La photo trône toujours sur une étagère dans le bureau de Pierre Gattaz, non loin d'un buste de Victor Hugo. Dans quelques jours, le président du Medef devra rendre les clés mais l'heure n'est pas encore au déménagement au 7e étage du 55, avenue Bosquet, siège parisien de l'organisation patronale. A 58 ans, l'actuel locataire a bien l'intention de profiter jusqu'au bout de la vue sur la tour Eiffel. Ce cliché, Pierre Gattaz en est fier : il y serre la main de Barack Obama avec, en arrière-plan, François Hollande et Michelle Obama. Il a même eu droit à une dédicace du couple présidentiel. Parti avec le président à Washington en février 2014, le patron de Radiall s'apprête à déclencher l'une des nombreuses polémiques qui ont fait sa marque de fabrique.
Cela fait à peine sept mois que l'industriel est arrivé à la tête du Medef et il refuse que le pacte de responsabilité, annoncé quelques semaines plus tôt, soit conditionné à un effort supplémentaire des entreprises.
" Quand j'entends parler de contreparties dans ce pacte, j'entends aussi des gens qui me disent : “Si vous n'y arrivez pas, vous allez être punis.” (…)
On n'est pas dans une cour d'école ", tance-t-il devant quelques journalistes.
" Scandale médiatique durant plusieurs jours. Mais au final, il n'y aura pas de contreparties ", se félicite-t-il aujourd'hui dans
Regard sur 5 années de combats, publié récemment par le Medef.
Un petit livre bleu dans lequel
" Pierre Gattaz/votre serviteur " résume en quelque cinquante pages le bilan de sa présidence. Après tout, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Ses collègues du Medef ne se bousculent pas pour chanter ses louanges. Laurence Parisot, qui l'a précédé à la tête du syndicat patronal, lâche ainsi :
" Le mandat qui s'achève fut une mauvaise parenthèse. " Moins sévère, un dirigeant de grande fédération juge que
" l'excès verbal discrédite le discours ". Il faut dire que les maladresses, sorties outrancières et autres provocations, Pierre Gattaz les a multipliées. Il y eut, en avril 2014, la proposition d'un " smic intermédiaire ", inférieur au salaire minimum, pour les jeunes. Deux ans après, ce sont les militants CGT qui sont qualifiés de
" minorités qui se comportent un peu comme des voyous, comme des terroristes ", dans un entretien au
Monde.
A la rentrée 2017, Pierre Gattaz doit s'excuser auprès des enseignants après une campagne de publicité du Medef mettant en cause l'éducation nationale :
" Si l'école faisait son travail, j'aurais du travail. " Sa petite phrase sur le "
contrôle journalier ou hebdomadaire " des chômeurs fait aussi un tollé. Mais c'est sans doute son pin's que l'histoire retiendra. Un matin de janvier 2014, le patron des patrons arbore, au revers de sa veste, un petit rectangle jaune siglé
" 1 million d'emplois ". Façon de dire qu'une politique " pro business " permettrait aux entreprises de créer autant d'emplois.
Quatre ans plus tard, le compte n'y est pas, mais Pierre Gattaz n'en démord pas. Il assume ce coup de com qui lui a valu bien des moqueries.
" J'adore mon pin's, lance-t-il au
Monde. Il crève les yeux et il est dérangeant. " A tel point qu'il ne l'épingle plus aujourd'hui à son costume. En interne, l'anecdote fait toujours rire… jaune.
" Je ne porterai pas de pin's, affirme l'un des candidats à la présidence.
Mais si j'en porte un, il n'y aura pas de chiffre dessus. " L'intéressé, lui, ne renie rien :
" J'ai toujours privilégié mes convictions à l'image. Quand vous êtes sur un combat, vous suez, vous savez que vous allez vous faire humilier. Mais si c'était à refaire, on serait encore plus dur. "
Il est comme ça, Pierre Gattaz, brut de décoffrage. Les critiques, il n'en a cure. Dans son ouvrage, le chef de file du Medef justifie son action par un contexte décrit comme
" très anxiogène " lors de son élection, en juillet 2013, avec une économie toujours en berne et un gouvernement socialiste qu'il juge hostile à l'entreprise. Il y revendique le
" tournant " du pacte de responsabilité, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi ou encore la loi El Khomri qui préparera, selon lui, le terrain à l'adoption des ordonnances Pénicaud réformant le code du travail. Et, après l'entrée de Manuel Valls à Matignon, il écrit son
" soulagement " de voir arriver à l'Elysée Emmanuel Macron,
" jeune, probusiness et pro-européen ". Peu importe qu'il eût préféré y voir s'installer François Fillon.
" Forme de surenchère "Avec ses épaules voûtées et son air patelin, Pierre Gattaz cultive sa différence.
" L'entrepreneur, ce héros ", aime-t-il à répéter, se disant fier de tenir
" un discours de vérité ". Lui dont la famille fait partie des 500 plus grosses fortunes de France grâce à Radiall, l'entreprise héritée de son père, surjoue ce côté patron de PME, VRP de province. Loin de l'establishment parisien, à l'image de ceux qui l'ont élu.
A l'Elysée, on le dit
" sans filtre ".
" Il a un côté petite entreprise, très patrimonial. Dans sa boîte, il est dans un dialogue direct avec ses salariés ", explique une source au sein de l'exécutif.
" Ce qu'il fait, il le fait avec les tripes, souligne -Viviane Chaine-Ribeiro, patronne du Syntec.
Il est moins dans le calcul politique que d'autres. Est-ce que la sincérité en politique, c'est de la naïveté ? " Raymond Soubie, l'ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy, relève que
" certains disent que c'est un taureau qui avance mais, pour moi, c'est un homme fin.
Il a obtenu des résultats, il peut être content. Sans panache, diront certains, mais qu'est-ce qui compte ? Le panache ou les résultats ? "
Reste que Pierre Gattaz finira par apparaître comme le monsieur " toujours plus " du Medef, jusqu'à devenir la caricature du patron sans scrupule dans " Les Guignols de l'info ".
" Il ne voyait jamais les avancées et était toujours dans une forme de surenchère ", abonde François Hollande auprès du
Monde. Son ex-conseiller spécial au Medef, Jean-Claude Volot, le défend :
" Le père Gattaz, il est ce qu'il est mais quand il fallait monter au front, il y allait. " Perdu au milieu des revendications pour la baisse des charges, de la dépense publique, ou la suppression de l'ISF, le social n'était pas sa priorité. Au grand dam des syndicats.
" C'est plus un bateleur qu'un constructeur d'intérêt général, déplore le numéro un d'une confédération.
Il est dans l'air du temps, un peu populiste, et n'a aucune intelligence de situation. " L'ex-ministre de la santé Marisol Touraine, qui a ferraillé dur sur la pénibilité contre le président du Medef, va plus loin :
" Gattaz, il est un peu comme Trump. Ce qui comptait pour lui, c'est que sa base soit satisfaite. "
Discours au lance-flammesComme d'autres, l'ancienne ministre n'a toujours pas digéré les quelques mots que l'industriel a prononcés, fin 2015, lors du pot de départ de Jean-François Pilliard, le M. Social du Medef d'alors. Syndicats, membres du gouvernement, conseillers y sont réunis. Pierre Gattaz se lance alors dans un discours au lance-flammes contre la politique sociale de François Hollande.
" On pouvait difficilement dire plus de conneries en si peu de temps ", se remémore, consterné, un pilier de l'organisation patronale.
" C'était d'une agressivité inouïe, ajoute Mme Touraine.
Il se faisait plaisir en se payant une ministre en direct. "
Sa succession, Pierre Gattaz l'aura moins bien préparée que la suite de sa carrière, lui qui sera très actif entre son entreprise, sa fondation et ses nouvelles fonctions à BusinessEurope – sorte de Medef européen. En revanche, la campagne pour la présidence de l'institution risque de laisser des traces. A commencer par la gestion calamiteuse de l'affaire Jean-Dominique Senard : en décembre 2017, le patron de Michelin a été empêché de se présenter pour des raisons d'âge, malgré la tentative de Pierre Gattaz de faire changer les statuts.
" En termes de crédibilité, on en a pris un coup ", se désole encore l'un des dirigeants du Medef.
Aujourd'hui, ni Alexandre Saubot ni Geoffroy Roux de Bézieux, les deux finalistes, ne peuvent se prévaloir de son soutien public. L'actuel numéro un a beau appeler au rassemblement avant le 3 juillet, jour de l'élection, il n'a pas empêché ses deux anciens vice-présidents de s'affronter pour la tête d'un Medef plus divisé que jamais.
" Un mandat réussi est une succession réussie ", fustigeait récemment un ponte de la structure patronale. Peu importe. Loin du bruit et de la fureur de l'avenue Bosquet, Pierre Gattaz s'apprête aussi à rejoindre son château de Sannes, dans le Vaucluse, pour réaliser son
" rêve de toujours " : devenir vigneron et s'offrir une cuvée Gattaz d'un autre type mais toujours à son goût.
Sarah Belouezzane et Raphaëlle Besse Desmoulières
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