L'annonce d'une conférence internationale sur la situation humanitaire au Yémen avait été faite solennellement par le pré-sident Emmanuel Macron, le 10 avril, aux côtés du prince héritier d'Arabie saoudite, Mohammed Ben Salman, lors de sa visite en France. Paris entendait peser d'une façon singulière sur la résolution de ce conflit, dans lequel Riyad s'est engagé en mars 2015 contre la rébellion houthiste, alliée à l'Iran, et où le royaume se trouve embourbé depuis trois ans.
Deux mois plus tard, il ne reste plus grand-chose de cette initiative franco-saoudienne organisée par Paris. Aucune " conférence " des ministres des affaires étrangères ne se sera tenue le 27 juin au Quai d'Orsay, mais une simple réunion d'experts internationaux et de diplomates, dont la diversité masque mal l'agenda réduit. Parmi les participants, des représentants des membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, les organisations humanitaires des Nations unies, l'Union européenne, la Ligue arabe et des pays membres de la coalition saoudienne, ainsi que le gouvernement yéménite en exil à Riyad. Ni la rébellion houthiste ni son allié iranien ne sont représentés.
" L'objectif est avant tout humanitaire, il ne faut pas de mélange des genres ", explique une source diplomatique. Pour Paris, la priorité est de proposer des mesures techniques pour alléger le sort des quelque 20 millions de Yéménites qui ont besoin d'une aide humanitaire – l'immense majorité de la population – et dont plus de 8 millions sont menacés de famine, selon les Nations unies. Les autorités françaises envisagent encore de tenir, après l'étape préparatoire du 27 juin, une conférence politique ambitieuse, sans avancer de date.
" La position française est claire : plein soutien à la sécurité de l'Arabie saoudite, condamnation de l'activité balistique venant des houthistes - dont les missiles visent régulièrement le territoire saoudien - ,
volonté de trouver une solution politique au conflit et grande exigence humanitaire à l'égard des populations civiles ", avait expliqué le chef de l'Etat en avril. Mais cette partition est pour le moins difficile à mettre en œuvre. Et l'initiative franco-saoudienne apparaît à contretemps depuis que Riyad a lancé l'assaut, le 13 juin, contre le principal port du Yémen, Hodeïda, aux mains des houthistes, au risque d'aggraver la crise humanitaire.
" Famine planifiée "L'ONU craint un désastre si ce port, par où transite l'essentiel de l'aide et du trafic commercial à destination du pays, se trouve durablement fermé en raison des combats. Paris laisse à l'envoyé de l'ONU pour le pays, Martin Griffiths, la négociation d'une solution politique afin de prévenir la bataille, en tâchant de placer le port sous contrôle onusien. Les houthistes s'y sont dits favorables.
Selon une autre source diplomatique, les rebelles ont récemment renforcé leurs positions à Hodeïda, grâce à l'arrivée en ville d'alliés tribaux. Ils respectent une relative pause dans les combats, qui -facilite les négociations. Les forces yéménites assaillantes qu'encadre la coalition font de même. Elles comptent au maximum 3 000 hommes sur les fronts, en marge d'Hodeïda, selon une source militaire. Mardi, les Emirats arabes unis, qui coordonnent l'assaut, ont rejeté tout accord qui n'imposerait pas aux houthistes de se retirer non seulement du port, mais également de la ville.
Dans un communiqué commun, une dizaine d'ONG françaises ont demandé à Paris, mardi, de convaincre ses alliés saoudiens et émiratis de minimiser l'impact potentiel des combats, s'ils se poursuivent, sur des centaines de milliers de civils. Ces organisations humanitaires, consultées durant la préparation de la conférence, ont exprimé de longue date leur défiance et n'y participeront pas. Elles craignent une instrumentalisation des débats par l'Arabie saoudite, qui finance une large part du budget des agences de l'ONU au Yémen – ce dont Paris lui sait gré.
Riyad a par ailleurs présenté, en janvier, son propre plan humanitaire pour le pays, dans lequel transparaît sa volonté de rediriger l'accès de l'aide humanitaire et du trafic commercial hors des zones rebelles.
" Nous alertons depuis des mois sur la situation critique au Yémen. Au vu de l'impact du blocus - partiel -
imposé par la coalition - aux zones rebelles -
, on peut parler d'une famine planifiée, d'une planification de l'horreur ", affirme Jean-François Corty, directeur des opérations internationales pour Médecins du monde.
La France s'était exprimée jusqu'ici avec une singulière parcimonie sur le conflit yéménite. Depuis plusieurs mois cependant, elle a cherché à faciliter des négociations avec l'Iran, seul soutien étranger des houthistes. Téhéran trouve en ces alliés lointains et -rétifs un moyen peu coûteux de harceler son grand rival saoudien, dans sa zone d'influence. Paris se tient par ailleurs à l'écart du " quartet ", groupe informel jugé trop partisan qui réunit Riyad, Abou Dhabi et leurs principaux parrains occidentaux, les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Louis Imbert et Marc Semo
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