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vendredi 29 juin 2018

En Libye, Salvini se réjouit du tarissement du flux migratoire......Des doutes sur la mise en œuvre de centres fermés pour migrants.......


27 juin 2018

En Libye, Salvini se réjouit du tarissement du flux migratoire

Les réseaux de passeurs se sont redéployés face aux sanctions internationales

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LE CONTEXTE
Interceptions
Rendus plus efficaces par le soutien de Bruxelles et de Rome, les gardes-côtes libyens ont intercepté en mer, depuis le 1er janvier, 9 100 migrants en partance pour l'Italie. Ces derniers ont été conduits dans des centres de détention, dénoncés par les organisations de défense des droits humains comme le lieu de multiples abus et violences.
Cette plus grande efficacité des gardes-côtes libyens explique pour partie le tarissement du flux migratoire vers l'Italie. Du 1er janvier au 20 juin, 16 228 migrants ont débarqué dans la Péninsule par la mer – en provenance de Libye pour l'essentiel – soit une chute de 78 % par rapport à la même période en 2017.
La visite de Matteo Salvini en Libye, rendue publique lundi 25  juin au matin par un selfie posté sur les réseaux sociaux, n'a duré que quelques heures, soit à peine le temps de rencontrer, à Tripoli, son homologue, le ministre de l'intérieur du gouvernement d'" union nationale ", Abdulsalam Ashour, et le vice-premier ministre, Ahmed Miitig. Annoncée depuis des semaines, elle était tout sauf une surprise : la coopération entre l'Italie et le pouvoir libyen est au cœur de la stratégie méditerranéenne impulsée par le prédécesseur de M.  Salvini, Marco Minniti, qui a permis une baisse de 75  % des arrivées de migrants sur les côtes italiennes depuis l'été 2017. Le nouveau gouvernement italien entend bien la poursuivre.
Dans un entretien publié lundi dans le quotidien La Repubblica, Ahmed Miitig avait souligné l'identité de vues entre Rome et Tripoli, notant que l'arrivée de migrants était également " un problème important "pour son pays. " Les trafiquants qui font venir les migrants en Italie sont pour nous des bandes criminelles dangereuses, qui ne permettent pas à la Libye de faire des pas en avant en direction d'une difficile normalisation ", a-t-il affirmé. A Tripoli, lors d'un point presse conjoint avec Matteo Salvini, il a en revanche rejeté catégoriquement l'idée italienne d'installer sur le sol libyen des centres fermés pour les demandeurs d'asile, qui ne seraient " pas conformes - aux - lois "libyennes. Le ministre de l'intérieur italien a par la suite rectifié le tir, affirmant tabler sur l'installation de " hot spots " à la frontière libyenne, côté nigérien.
" Port sûr "L'autre volet de l'action italienne dans les prochaines semaines sera le renforcement des gardes-côtes libyens, qui devraient recevoir une vingtaine de nouvelles vedettes afin de pouvoir poursuivre plus efficacement leurs opérations. Avec le projet, à moyen terme, de leur confier l'ensemble des opérations en mer. Selon les dispositions du droit de la mer, les membres d'un navire en détresse doivent, une fois secourus, être ramenés dans un " port sûr ", et nul n'oserait dire que la capture en haute mer de migrants fuyant l'enfer libyen correspond à cette définition. Le gouvernement italien (pas plus d'ailleurs que son prédécesseur) n'entend toutefois pas s'embarrasser de ces subtilités. De retour à Rome, Matteo Salvini a déclaré à la presse qu'à ses yeux, les gardes-côtes italiens " ne devraient plus répondre aux demandes d'aide des navires de migrants ".
La visite de M. Salvini à Tripoli visait à consolider le tarissement du flux migratoire vers l'Italie en provenance de Libye. Le programme de soutien – européen et italien – aux gardes-côtes de Tripoli n'explique pas, à lui seul, le retournement de la courbe. Des accords occultes passés entre Rome et des milices locales – officiellement démentis mais jugés crédibles par de nombreuses sources indépendantes – en sont une autre raison.
C'est à Sabratha, l'ancienne " capitale " des passeurs – située à 70  km à l'ouest de Tripoli –, que l'expérience avait connu son plus grand retentissement. A la mi-juillet  2017, l'un des plus gros parrains des réseaux de trafiquants de la Tripolitaine, un certain -Ahmed Al-Dabbashi – surnommé " Al-Ammu " (" L'Oncle ") – avait soudain fermé ses plates-formes de départs de Sabratha et prêté son concours à la répression des autres trafiquants de la zone. Le subit revirement de " L'Oncle " avait dégénéré en véritable guerre civile à Sabratha à la mi-septembre. Défait, il s'est réfugié dans la commune voisine de Zaouïa, à 50  km à l'ouest de Tripoli.
Depuis lors, Sabratha cherche à se faire oublier, sensible à la pression internationale. " L'Oncle ", ainsi que son principal rival, Mossab Abou Grein (dit le " Docteur "), celui-là même qui l'a bouté hors de la cité, font partie de la liste de huit gros passeurs visés, le 7  juin, par des sanctions des Nations unies. A leurs côtés figurent deux acteurs-clés de la cité voisine de Zaouïa : Mohamed Kochlaf, chef d'une milice contrôlant une raffinerie de pétrole, et Abdelrahman Milad, qui dirige la branche locale des gardes-côtes. Selon des sources locales, ce dernier était passé maître dans l'art d'opérer des interceptions sélectives, fermant les yeux sur les bateaux de migrants relevant de réseaux amis et arrêtant les autres.
La mise en sommeil des passeurs de Sabratha et, dans une moindre mesure, de Zaouïa, a eu pour effet un redéploiement des réseaux vers d'autres plates-formes de la Tripolitaine. C'est ce qui explique que le flux de départs de migrants vers l'Italie, bien qu'en baisse nette par rapport à 2017, demeure néanmoins soutenu : environ 26 000 tentatives de départs du 1er  janvier au 20  juin, si l'on additionne les arrivées en Italie, les interceptions par les gardes-côtes libyens et les noyades en mer (623).
" Hommes masqués "Dans cette recomposition géographique, deux bases nouvelles émergent de façon ostensible : le secteur de Garabulli-Khoms, situé à moins de 100  km à l'est de Tripoli, qui concentre désormais l'essentiel des départs, et Zouara, la ville amazigh (berbère) située à une cinquantaine de kilomètres de la frontière tunisienne. Le cas de Zouara est emblématique de la fluidité de la géopolitique migratoire en Tripolitaine. La cité était le principal point de départ de migrants jusqu'en  2015 quand, à la suite d'un naufrage qui avait traumatisé la population, le conseil municipal avait décidé de réprimer le trafic. Une milice d'hommes encagoulés – surnommés les " hommes masqués " – avait été chargée de traquer les contrebandiers. Nombre de ces derniers ont dû fuir, mettant leur savoir-faire au service des réseaux de Sabratha, qui a ainsi ravi à Zouara le titre de " capitale " migratoire de la Libye.
Or, voici que Zouara réapparaît sur la carte des départs. Les passeurs opèrent plus précisément vers Abou Kammesh, une zone de la commune située à quelques encablures de la frontière tunisienne. Une source de Zouara, jointe au téléphone, confirme ce retour de la ville comme plate-forme de départs. " Les départs reprennent, même s'ils n'atteignent pas le niveau de 2015, dit-elle. Ces trois dernières années, les “hommes masqués” ont tenu dans leur chasse aux passeurs, mais il leur est de plus en plus difficile de résister à la pression. Le problème vient de leur manque de moyens. L'aide promise par les Italiens et les Européens n'arrive pas sur le terrain. " Le cas de Zouara montre que les acquis en Libye demeurent fragiles et réversibles.
Frédéric Bobin, et Jérôme Gautheret
© Le Monde



27 juin 2018

Des doutes sur la mise en œuvre de centres fermés pour migrants

A la veille du sommet européen, Paris, Madrid et Berlin défendent le projet malgré l'échec de l'expérience des " hot spots " en Italie et en Grèce

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Des centres fermés pour les migrants permettront-ils de débloquer la crise politique qui secoue l'Europe ? C'est la proposition qu'essayent de pousser la France, l'Espagne et l'Allemagne, à la veille du sommet européen des 28 et 29  juin. La situation des migrants secourus en mer serait examinée dans ces centres de rétention. Ceux relevant du droit d'asile se verraient ensuite répartis dans les Etats membres, et les migrants économiques reconduits dans leur pays d'origine. Cette proposition fait son chemin, tandis que d'autres Etats membres plaident pour des plates-formes de débarquement des migrants en dehors de l'Union européenne (UE).
Du point de vue du droit, la rétention des personnes relevant de l'asile n'est pas interdite. " C'est légalement possible mais c'est complexe, confirme Serge Slama, professeur de droit public à l'université de Grenoble. Cela ressemble aux zones d'attente en France. " Un étranger qui souhaite demander l'asile peut ainsi être placé à son arrivée à la frontière dans ces zones pour une durée de quatre jours et jusqu'à vingt-six jours maximum, sous le contrôle d'un juge.
Accueillir " de façon digne "Lors d'une conférence de presse avec Pedro Sanchez, le chef du gouvernement espagnol, Emmanuel Macron a assuré samedi que les centres fermés seraient -" conformes " aux règles du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Or celui-ci s'est constamment opposé à la détention systématique et obligatoire. En  2016, il avait ainsi suspendu ses activités dans les " hot spots " (lieux de regroupement des migrants) des îles grecques, devenus des centres de rétention.
Le retrait du HCR était également dû à l'accord UE-Turquie qui permettait à la Grèce de refouler des migrants relevant du droit d'asile, en considérant que leur demande pouvait être examinée en Turquie, pays par lequel ils avaient transité et qualifié de " sûr ".
" Face au risque d'externalisation sauvage vers des pays tiers que court le droit d'asile, les centres fermés sont une réponse efficace ", défend le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), Pascal Brice.
Paris les voit en tout cas comme une façon de relancer la logique collective qui a présidé à l'ouverture de " hot spots " en  2015. Installés en Grèce et en Italie, en première ligne face à la pression migratoire aux frontières extérieures de l'UE, les " hot spots " ont été chargés d'identifier les nouveaux arrivants et de séparer les demandeurs d'asile des migrants économiques. Les premiers devant être " relocalisés ", selon une clé de répartition entre Etats. Ces dispositifs ont en grande partie échoué.
Moins de 35 000 demandeurs d'asile ont ainsi été relocalisés depuis l'Italie et la Grèce, soit 35  % de l'effort initialement prévu et une goutte d'eau par rapport au 1,6  million de migrants arrivés par la mer en Europe depuis 2015. " Les hot spots n'ont jamais fonctionné convenablement, notamment à cause du manque de solidarité ", convient Pascal Brice. La France n'a atteint que 25  % de son objectif avec 5 000 migrants relocalisés. Certains pays n'ont pas du tout participé à ces relocalisations.
L'échec des " hot spots " tient aussi au fait que l'Italie a laissé passer une partie importante des personnes arrivées sur son territoire, qui se sont dirigées vers d'autres Etats, comme l'Allemagne, alimentant ce qui est communément appelé les " mouvements secondaires ". " Jusque-là, les Italiens ont fait le calcul que le plus simple est de laisser entrer les migrants en faisant le pari qu'ils ne resteraient pas en Italie ", confirme Serge Slama.
Cette situation est à l'origine de la menace du ministre de l'intérieur allemand, Horst Seehofer, de refouler unilatéralement les migrants entrés en Europe par un autre pays de l'Union. Le règlement de Dublin prévoit en effet qu'une personne doit demander l'asile dans le pays dans lequel elle a été enregistrée lorsqu'elle est entrée.
" Si on veut que les centres fermés fonctionnent, il faut que les personnes soient accueillies de façon digne et qu'elles y restent le temps que leur demande d'asile soit examinée, insiste Pascal Brice, de l'Ofpra. Il faut donc que l'instruction de leur demande soit rapide et que les réfugiés soient ensuite répartis entre les Etats. Ceux qui seront déboutés du droit d'asile devront enfin être reconduits vers leur pays d'origine. "
Les retours sont souvent contrariés par la difficulté d'obtenir des laissez-passer consulaires de la part des pays d'origine. " Il faudra négocier avec ces pays-là des accords de réadmission ", souligne Yves Pascouau, chercheur au think tank européen Jacques-Delors et à l'université de NantesPascal Brice plaide aussi pour que les migrants ayant subi des violences lors de leur parcours migratoire puissent bénéficier de visas humanitaires.
Rome voudra-t-elle relancer la logique des " hot spots " ? Le ministre de l'intérieur italien, Matteo Salvini, a, pour l'instant, sèchement rejeté la proposition de Paris et Madrid, refusant que son pays soit transformé en " camp de réfugiés pour toute l'Europe ". Quelle que soit l'issue du sommet des 28 et 29  juin, Yves Pascouau lui accorde d'ores et déjà une portée limitée. " La priorité de l'Europe est aujourd'hui d'endiguer les flux pour résoudre une crise politiqueMais à moyen et long terme, cette logique de fermeture des frontières ne tiendra pas face aux mouvements de population ", rappelle-t-il.
Julia Pascual
© Le Monde


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