Fini la mafia au pouvoir ! ", martèle à chaque discours Andres Manuel Lopez Obrador, le grand favori de l'élection présidentielle du 1er juillet au Mexique. A 64 ans, le candidat de gauche a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. Ses partisans voient en lui un homme providentiel dans un pays miné par les inégalités et la criminalité. Ses détracteurs le taxent de populiste autoritaire. Inclassable, il trace sa route, annonçant un virage politique radical et historique après des décennies d'hégémonie du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre).
Celui que les Mexicains nomment par ses initiales, " AMLO ", enchaîne les meetings marathons. La chanson
El Necio (" le têtu "), du compositeur cubain Silvio Rodriguez, précède ses entrées sur scène. Ce titre va comme un gant à l'infatigable opposant, candidat malheureux aux deux précédents scrutins (2006 et 2012).
" Le troisième sera le bon ! ", répète ce veuf remarié, à l'allure bonhomme.
Les sondages le lui promettent. Le candidat d'une coalition menée par son Mouvement Régénération nationale (Morena) rafle la moitié des intentions de vote.
" Je laverai le gouvernement de la corruption, de haut en bas, comme un escalier ", assure l'ex-maire de Mexico (2000-2005). Il promet de
" récupérer l'argent des corrompus ", qu'il évalue à 21 milliards d'euros par an, pour financer son ambitieux programme de lutte contre la pauvreté : grands travaux, santé et éducation gratuites, bourses scolaires, aides aux paysans, hausse du salaire minimum (3,70 euros par jour en 2017), réduction de ceux des hauts fonctionnaires, dont le sien… De quoi, selon lui, afficher une croissance de 4 % à 6 %, contre 2,3 % en 2017, sans augmenter les impôts ni la dette publique.
" Pacifier le pays "
" C'est un homme honnête, déterminé à éradiquer les structures du régime corporatiste et clientéliste du Parti révolutionnaire institutionnel ", explique Irma Sandoval, spécialiste de la corruption à -l'Université autonome du Mexique (UNAM)
et possible future -ministre de la fonction publique nommée par " AMLO ". Le PRI est l'ancien parti hégémonique au pouvoir pendant sept décennies, de 1929 à 2000, puis de nouveau depuis 2012, après une alternance de la droite de douze ans.
" AMLO " promet aussi de
" pacifier le pays ", ensanglanté par la guerre à laquelle se livrent les cartels, entre eux et contre le gouvernement. Admirateur de Gandhi, il a suscité la polémique avec sa proposition d'amnistie pour les petites mains du narcotrafic. Pour calmer les esprits, il a annoncé, le 22 juin, que l'idée sera soumise à une consultation populaire.
" “AMLO” veut -réconcilier le pays et s'attaquer aux causes de l'insécurité, comme le manque d'opportunités des jeunes ", souligne sa directrice de campagne, Tatiana Clouthier.
-" Becarios si, sicarios no ! " (" boursiers oui, tueurs non ! "), répète ce pourfendeur des inégalités depuis sa jeunesse.
Fils de petits commerçants de l'Etat de Tabasco (sud-ouest), aîné de sept enfants, " AMLO " adhère au PRI dans les années 1970, développant d'abord des programmes sociaux pour les Indiens. Il rejoint ensuite le Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche), créé en 1988 par des dissidents du PRI. Elu maire de Mexico en 2000, il octroie des pensions aux personnes âgées et développe les transports publics. Sa popularité lui servira de tremplin pour la présidentielle de 2006. Battu de très peu (0,56 % des voix), " AMLO " dénonce une fraude électorale, mobilisant ses partisans au centre de la capitale.
Après sa deuxième défaite, en 2012, cet hyperactif quitte le PRD pour créer Morena, devenu un parti en 2014.
" Il est en campagne depuis des années, sillonnant le pays de long en large,
note -Ricardo Uvalle, politologue à l'UNAM.
Son lien direct avec les électeurs l'avantage aujourd'hui. " Père de quatre enfants, dont trois participent à sa campagne, il a adouci son image de protestataire. Sans renoncer à sa rhétorique acide contre les
" élites voraces ", il appelle
" à l'amour et à la paix ".
" Nous avons besoin de justice, pas de vengeance ", clame-t-il, après avoir annoncé qu'une fois au pouvoir il
" pardonnera " au président -Enrique Peña Nieto les affaires de corruption auxquelles on l'associe.
Un " nationalisme social "La métamorphose séduit les électeurs dans tous les milieux. " AMLO " vient d'annoncer que son proche conseiller -Alfonso Romo, ex-industriel millionnaire, sera, en cas de victoire, son chef de cabinet, rassurant une partie des hommes d'affaires – mais faisant grincer des dents à gauche.
Son orientation politique n'en reste pas moins difficile à cerner. Tatiana Clouthier assure qu'
" il est social-démocrate ". Bernardo -Olmedo, politologue à l'UNAM, souligne plutôt son inclination pour un
" nationalisme social ". Les références de ce féru d'histoire : l'ancien président Francisco Madero (1911-1913), l'apôtre de la révolution, Benito Juarez (1858-1862, 1867-1872), instaurateur de l'Etat laïque, et le général Lazaro Cardenas (1934-1940), qui a nationalisé le pétrole en 1938. " AMLO " ne remet pas en question la fin du monopole d'Etat sur l'or noir, votée en 2013. Mais il veut réviser la teneur des contrats passés avec les multinationales du pétrole et il prône la construction de deux nouvelles raffineries pour réduire les importations des Etats-Unis. Selon M. Olmedo,
" son nationalisme économique se rapproche, paradoxalement, de celui de Donald Trump, dont les expulsions de clandestins le scandalisent ".
Baptisée " Ensemble nous écrirons l'Histoire ", sa coalition avec le Parti du travail (PT, gauche) et le Parti Rencontre sociale (PES, évangéliste) ne fait pas que des heureux au sein de la gauche. " AMLO ", qui a confié être un croyant laïque, ne s'est jamais prononcé sur le mariage homosexuel ou sur l'avortement, légalisés dans le district fédéral de Mexico après son mandat de maire. Certains éditorialistes le décrivent comme conservateur. Ses déclarations prennent parfois des airs prophétiques, proposant notamment un
" code de conduite " contre la corruption pour le
" bien-être de l'âme ".
" Autoritarisme "Ce ton messianique irrite ses opposants. En tête, l'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature (2010), qui dénonce sa
" démagogie " et son
" populisme ", le comparant à Hugo Chavez, le dirigeant vénézuélien défunt. Et le célèbre historien Enrique Krauze de s'alarmer de son
" autoritarisme ", avertissant que sa victoire représenterait
" une régression pour la démocratie ". D'autres éditorialistes s'inquiètent de son ouverture. Des dizaines d'élus du PRD, du Parti Action nationale (Partido Accion Nacional ; PAN, droite) et même du PRI ont rejoint ses rangs pour le scrutin présidentiel, qui se double d'élections législatives, régionales et municipales. Même le leader du syndicat minier, Napoleon Gomez Urrutia, exilé au Canada après des accusations de corruption, candidat à un poste de sénateur sous la bannière de sa coalition.
Dans son QG de campagne à Mexico, ses militants, les " amlovers ", évoquent un
" pragmatisme électoral " dans un pays où les syndicats sont prescripteurs de votes. AMLO se dit certain de sa victoire, malgré le spectre d'une possible fraude électorale. Il a annoncé qu'une fois élu il continuera de vivre dans son appartement, à Mexico. Il veut transformer la résidence présidentielle en un musée et une salle de concerts publics. A ses yeux, cette
" maison est ensorcelée " par les malversations de ses anciens occupants consécutifs.
Frédéric Saliba
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