudront pas accueillir de réfugiés devront fournir une contribution financière accrue pour la protection des frontières communes ou pour l'accueil des réfugiés dans d'autres pays. Des décisions difficiles devront être prises concernant ceux qui sont déjà en Europe, illégalement, depuis un certain temps : les reconduire dans des centres de retour à l'extérieur, d'où ils pourront tenter leur chance comme immigrants légaux, ou essayer de travailler dans leur propre pays (les migrants, pas les demandeurs d'asile) ; ou les régulariser, mais alors les intégrer vraiment. Si tous les pays de Schengen, ou de départ et de transit, ne sont pas prêts à s'y engager, il faudra commencer avec une coalition de volontaires.
Il est urgent que les opinions européennes constatent un vrai changement. La répartition des réfugiés, le montant des compensations, le nombre de migrants légaux, l'organisation du réseau de centres à l'extérieur ou aux frontières, et leur fonction, donneront lieu à des négociations difficiles. Mais une partie de l'opinion européenne changera quand elle réalisera que ces flux seront mieux " gérés ". Et les flux d'immigration illégaux deviendront moins importants.
Néanmoins, il ne faut pas se cacher que plusieurs secteurs de l'opinion, minoritaires mais très actifs et " audibles ", continueront à opposer un tir de barrage à cette politique, pour des raisons opposées. Les arguments de l'extrême droite doivent être combattus sans ménagement comme étant inhumains, économiquement absurdes et, de toute façon, inapplicables. Il en va de même pour l'extrême gauche, qui mise sur les populations issues de l'immigration par calcul militant, activiste ou électoral.
En revanche, il faudrait convaincre beaucoup de gens généreux et de bonne foi de modifier leurs positions ne serait-ce que pour sauver l'asile. Ceux que la repentance aveugle ou paralyse. Ceux qui ne voient les migrations qu'en termes de valeurs et de principes généraux. Or, c'est aussi une question de nombre : s'il n'y avait dans le monde que 10  millions de candidats à l'immigration en Europe, cela ne poserait aucun problème ! Ceux qu'un universalisme abstrait et un mépris affiché pour les besoins élémentaires d'identité et de sécurité culturelle des peuples européens ont rendus inaudibles. Ceux qui ne réalisent pas que ce n'est pas être " généreux " que de priver les pays d'Afrique de leurs meilleurs éléments, les émigrants jeunes, dynamiques et entreprenants, en alimentant la nouvelle économie de la traite.
Il faudrait même oser questionner le bilan des grandes institutions judiciaires françaises ou européennes qui peuvent donner à la longue aux citoyens le sentiment qu'elles se substituent à la souveraineté et à la démocratie. Alors que le problème numéro un de l'Europe est le fossé élites/peuples ! Le plan paraît irréaliste ? Une telle politique n'est viable que si tous les pays de ce Schengen confirmé et renforcé s'engagent à être des partenaires responsables et solides sur l'asile comme sur les migrations. Mais il y a le feu ! Paradoxalement, malgré les apparences, il ne devrait pas y avoir d'opposition insurmontable entre les pays européens de l'Ouest et de l'Est. Qui conteste la nécessité d'une meilleure maîtrise des flux ? Enfin, n'oublions pas l'éléphant dans la pièce : une alliance plus déterminée et assumée des démocrates et des musulmans modérés contre l'islamisme aiderait à enrayer le glissement des opinions européennes. Tout cela va s'imposer. Faisons-le plutôt ensemble, vite, et en bon ordre.
Hubert Védrine
© Le Monde

29 juin 2018

Pourquoi Macron souffle le chaud et le froid

Le démographe Hervé Le Bras considère que c'est par calcul politicien que le président et son gouvernement entretiennent le flou à l'égard des migrants

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La politique migratoire menée par Macron paraît incohérente. Les mesures en faveur des -migrants s'ajoutent à des mesures -dissuasives. Il en résulte une suite -erratique de décisions, analogue à une séquence aléatoire de pile ou face. Du côté face, hostile à la migration, on peut citer les éléments suivants : -environ 50 000 réfugiés ont été refoulés à la frontière italienne depuis le -début de l'année. Parmi eux, de nombreux demandeurs d'asile dont la France est tenue d'accepter l'entrée et le dépôt de la demande. Les réfugiés qui cherchent à gagner l'Angleterre, notamment par Calais, en sont empêchés manu militari, ou plutôt polici, à la suite des accords du Touquet, selon lesquels le Royaume-Uni paye le gouvernement français pour qu'il bloque la traversée de la Manche. Ceci est -contraire à l'article  13 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui stipule que toute personne a le droit de quitter le pays où elle se trouve (mais non d'entrer dans n'importe quel autre pays).
Des accords de voisinage sont -conclus avec des pays étrangers, qui s'engagent à empêcher que les migrants gagnent l'Europe. En échange, une aide au développement ou à l'aménagement de camps est versée par l'Union européenne. C'est le cas avec la Turquie et pour plusieurs accords bilatéraux, notamment entre l'Espagne ou la France et des pays d'Afrique de l'Ouest. Ces accords constituent eux aussi une violation de l'article 13. A Mayotte et en Guyane, les -riverains (Comoriens, habitants du Suriname, Brésiliens) qui tentent de s'infiltrer sont rapatriés sans autre forme de procès, ici encore en violation du droit. La justice poursuit ceux qui viennent en aide aux migrants -irréguliers. La France n'a pas accueilli l'Aquarius, alors qu'après le refus de l'Italie et de Malte ses ports étaient les plus proches du bateau de l'ONG, -notamment ceux de Corse – région qui avait offert son accueil –, mais -Paris a fait la sourde oreille.
Côté pile, ces mesures répressives sont en partie contrebalancées par des mesures et des signaux favorables donnés aux migrants. Ainsi le gouvernement a-t-il défendu une répartition des réfugiés entre les Etats de l'Union européenne par quotas et a accepté, sans rechigner, l'un des plus élevés (30 000 personnes), alors que des pays comme la Pologne ont refusé le quota de 500 personnes qui leur avait été -attribué. Malgré l'augmentation proposée de la durée maximale de séjour en camps de rétention à 90 jours, la -durée moyenne de l'internement tourne autour de 11 jours.
Glissements sémantiquesL'intervention de la justice administrative et de la justice civile pour décider de la rétention et de la libération des -internés est conservée, malgré le désir que le président Sarkozy avait eu de créer une juridiction spéciale. Le -démantèlement des camps est largement suivi de relogement dans des centres d'accueil. Last but not least,le président et le gouvernement se -répandent en postures moralisatrices, vantant le comportement humanitaire de la France et stigmatisant les pays qui agissent plus brutalement, comme l'Italie ou les quatre pays d'Europe centrale du groupe de Visegrad - Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie - .
Pour compliquer la situation, les -mesures pro et contra s'embobinent les unes dans les autres. Ainsi, moins de 8 000 personnes ont été acceptées au titre du quota de 30 000 réfugiés, ou bien ceux qui procurent une assistance aux migrants à la frontière italienne, tel Cedric Herrou, sont alternativement arrêtés et relâchés. Autre cas, carrément vicieux : celui de l'Aquarius, que la France n'a pas reçu dans l'un de ses ports, mais dont elle dit qu'elle -acceptera comme réfugiés ceux qui en feront la demande (il semble qu'ils constituent la majorité des rescapés).
Pour couronner le tout, les glissements sémantiques sont systématiques. Ainsi, les termes de " migrant ", " réfugié ", " demandeur d'asile ", - " bénéficiaire du droit d'asile " sont employés sans distinction, alors qu'ils présentent de grandes différences. Les migrants sont en effet constitués par la migration régulière largement majoritaire (260 000 premières cartes de -séjour accordées en  2017 en France) et par les réfugiés (99 000 en 2017). Parmi ces réfugiés, une majorité déposera une demande d'asile et une minorité l'obtiendra (32 000 en  2017). Ce seront les bénéficiaires.
Mélanger ces catégories les aligne, de fait, sur la plus défavorisée d'entre elles, qui n'est pas la plus nombreuse ni la plus durable : celle des " réfugiés ". Alors que la migration régulière compte 85 000 étudiants, 50 000 parents étrangers de Français, 25 000 emplois économiques spécialisés, 30 000 régularisations et les 32 000 bénéficiaires du droit d'asile, tous ces statuts sont amalgamés à ceux de naufragés en haillons, affamés, hébétés, dont les médias répandent à foison l'image.
On pourrait penser que le traitement chaotique et la représentation misérabiliste de la migration accroîtraient son rejet par les Français. Les enquêtes de l'IFOP ne montrent rien de tel. Entre 2012 et 2017, les opinions au sujet des migrants n'ont pas varié.
On peut alors supposer que le brouillage de la question migratoire est une opération politique. En jouant tantôt sur la touche pro, tantôt sur la touche contra, le gouvernement donne alternativement satisfaction et insatisfaction aux uns et aux autres : le refus de la migration pour l'extrême et l'ultradroite, le devoir moral d'une large hospitalité pour la gauche. En confortant les penchants idéologiques respectifs des deux extrêmes, le centre macronien rend leur alliance difficile ou impossible. La politique migratoire de la France est donc essentiellement tournée vers des problèmes de politique intérieure, pour ne pas dire politicienne et non vers les migrants, qu'ils soient réguliers ou réfugiés.
Hervé Le Bras
© Le Monde

29 juin 2018

Créons un groupe international d'experts sur les migrations et l'asile

Un collectif de plus de 300 chercheurs et universitaires français et internationaux demande la création d'un comité intergouvernemental sur la question des réfugiés, calqué sur celui qui existe déjà pour le climat

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Comme le changement climatique, la migration est un phénomène mondial qui doit être -appréhendé et géré à la fois à l'échelle- -nationale et internationale. Comme les politiques environnementales, les politiques migratoires et les politiques d'asile requièrent une approche dépassionnée, scientifique et humaniste.
L'arrivée de centaines de milliers de -demandeurs d'asile syriens aux portes de l'Europe en  2015 a forcé les responsables politiques et les citoyens européens à prendre conscience de la crise globale de l'asile qui se déroule principalement dans les pays du Sud. L'arrivée de ces -réfugiés est entrée en résonance avec des débats plus larges sur l'immigration, l'inté-gration et la diversité dans des sociétés européennes ébranlées par la crise -économique de 2008. La crise européenne de 2015 est donc faite d'une confusion entre des phénomènes de long et court terme, entre la régulation de -l'immigration et de l'asile, de débats autour des droits, des enjeux politiques et -économiques de la migration, qui ne peuvent pas être tenus exclusivement à l'échelle nationale.
Au-delà de l'Europe, l'émergence ou la consolidation de crises politiques cristallisées autour des migrations et de l'asile invitent à réagir collectivement de -manière urgente.
Nous, scientifiques et experts, associés aux organisations de la société civile, des citoyens et des responsables politiques concernés, décidons de rassembler nos voix et nos forces pour permettre une meilleure compréhension des migrations qu'elles soient forcées ou non, de leurs -déterminants, de leurs conséquences à la fois pour les sociétés d'origine et d'accueil. Nous souhaitons ce faisant proposer des bases nouvelles et plus solides pour développer des politiques publiques fondées sur des faits scientifiques, des pratiques plus saines, loin des -discours partisans qui prévalent dans les débats médiatiques et politiques aujourd'hui.
Cet appel pour un changement -d'ap-proche des politiques migratoires est urgent. Depuis peu, les politiques migratoires et les politiques d'asile en-- -Europe et en Amérique du Nord comme dans d'autres pays du monde (Kenya, Arabie saoudite etc.) ont généré des -attaques sans précédent contre les droits humains des populations migrantes et une mise en danger du droit d'asile à l'échelle globale.
Les choix politiques des pays de l'OCDE en la matière – construire des murs, -externaliser les politiques migratoires et les politiques d'asile vers des pays tiers – ont non seulement un coût politique et -financier exorbitant, mais ils ont en outre démontré leur inefficacité. Ces politiques n'empêchent pas les migrations, et n'ont pas d'impact sur les déterminants ou les effets de la migration comme en attestent à la fois les recherches menées par les sciences sociales mais aussi les expériences politiques récentes.
Changement radical d'approcheLes controverses existent dans le champ scientifique en matière de migration. -Certaines vérités ont néanmoins été fermement établies dans différents champs des sciences sociales. Elles demeurent pourtant inaudibles et ne sont pas -utilisées dans l'action publique. Les migrations prennent place -majoritairement entre pays d'une même région et non -entre continents. Les migrants sont majoritairement localisés dans les pays du Sud, en particulier les réfugiés.
Les 246  millions de migrants présents dans le monde ne représentent que 3,4  % de la population mondiale, beaucoup moins qu'au XIXe  siècle, par exemple.
Les restrictions en matière de visa augmentent l'installation des migrants dans les pays d'accueil : au lieu de circuler -entre leurs pays d'origine et d'accueil, les travailleurs migrants restent. L'impossibilité d'obtenir des visas pour les demandeurs d'asile depuis leur pays d'origine ou leur premier pays d'exil accroît l'immigration clandestine et le recours aux passeurs.
La fermeture des frontières met à mal le rôle des migrants dans les échanges, les transferts financiers, la circulation des savoirs et des idées dans le monde. L'accès rapide au logement, à l'éducation, ainsi qu'au marché du travail légal améliore la qualité de l'intégration des migrants et des demandeurs d'asile, et réduit d'autant les inégalités et l'exclusion.
L'impact de l'immigration sur les dynamiques démographiques est limité, -notamment parce que les comportements de fertilité des migrants convergent rapidement vers ceux des populations des pays d'accueil.
Financer le développement des pays d'origine des migrants peut augmenter l'émigration : la relation entre migration et développement est de fait beaucoup plus complexe que ne le laissent penser les discours et politiques publiques -contemporains.
L'effet de l'immigration sur le marché du travail et la croissance économique dans les sociétés d'accueil est globalement neutre ou positif ; il dépend largement des contextes et conjonctures -économiques dans lesquels la migration prend place, de la mobilité de tous les -travailleurs, et des politiques de régulation à l'œuvre.
Nous appelons à la formation d'un groupe d'experts et de scientifiques sur les migrations et l'asile, pour travailler avec les responsables politiques et les -représentants de la société civile. Nous demandons de manière urgente une rupture franche avec les options politiques court-termistes et inadaptées, qui sont aujourd'hui privilégiées et qui ont -généré en Europe et au-delà une crise politique et humanitaire sans précédent. Nous réclamons un changement radical d'approche des questions migratoires, fondé sur la rationalité, le réalisme, les -résultats de la recherche scientifique, et l'humanisme.
Collectif
© Le Monde


29 juin 2018

Créons un groupe international d'experts sur les migrations et l'asile

Un collectif de plus de 300 chercheurs et universitaires français et internationaux demande la création d'un comité intergouvernemental sur la question des réfugiés, calqué sur celui qui existe déjà pour le climat

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Comme le changement climatique, la migration est un phénomène mondial qui doit être -appréhendé et géré à la fois à l'échelle- -nationale et internationale. Comme les politiques environnementales, les politiques migratoires et les politiques d'asile requièrent une approche dépassionnée, scientifique et humaniste.
L'arrivée de centaines de milliers de -demandeurs d'asile syriens aux portes de l'Europe en  2015 a forcé les responsables politiques et les citoyens européens à prendre conscience de la crise globale de l'asile qui se déroule principalement dans les pays du Sud. L'arrivée de ces -réfugiés est entrée en résonance avec des débats plus larges sur l'immigration, l'inté-gration et la diversité dans des sociétés européennes ébranlées par la crise -économique de 2008. La crise européenne de 2015 est donc faite d'une confusion entre des phénomènes de long et court terme, entre la régulation de -l'immigration et de l'asile, de débats autour des droits, des enjeux politiques et -économiques de la migration, qui ne peuvent pas être tenus exclusivement à l'échelle nationale.
Au-delà de l'Europe, l'émergence ou la consolidation de crises politiques cristallisées autour des migrations et de l'asile invitent à réagir collectivement de -manière urgente.
Nous, scientifiques et experts, associés aux organisations de la société civile, des citoyens et des responsables politiques concernés, décidons de rassembler nos voix et nos forces pour permettre une meilleure compréhension des migrations qu'elles soient forcées ou non, de leurs -déterminants, de leurs conséquences à la fois pour les sociétés d'origine et d'accueil. Nous souhaitons ce faisant proposer des bases nouvelles et plus solides pour développer des politiques publiques fondées sur des faits scientifiques, des pratiques plus saines, loin des -discours partisans qui prévalent dans les débats médiatiques et politiques aujourd'hui.
Cet appel pour un changement -d'ap-proche des politiques migratoires est urgent. Depuis peu, les politiques migratoires et les politiques d'asile en-- -Europe et en Amérique du Nord comme dans d'autres pays du monde (Kenya, Arabie saoudite etc.) ont généré des -attaques sans précédent contre les droits humains des populations migrantes et une mise en danger du droit d'asile à l'échelle globale.
Les choix politiques des pays de l'OCDE en la matière – construire des murs, -externaliser les politiques migratoires et les politiques d'asile vers des pays tiers – ont non seulement un coût politique et -financier exorbitant, mais ils ont en outre démontré leur inefficacité. Ces politiques n'empêchent pas les migrations, et n'ont pas d'impact sur les déterminants ou les effets de la migration comme en attestent à la fois les recherches menées par les sciences sociales mais aussi les expériences politiques récentes.
Changement radical d'approcheLes controverses existent dans le champ scientifique en matière de migration. -Certaines vérités ont néanmoins été fermement établies dans différents champs des sciences sociales. Elles demeurent pourtant inaudibles et ne sont pas -utilisées dans l'action publique. Les migrations prennent place -majoritairement entre pays d'une même région et non -entre continents. Les migrants sont majoritairement localisés dans les pays du Sud, en particulier les réfugiés.
Les 246  millions de migrants présents dans le monde ne représentent que 3,4  % de la population mondiale, beaucoup moins qu'au XIXe  siècle, par exemple.
Les restrictions en matière de visa augmentent l'installation des migrants dans les pays d'accueil : au lieu de circuler -entre leurs pays d'origine et d'accueil, les travailleurs migrants restent. L'impossibilité d'obtenir des visas pour les demandeurs d'asile depuis leur pays d'origine ou leur premier pays d'exil accroît l'immigration clandestine et le recours aux passeurs.
La fermeture des frontières met à mal le rôle des migrants dans les échanges, les transferts financiers, la circulation des savoirs et des idées dans le monde. L'accès rapide au logement, à l'éducation, ainsi qu'au marché du travail légal améliore la qualité de l'intégration des migrants et des demandeurs d'asile, et réduit d'autant les inégalités et l'exclusion.
L'impact de l'immigration sur les dynamiques démographiques est limité, -notamment parce que les comportements de fertilité des migrants convergent rapidement vers ceux des populations des pays d'accueil.
Financer le développement des pays d'origine des migrants peut augmenter l'émigration : la relation entre migration et développement est de fait beaucoup plus complexe que ne le laissent penser les discours et politiques publiques -contemporains.
L'effet de l'immigration sur le marché du travail et la croissance économique dans les sociétés d'accueil est globalement neutre ou positif ; il dépend largement des contextes et conjonctures -économiques dans lesquels la migration prend place, de la mobilité de tous les -travailleurs, et des politiques de régulation à l'œuvre.
Nous appelons à la formation d'un groupe d'experts et de scientifiques sur les migrations et l'asile, pour travailler avec les responsables politiques et les -représentants de la société civile. Nous demandons de manière urgente une rupture franche avec les options politiques court-termistes et inadaptées, qui sont aujourd'hui privilégiées et qui ont -généré en Europe et au-delà une crise politique et humanitaire sans précédent. Nous réclamons un changement radical d'approche des questions migratoires, fondé sur la rationalité, le réalisme, les -résultats de la recherche scientifique, et l'humanisme.
Collectif
© Le Monde

29 juin 2018

Il faut trouver une solution alternative au règlement de Dublin

Le système actuel explique le refus des pays de -l'UE d'organiser des sauvetages et d'accueillir les migrants, estime notamment SOS Méditerranée

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Alors qu'a lieu le Conseil européen des 28 et 29  juin, l'affaire de l'Aquarius a eu le mérite de mettre sur la scène publique le débat qui agite les chefs d'Etat et de gouvernement. Il -oppose une logique de gestion solidaire à une volonté de renationalisation de la gestion des frontières extérieures de l'UE lorsqu'il s'agit d'accepter ou non, dans ses eaux territoriales, des migrants secourus en mer. Or, tout se passe comme si le Conseil européen excluait toute voie commune pour traiter d'une question avant tout humanitaire.
Face à la paralysie du Conseil -européen, le sort de milliers de vies -humaines est engagé. Or, contrairement au postulat d'une " opinion publique " rétive à toute aide humanitaire, des initiatives concrètes et nombreuses en provenance de la société civile démontrent la capacité de celle-ci à s'engager en faveur des migrants. Aujourd'hui, c'est parce que les Etats membres de l'UE ne veulent pas assumer leur -responsabilité internationale que des ONG comme SOS Méditerranée viennent en aide aux migrants qui dérivent sur des navires de fortune vers les côtes européennes.
Il n'est pas inutile, après l'affaire de l'Aquarius, de faire un historique de ces opérations de sauvetage. C'est à la suite de l'abandon de l'opération Mare nostrum, conduite par la marine italienne dans un but humanitaire, qu'une association émanant de la société civile a affrété un bateau dans les eaux internationales.
Mare nostrum a fonctionné -jusqu'en novembre  2014, date à -laquelle l'Italie y a mis un terme. -Depuis cette date, plus aucune opération de secours n'est armée par le moindre Etat, mais les gardes-côtes italiens, comme les navires de la marine marchande et les navires militaires alertés, réalisent des opérations de sauvetage ponctuelles, comme ils y sont tenus par le droit maritime international. Frontex, l'agence européenne chargée de lutter contre le franchissement illégal des frontières et les passeurs, est aussi contrainte d'opérer des sauvetages en mer.Toutefois, les unités de Frontex sont très éloignées de la zone de détresse, laissant à quelques ONG la lourde tâche d'intervenir sur une vaste zone située dans les eaux extraterritorialesEncore faut-il, une fois l'opération réalisée, que les bateaux puissent se présenter dans des ports de débarquement.
ResponsabilitéComment expliquer ce refus des Etats membres d'organiser les opérations et, depuis peu, d'accueillir des migrants dans leur port lorsqu'ils sont présentés par des navires affrétés par des ONG ? Le système de Dublin est à l'origine de ces difficultés. Même si tous les migrants ne demandent pas l'asile, la garantie d'exercice de ce droit prévu par la Charte des droits fondamentaux de l'UE est, pour nombre de personnes, la seule voie légale leur permettant d'espérer un droit au séjour dans un Etat membre. Or, les Etats membres responsables de la demande d'asile doivent pendant le temps d'examen de celle-ci fournir des conditions matérielles d'accueil et accorder un droit au séjour, même provisoire. L'embolie des appareils administratifs en charge conduit à des délais importants. Le sort des personnes concernées prises en charge (parfois très pauvrement) est considéré comme un problème pour l'opinion publique par un nombre croissant de responsables politiques.
L'Italie, la Grèce et, dans une -certaine mesure, l'Espagne sont les pays les plus concernés par ces -conséquences du règlement de Dublin, dans la mesure où, pour les migrants ne rentrant pas dans les critères leur permettant de déposer une demande d'asile ailleurs, le pays de première entrée demeure seul -responsable. Présenté comme un corollaire de l'espace Schengen et de la responsabilité pesant sur chaque Etat de contrôler ses frontières, ce dispositif est aujourd'hui à bout de souffle. Il n'empêche nullement les mouvements secondaires des -migrants au sein de l'UE, conduit au rétablissement des frontières intérieures et est en passe de détruire l'identité juridique de l'Europe, -fondée sur les principes de solidarité, de responsabilité et de coopération autant que sur l'Etat de droit.
Il serait néanmoins faux de considérer que l'Europe ne fait ni ne peut plus rien. Le Parlement européen a pris fait et cause pour une refonte radicale du règlement de Dublin à une très large majorité de ses députés. Quant à la société européenne, on ne compte pas le nombre des initiatives locales purement privées ou en lien avec des collectivités -publiques, voire de corps repré-sentatifs de la société civile, à l'instar du Conseil économique, social et environnemental (CESE) français, -témoignant de la nécessité d'un nouveau paradigme de l'accueil des personnes contraintes à l'exil.
L'impasse des négociations sur le devenir du système de Dublin devrait pouvoir être surmontée : les propositions du Parlement européen et la mobilisation volontaire d'acteurs de la société -civile montrent une aspiration -largement partagée pour une autre politique. Le Parlement européen demande notamment l'élargissement des critères permettant aux migrants de formuler des demandes d'asile ailleurs que dans le pays de première entrée et, lorsqu'ils n'entrent dans aucun de ces critères, de faire un choix entre quatre Etats membres remplissant le moins les quotas qui leur seraient fixés suivant une clé de répartition. Cela permettrait une plus grande solidarité et une limitation des mouvements secondaires.
Les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE ont aujourd'hui tout intérêt à tenir compte de ces propositions alternatives. Celles-ci se -révéleront à long terme plus justes et efficaces. Enfin, une bonne répartition des responsabilités en termes d'accueil devrait permettre aux Etats concernés d'assumer à -nouveau d'armer des flottes de -secours en mer. Dans l'attente, il -serait bon que les Etats désireux de venir en aide aux Etats de première entrée fassent jouer la clause de souveraineté qui, dans le règlement de Dublin, leur permet d'examiner toute demande d'asile.
Collectif
© Le Monde

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