Comme venue de nulle part, elle a été annoncée, presque en catimini, par la CGT, le 13 juin. Jeudi 28 juin, une mobilisation interprofessionnelle est organisée à l'appel de la CGT, de Force ouvrière (FO), de l'UNEF et des syndicats lycéens UNL et FIDL. Son but est de contester " lapolitique idéologique menée par le gouvernement ", qui relève d'une " logique d'individualisation au prix de la casse des statuts et des droits collectifs à tous les niveaux, dèsles études ". Une manif de fin de saison, dont la date coïncidera, à la veille des premiers grands départs en vacances, avec le terme du calendrier des grèves à la SNCF – avant que la CGT prenne le relais avec SUD-Rail en juillet et août – et qui verra la CGT et FO défiler en tandem, pour la première fois depuis le 16 novembre 2017. Emmanuel Macron se voit accusé de remettre en question " le modèle social et républicain " et de " mettre à mal la solidarité et la justice sociale, valeurs essentielles de la cohésion sociale ". Rien de moins.
Cette mobilisation a toutes les chances d'être de faible ampleur, voire invisible. Face à un président qui a fait adopter ses grandes réformes – du code du travail à la SNCF, en passant par l'apprentissage, la formation professionnelle et l'assurance-chômage –, elle ne peut être qu'un coup d'épée dans l'eau, dont le seul résultat sera, une nouvelle fois, de démontrer l'impuissance syndicale. En 2016, la CGT et FO, qui avaient organisé main dans la main quatorze journées d'action pour le retrait de la loi El Khomri, ont été tenues en échec. En 2017, la même mésaventure est arrivée à la CGT qui, abandonnée par une FO ayant préféré jouer la concertation, n'a pas empêché M. Macron de marquer le point concernant les ordonnances sur le code du travail. La dernière victoire syndicale remonte à 2006, quand les confédérations, toutes unies, ont, avec le renfort du mouvement étudiant, fait reculer Jacques Chirac et Dominique de Villepin sur le contrat première embauche.
" Grand soir "A quoi va donc servir le rendez-vous du 28 juin ? Il va permettre à Philippe Martinez de faire défiler une partie de son noyau militant pour montrer qu'il ne se résigne pas à déserter le match. Le secrétaire général de la CGT ne cesse de répéter que
" le compte n'y est pas ". Et il conforte sa radicalité à l'heure où une vingtaine de syndicats des Hauts-de-France, dont la CGT de Goodyear, l'accusent de
" freiner " les luttes et prônent une ligne
" révolutionnaire ". Il va surtout donner l'occasion au nouveau secrétaire général de FO, Pascal Pavageau, qui, depuis son élection, le 27 avril, appelle à la
" résistance ", de marquer sa rupture avec la ligne, plus réformiste, de son prédécesseur, Jean-Claude Mailly.
" Vous nepasserez pas ! ", avait-il lancé, à peine élu, à l'intention de M. Macron. Un langage qui renoue avec celui de FO lors de sa création, en 1948, quand Résistance ouvrière s'était transformée en Force ouvrière. A la CGT comme à FO, c'est le grand bond en arrière.
M. Pavageau s'en est expliqué dans un entretien à
L'Humanité Dimanche du 21 juin – renouant avec un exercice pratiqué plusieurs fois par M. Mailly –, dans lequel il juge, sans la moindre nuance, que
" la politique de Macron, c'est une politique avec pour seul prisme l'individualisation à outrance et la loi de la jungle. En cela, elle entre en contradiction avec les fondements mêmes de la République ". " L'autoritarisme de ce gouvernement est un danger démocratique ", ajoute-t-il. Pour M. Pavageau, le 28 juin ne sera pas
un" grand soir ", mais
" une première étape en vue d'une mobilisation interprofessionnelle beaucoup plus large, qui doit avoir lieu à partir de septembre ".
Interrogé sur la faible ampleur de ces journées, le patron de FO explique que
" cela peutsignifier qu'il - le salarié -
ne croit plus dans l'action syndicale traditionnelle, qui permet pourtant l'expression démocratique et pacifique des revendications ". Attention, prévient-il, en reprenant ce qui est devenu un gimmick dans ses prises de parole,
" c'est la porte ouverte àdes modes d'expression plus radicaux " :
" Une flambée de haine, de violence, voire un basculement dans une logique quasi insurrectionnelle. "
Pour justifier cette étrange manif, M. Pavageau se réfère à la résolution de son congrès de Lille, fin avril – où sa centrale s'est coupée en deux, les réformistes ayant été mis en minorité –, dans laquelle il était jugé
" nécessaire " la perspective d'une mobilisation interprofessionnelle. Mais la très réformiste fédération de la métallurgie, dirigée par Frédéric Homez, avait imposé deux codicilles. Le premier spécifiait que cette mobilisation supposait
" la recherche de la plus grande unité possible " afin d'éviter un tête-à-tête avec la CGT. Or, l'idée d'un front syndical commun, incluant la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et l'UNSA, utopique aujourd'hui, sera tout aussi impensable en septembre. Le second, sur lequel M. Pavageau s'était engagé, consistait à évaluer les résultats des précédentes mobilisations avant d'en lancer une nouvelle. Peine perdue.
L'impuissance syndicale à laquelle se -condamnent la CGT et FO risque d'avoir des répercussions en interne. Pour ses opposants les plus radicaux, M. Martinez ne sera jamais assez dur. Quant à M. Pavageau, son discours heurte déjà les réformistes.
" Si la rupture et les barricades devaient nous conduire à devenir des extrémistes, et que cela se traduisait par un abandon de nos valeurs et de notre image, a averti M. Homez,
ce serait sans la fédération des métaux, qui ne laisserait pas faire et monterait les barricades du réformisme avec comme seul objectif de défendre en interne FO, son ADN, ses adhérents et les salariés. " Il y a des initiatives estivales dont le coût peut être inversement proportionnel au résultat.
Michel Noblecourt
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