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samedi 30 juin 2018

Migrants : l'Europe face à une crise politique


28 juin 2018

Migrants : l'Europe face à une crise politique

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 Largement consacré à la crise migratoire, le Conseil européen, les 28 et 29 juin, s'annonce tendu
 Le sort de plusieurs bateaux chargés de migrants fait l'objet d'intenses marchandages au sein de l'UE
 Mais c'est la répartition de la précédente vague migratoire, en 2015, qui polarise les oppositions
 Un rapport de l'OCDE mesure et relativise le poids démographique et économique des réfugiés arrivés entre 2014 et 2017
 En Allemagne, Merkel doit composer avec une opinion publique de plus en plus réticente. L'Autriche durcit les conditions d'accueil
Pages 2-4
© Le Monde

28 juin 2018

L'Europe dans l'ombre de la crise de 2015

Si les arrivées reculent, l'UE n'a pas surmonté tous les défis liés à l'afflux record de migrants voici trois ans

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LE CONSEIL EUROPÉEN S'ANNONCE HOULEUX
Les 28 chefs d'Etat et de gouvernement devraient longuement débattre de politique migratoire à l'occasion du Conseil européen organisé jeudi 28 et vendredi 29 juin à Bruxelles. Malgré la chute du nombre de migrants, le sujet est en tête des agendas politiques européens depuis l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite en Autriche et en Italie. Sous la pression, les dirigeants européens devraient discuter des manières de réduire encore le nombre d'arrivées en Méditerranée et de limiter les mouvements de demandeurs d'asile au sein de l'Union européenne.
Une nouvelle fois, l'immigration sera au cœur des discussions d'un Conseil européen. Après des semaines de tensions déclenchées par l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir en Italie, les vingt-huit chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne (UE) devraient débattre pendant de longues heures, jeudi  28 et vendredi 29  juin, de la façon de stopper les flux de migrants vers le Vieux Continent. Pourtant, si l'Europe a vécu, entre 2014 et 2017, le plus grand afflux migratoire depuis la seconde guerre mondiale, le nombre d'arrivées a considérablement chuté depuis l'été 2017. Loin des saillies médiatiques du ministre de l'intérieur italien, Matteo Salvini, le principal enjeu migratoire pour les pays européens est désormais de gérer les centaines de milliers de migrants arrivés ces dernières années.
Deux objectifs sont largement partagés : intégrer le plus vite possible les personnes autorisées à rester, et expulser les déboutées tout aussi rapidement. Le premier des deux sujets devrait pourtant à peine être abordé à Bruxelles. Est-ce un signe qu'il est finalement assez peu problématique ? Le rapport annuel sur les perspectives des migrations internationales, rendu public par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le 20  juin, s'est de facto voulu plutôt rassurant. Selon l'OCDE, les quatre millions de demandeurs d'asile arrivés entre 2014 et 2017 devraient déclencher un accroissement d'à peine 0,3  % de la population européenne en âge de travailler, à l'horizon 2020.
Manque de données pour la FrancePrincipal pays d'accueil d'Europe, actuellement en situation de plein-emploi, l'Allemagne verrait le nombre de ses chômeurs légèrement augmenter d'ici à 2020. L'Agence fédérale de l'emploi allemande a révélé, mi-juin, qu'unquart du million et demi de réfugiés arrivés depuis 2015 ont déjà trouvé un emploi. " C'est un chiffre très satisfaisant ", a commenté Detlef Scheele, le directeur de l'agence.
Fortes d'un retour de la croissance, les économies européennes semblent largement à même de pouvoir absorber ces nouveaux travailleurs, à condition de les former et de leur apprendre la langue nationale. En Suède, l'obtention d'un emploi stable s'est ainsi accélérée pour les nouveaux arrivants : la moitié décroche un CDI dans les cinq ans, contre sept ans, en  2016. Dans le pays, la plupart des 70 000 migrants ayant obtenu l'asile sont toutefois encore dans des programmes de formation – une situation qu'on retrouve en Autriche – ; des migrants qui n'apparaissent cependant pas dans les chiffres du chômage.
Faute de données, difficile de savoir ce qu'il en est en France. Une fois qu'un réfugié y obtient son statut, il disparaît dans la nature. Ainsi, le programme " Hope " (Hébergement, orientation parcours vers l'emploi), qui offre une formation et un logement à 1 000 réfugiés, a commencé par piétiner faute de postulants. La France pâtit aussi de ses difficultés d'accès au logement. " 10  % de réfugiés présents sur les campements parisiens lors des dernières évacuations ont un statut de réfugié mais sont à la rue ", explique Didier Leschi, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. La Fondation européenne pour la démocratie, think tank bruxellois, a récemment reproché à la France de ne pas répartir équitablement les réfugiés sur tout le territoire, une pratique habituelle ailleurs en Europe, en particulier en Allemagne et en Autriche, afin d'éviter la formation de ghetto.
En Europe du Sud, les choses sont plus compliquées du fait d'une situation économique plus dégradée. En Espagne, une étude de l'université de Comillas, publiée en février, a souligné les difficultés d'intégrer le marché du travail pour les réfugiés une fois la période d'assistance de vingt-quatre mois écoulée. En Italie, pays d'immigration récente, les demandeurs d'asile se sont heurtés, depuis plusieurs années, à l'hostilité croissante des populations. Depuis le printemps 2017, à chaque élection locale, les maires ayant joué le jeu des politiques d'accueil décidées par le gouvernement ont subi, dans leur écrasante majorité, de lourdes défaites.
Malgré une intégration économique en bonne voie, ce mouvement de refus se retrouve un peu partout en Europe. Une des raisons est à chercher derrière les chiffres détaillés de l'OCDE qui montrent que certaines catégories de la population devraient être davantage touchées par le surcroît de main-d'œuvre. Selon l'organisme, le nombre d'actifs masculins de faible qualification âgés de 18 à 34 ans devrait ainsi progresser de 21  % d'ici à 2020 en Autriche et de 18  % en Allemagne, alors que celui des cadres restera stable.
Autre élément : les " migrants économiques " venus, par exemple, d'Afrique et non éligibles à l'asile sont souvent plus volontaires pour chercher du travail que les réfugiés syriens rêvant de rentrer au pays dès que possible. Enfin, la capacité des femmes d'origine étrangère à intégrer le marché du travail suscite des préoccupations un peu partout en Europe. Ainsi, en Suède, 15  % de celles nées à l'étranger sont au chômage, contre 3  % des Suédoises. Tous les pays européens concernés par la crise migratoire ont à cette fin développé des programmes d'intégration culturelle destinés à favoriser l'activité des femmes. Mais sur ce sujet, comme sur celui de l'appropriation des " valeurs nationales " en général, le tâtonnement est de mise en Europe, faute de résultats mesurables.
Durcissement en SuèdeA Bruxelles, les dirigeants européens devraient être plus enclins à durcir les mesures d'expulsion des migrants déboutés du droit d'asile. En Allemagne, le nombre de personnes identifiées comme expulsables était de 229 000 en décembre  2017. Le sujet est au cœur du débat politique outre-Rhin et a resurgi en début d'année quand le ministre de l'intérieur de l'époque, Thomas de Maizière (CDU), a annoncé que le nombre d'expulsionsavait été de 23 966 en  2017 – une baisse de 5,1  % par rapport à 2016. Soucieux de ne pas donner d'arguments à l'extrême droite, le successeur de Thomas de Maizière, le conservateur Horst Seehofer (CSU), a promis dès son entrée au gouvernement, en mars, de mettre en place un " plan pour accélérer les expulsions ".
Mais l'Allemagne n'est pas le pays qui a le plus de mal à expulser, à en croire les statistiques d'Eurostat. En France, en  2017, sur les 84 675 obligations de quitter le territoire prononcées en  2017, seules 18,5  % ont été mises à exécution, ce qui place le pays loin des 45,8  % de renvois moyens en Europe… Pour le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, la clé d'une plus grande efficience en la matière reste l'allongement de la rétention et la négociation avec les pays d'origine pour qu'ils acceptent de fournir des laissez-passer consulaires à leurs ressortissants.
En Suède, les expulsions restent aussi relativement stables – 5 000 par an. " Avec les ressources dont nous disposons, il est très difficile d'augmenter ces chiffres ", affirme Patrik Engström, patron de la police des frontières. A partir du 1er  juillet, la police des frontières pourra effectuer des contrôles ciblés sur des lieux de travail " dans des branches susceptibles d'embaucher des sans-papiers ", explique M. Engström.
En la matière, l'Autriche codirigée par l'extrême droite, se veut un modèle. Trente-quatre charters et deux bus ont quitté l'Autriche en  2018, principalement pour le Kosovo et le Nigeria. Cette efficacité s'explique d'ailleurs par les pays d'origine des migrants : les expulsions, contraintes comme volontaires, sont beaucoup plus faciles à appliquer avec les sans-papiers originaires des Balkans, qu'avec ceux venant d'Afrique.
Jean-Baptiste Chastand, (avec nos correspondants)
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28 juin 2018

Les navires de sauvetage acculés en Méditerranée

La fermeture des ports italiens, imposée par Matteo Salvini, entrave l'action des bateaux affrétés par les ONG

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LE CONTEXTE
Centres fermés
Albanie et Tunisie
Le premier ministre albanais, Edi Rama, a fermement rejeté, mercredi 27 juin, dans le -quotidien Bild, la création de centres de réfugiés sur son territoire " si c'est pour parquer des gens désespérés comme des -déchets toxiques ". L'idée de créer des centres hors de l'Union européenne pour accueillir les déboutés du droit d'asile expulsés d'Autriche ou du Danemark avait été lancée par Vienne et Copenhague. -Mi-juin, la Tunisie avait également refusé d'accueillir sur son territoire des centres pour débarquer les migrants sauvés en Méditerranée.
Plus de deux semaines après la décision italienne d'interdire l'accès de ses ports aux ONG opérant des secours de migrants en Méditerranée, la confusion reste totale dans le canal de Sicile. Les 234 migrants à bord du navire de l'organisation humanitaire allemande Lifeline, qui devaient rejoindre Malte pour y être débarqués, au terme d'un accord avec divers pays européens – dont la France, qui s'est engagée à accueillir une partie des demandeurs d'asile –, restent bloqués en mer, dans des conditions de plus en plus difficiles.
Menacés de poursuites par le gouvernement italien, les membres de cette ONG allemande ont été attaqués de toutes parts ces derniers jours. Interrogé sur le sujet mardi, en marge de sa visite au Vatican, le président français, Emmanuel Macron, a vivement critiqué l'action de Lifeline, qui, selon lui, " fait le jeu des passeurs ". Un reproche " indicible dans l'émotion collective ".
Apparue à l'automne 2017, cette ONG allemande très militante s'est trouvée confrontée, dès sa première opération de secours, aux gardes-côtes libyens, qui, après un échange très tendu, sont même brièvement montés à bord de leur bateau. L'organisation est accusée de ne pas s'en tenir au code de conduite imposé aux ONG par le précédent ministre de l'intérieur italien, Marco Minniti.
" Climat pas favorable aux ONG "De fait, l'opération au cours de laquelle le Lifeline a secouru les 234 migrants n'était pas diligentée par le Centre de coordination des recherches de Rome (MRCC), comme le prévoit la procédure ordinaire. Mercredi matin, le capitaine du navire assur " ait que malgré les annonces officielles, il n'avait toujours par reçu la notification l'autorisant à entrer dans les eaux territoriales maltaises.
Dans le même temps, l'Aquarius, affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, qui demandait à s'arrêter à Malte le temps d'une pause technique après son passage forcé à Valence, s'est vu refuser, sans explication, l'autorisation de faire escale. Préférant éviter d'accoster à Catane, son port d'attache habituel, l'Aquarius a annoncé mardi qu'il devait se diriger vers Marseille, où il devrait arriver vendredi. " Le climat n'est pas du tout favorable aux ONG ", a déclaré son directeur des opérations, Frédéric Penard, lors d'une conférence de presse.
Les autorités italiennes ont tout de même fini par accepter, lundi soir, que les 108 migrants secourus en mer par le porte-conteneurs Alexander-Maersksoient débarqués dans le port de Pozzallo (sud de la Sicile), après plusieurs jours d'atermoiements. Ce navire commercial danois, qui s'était dérouté, vendredi 22  juin, afin de porter assistance à des migrants en détresse sur les instructions du MRCC de Rome, en respectant donc parfaitement les procédures, aura dû patienter plus de quatre jours au large des côtes siciliennes avant d'être autorisé à accoster, démontrant bien malgré lui toute l'absurdité de la situation.
Bien sûr, le surcoût engendré par ces cinq journées perdues en mer sera sans doute couvert par les assurances, mais les navires commerciaux, très souvent mis à contribution depuis que la plupart des ONG ont été éloignées de la zone, supporteront-ils longtemps de se trouver pris en otage par les gesticulations du gouvernement italien ?
Responsables des secours dans la zone du canal de Sicile, les autorités maritimes italiennes semblent vouloir tout mettre en œuvre pour se soustraire à leurs obligations. Le vice-premier ministre et ministre de l'intérieur italien, Matteo Salvini (Ligue, extrême droite), l'a clairement affirmé lundi, à son retour de Libye, en déclarant dans une conférence de presse tenue au ministère de l'intérieur qu'il " donnerait son entier soutien " au ministre des transports, Danilo Toninelli (Mouvement 5 étoiles), autorité ayant théoriquement la tutelle sur les gardes-côtes, si celui-ci ordonnait de ne plus répondre aux SOS. Une menace difficile à mettre ouvertement à exécution, tant elle contrevient aux obligations les plus élémentaires du droit de la mer.
Plus crédible paraît, en revanche, l'intention, soutenue par l'ensemble des partenaires européens de l'Italie, d'accroître les moyens des gardes-côtes libyens afin de leur confier l'ensemble des opérations. Peut-on parler de " sauvetage en mer " s'agissant d'opérations dans lesquelles les candidats à l'exil, selon plusieurs témoignages, sont mis en joue, capturés puis ramenés dans des camps de détention, dans des conditions inhumaines, au -mépris du droit de la mer qui commande de déposer les personnes secourues en mer dans un " port sûr " ?
Matteo Salvini évoquait, lundi, en marge de sa visite éclair à Tripoli, la possibilité d'implanter des camps européens sur le sol libyen – aussitôt écartée par le vice-premier ministre Ahmed Miitig –, afin de combattre la " rhétorique de la torture ". D'après les innombrables témoignages, les tortures, viols systématiques et exécutions auxquels sont confrontées les 300 000  à 700 000 personnes actuellement détenues en Libye semblent plus relever du crime contre l'humanité que de la " rhétorique ".
Jérôme Gautheret
© Le Monde

28 juin 2018

En Autriche, Kurz durcit les conditions d'accueil des réfugiés

Le premier ministre autrichien et son allié d'extrême droite multiplient les mesures pour éviter toute nouvelle vague migratoire

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En marge de la Marche des fiertés, le grand défilé des minorités sexuelles, le 16  juin, Luciana D. (les noms ont été modifiés) découvre un monde. Elle a quitté le Daghestan il y a quelques mois et c'est un peu par hasard qu'elle se retrouve à Vienne. Sa famille la recherche, parce qu'elle est lesbienne. Impossible pour elle de retourner dans le Caucase. Pas vraiment réaliste de rester en Autriche non plus.
" Ici, le ministère de l'intérieur est tenu par un parti d'extrême droite qui a des liens avec la Russie. Cela me terrifie ", explique cette jeune femme qui survit grâce à des dons privés. Même si elle a des chances d'obtenir une protection, car l'Autriche accorde encore souvent l'asile aux citoyens russes, elle ne veut pas déposer de demande d'asile : elle ne fait pas confiance aux autorités de ce pays d'Europe centrale. Elle n'a pas non plus assez d'argent pour tenter sa chance vers des cieux plus cléments. Elle est en stand-by, comme des milliers de migrants.
Les associations sont unanimes : l'étau se resserre, inexorablement. On ne compte plus ceux qui comme Luciana ne tentent même pas de faire valoir leurs droits. " Ils sont souvent découragés par toutes les réponses négatives, explique Cécile Balbous, qui aide les réfugiés depuis 2015 au sein d'une ONG nommée Queer Base. Ces derniers mois, nombreux sont les demandeurs d'asile à avoir vu leur dossier rejeté. La plupart du temps, on juge leurs récits peu crédibles. Pour nous qui les accompagnons, c'est la sidération. "
" Cynisme incroyable "Même sentiment d'impuissance chez Sonia Feiger, de Shalom Alaikum, une association juive de soutien aux migrants. " Pour moi qui suis venue comme réfugiée en Autriche étant enfant, ce qui se passe en ce moment est d'une violence inouïe. Les Irakiens et les Afghans sont massivement déboutés en première instance. Les décisions sont à peine motivées. On ne croit plus les gens. C'est d'un cynisme incroyable. "
Et les chiffres sont là pour confirmer ces témoignages en dépit d'un net recul des arrivées. Alors que l'Autriche avait accueilli 88 340 demandeurs d'asile en  2015, au plus fort de la vague migratoire historique, le chiffre n'était plus que de 42 285 en  2016 et de 24 735 en  2017. L'an dernier, le nombre des refus a pourtant bondi de 37  % par rapport à l'année précédente. Le gouvernement de coalition entre les conservateurs et l'extrême droite, mené par le jeune Sebastian Kurz, 31  ans, a élargi la liste des pays considérés comme sûrs à l'Ukraine, à l'Arménie ou au Bénin.
Peu après sa prise de fonctions en décembre dernier, Herbert Kickl, le nouveau ministre de l'intérieur, membre du Parti de la liberté d'Autriche (FPÖ, extrême droite), a dénoncé une " hausse de 13  % en un an " des faits de délinquance impliquant les étrangers. Il a fait passer une série de mesures très dissuasives. Désormais, la police peut se saisir du téléphone portable des demandeurs d'asile, afin de vérifier si leur parcours, gardé en mémoire par leur appareil, correspond à leurs déclarations. S'ils sont en possession d'argent liquide, elle est aussi en droit de leur retirer jusqu'à 840  euros. Une nouvelle police des frontières, forte de 600 agents, doit être déployée dès cet été. Plus aucun réfugié en provenance d'Italie ou de Grèce ne sera redirigé vers l'Autriche dans le cadre du programme de répartition mis en place par la Commission européenne.
Pour ceux qui ont déjà obtenu une protection, l'avenir n'est pas assuré non plus. Le gouvernement veut réduire les minima sociaux et lier leur versement à des tests de langue. Aicha G., 24  ans, arrivée il y a quatre ans d'Irak, est loin de vivre un conte de fées. " Je n'ai pas le droit de travailler parce que je n'ai pas encore atteint un niveau suffisant en allemand ", explique-t-elle avant d'aller jouer au foot avec quelques copines. " Je ne peux pas non plus voyager, par exemple pour aller voir une partie de ma famille restée en Turquie, sinon on me retire mes aides. J'ai droit à 715  euros par mois. "
Les cours d'allemand obligatoires : voilà la principale activité des réfugiés qui tentent de se projeter dans ces moments troublés. Avec les " ateliers théâtre ", qui sont proposés par une société civile très engagée. Nizar M. joue par exemple du Bertolt Brecht. Des textes d'apatride, que l'on pourrait sans problème transposer à l'époque actuelle. Comédien auparavant en Syrie, ce quadragénaire a du mal à trouver un travail dans son nouveau pays. Il trouve " très dur de s'intégrer ".
Mais c'est sur les reconduites à la frontière que le gouvernement communique le plus. Le 13  juin dernier, le vice-chancelier Heinz-Christian Strache a tweeté un article de presse faisant état d'une hausse de 36  % des expulsions forcées depuis le début de l'année 2018 par rapport à l'année précédente. Il l'a accompagné de ce commentaire : " La présence du FPÖ au gouvernement porte ses fruits. Merci Herbert Kickl. " Face à un exécutif omniprésent dans les médias sur le sujet, les associations d'aide aux réfugiés ont décidé de se rassembler derrière un collectif, afin de ne parler que d'une seule voix.
Blaise Gauquelin
© Le Monde



28 juin 2018

Angela Merkel a du mal à faire oublier son " Wir schaffen das "

" Nous y arriverons ", avait lancé la chancelière, en 2015, à propos de l'accueil des migrants. Depuis, l'opinion publique s'est retournée

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LE BLOCAGE PERSISTE AU SEIN DU GOUVERNEMENT ALLEMAND
Quatre heures de discussions, mardi 26 juin, entre l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de la chancelière Merkel, son alliée bavaroise (CSU) et le Parti social-démocrate (SPD) n'ont pas permis de sortir de la crise menaçant le gouvernement. " Sur toutes les questions, notamment la politique migratoire, nous avons une situation très tendue dans la coalition ", a commenté Andrea Nahles, la présidente du SPD, sans écarter la possibilité de nouvelles élections. Faute d'un compromis lors du Conseil européen des 28 et 29 juin, le ministre fédéral de l'intérieur et président de la CSU, Horst Seehofer, veut expulser d'Allemagne, dès juillet, les demandeurs d'asile déjà enregistrés dans un autre pays de l'UE.
Le Tweet date du 22  juin. Il a été posté par Steffen Seibert, le porte-parole d'Angela Merkel. Sous la forme d'un graphique reprenant les données de l'Office fédéral de l'immigration et des réfugiés, ce dernier rappelait que 68 400 demandes d'asile ont été déposées en Allemagne entre janvier et mai  2018, alors qu'il y en avait eu 302 200 sur les cinq premiers mois de 2016. Le Tweet était accompagné de ce commentaire : " Vu que beaucoup se posent la question : combien de demandeurs d'asile arrivent en Allemagne ? Un coup d'œil sur les chiffres actuels, qui continuent de baisser. "
Est-ce avec ce genre de messages qu'Angela Merkel pourra contenir la poussée de l'extrême droite et faire taire ceux qui, dans sa majorité, la CSU bavaroise de son ministre de l'intérieur Horst Seehofer en tête, affirment que sa politique migratoire a conduit l'Allemagne au bord du chaos ? On peut en douter, et ce pour deux raisons. La première est qu'une majorité d'Allemands pensent que le pays accueille encore trop d'étrangers. Selon un sondage de l'institut Kantar pour le Spiegel, paru samedi 23  juin, 57  % des personnes interrogées estiment ainsi qu'" il devrait être plus difficile, pour les migrants et les réfugiés, de venir en Allemagne ". D'après cette étude, 61  % des sondés souhaitent que " les réfugiés dont les empreintes ont été enregistrées ailleurs en Europe - soient - reconduits à la frontière allemande ", une mesure réclamée par Horst Seehofer, mais que Mme  Merkel refuse de prendre sans concertation avec ses partenaires, ce qui devait être au cœur des discussions du conseil européen, à Bruxelles, jeudi  28 et vendredi 29  juin.
Présidente du conseil à l'intégration du Land de Brême, Libuse Cerna confirme cette tendance : " En trois ans, l'atmosphère a changé. En  2015, les gens étaient fiers d'accueillir et d'aider les réfugiés. Aujourd'hui, beaucoup continuent de s'engager avec générosité, mais il y a une lassitude doublée d'une inquiétude. Les gens ont peur d'une nouvelle vague migratoire, y compris à gauche. On est passé de l'idée qu'il fallait accueillir à l'idée qu'on ne peut plus accueillir, ou en tout cas qu'on a atteint la limite. "
" Crédibilité de l'Etat de droit "Une seconde raison explique pourquoi les adversaires de Mme  Merkel lui reprochent encore sa décision, prise en septembre  2015, de ne pas fermer les frontières aux centaines de milliers de réfugiés venus du Proche-Orient. Elle n'a pas donné suite à son appel, lancé fin 2016, à une " mobilisation nationale pour expulser les personnes à qui l'on a refusé leurs demandes de séjour ". Un engagement maintes fois réitéré, notamment en février  2017 par Peter Altmaier, alors ministre de la chancellerie : " Notre but est d'expulser rapidement ces personnes. Sinon, c'est la crédibilité de notre Etat de droit qui sera mise en cause ", expliquait à l'époque ce proche de Mme Merkel, aujourd'hui ministre de l'économie.
La réalité est pourtant très éloignée de l'objectif affiché. Fin 2017, les autorités allemandes estimaient que 229 000  étrangers sans autorisation de séjour se trouvaient dans le pays. Or, il n'y eut que 24 000  expulsions en  2017, soit 5,1  % de moins qu'en  2016. Le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD), qui prospère sur le discours antimigrants, y a vu la confirmation de ses thèses. " Où en est la “mobilisation nationale” annoncée par Mme  Merkel pour que les expulsions aient vraiment lieu ? L'échec de sa politique est décidément sans limite ", déclarait ainsi Alexander Gauland, coprésident de l'AfD, le 20  février.
Cette question est d'autant plus explosive qu'elle revient régulièrement au cœur de l'actualité. Anis Amri, l'auteur de l'attentat du 19  décembre 2016 contre un marché de Noël de Berlin (douze morts et une cinquantaine de blessés), était un demandeur d'asile débouté. Depuis, plusieurs faits divers ont impliqué des étrangers en situation irrégulière. A l'instar du meurtre de Susanna Feldmann, une Allemande de 14 ans violée et tuée, fin mai, par Ali Bachar, un Irakien de 21 ans, arrivé en Allemagne en  2015 et dont la demande d'asile a été rejetée un an plus tard.
Individus dangereuxDans les deux cas, les coupables n'étaient pas expulsables. Pour renvoyer Anis Amri dans son pays, Berlin avait besoin du feu vert des autorités tunisiennes, qui ne l'ont donné qu'à la veille de l'attentat. Quant à Ali Bachar, le recours qu'il a déposé après le rejet de sa demande d'asile l'autorisait à rester en Allemagne jusqu'à ce qu'il ait une réponse définitive. Mais ce n'est pas cela qu'a retenu l'opinion : avant de commettre leurs crimes, Amri figurait sur la liste des 550 individus les plus dangereux du pays, tandis que Bachar avait été condamné pour délinquance et suspecté du viol d'une jeune fille. En attendant de pouvoir être expulsés, pourquoi n'étaient-ils pas mieux surveillés ?
" Wir schaffen das " (" nous y arriverons "), avait assuré Mme Merkel, à l'été 2015, au plus fort de la crise des réfugiés. Depuis, elle a regretté cette formule, mais ses adversaires, eux, la lui font toujours payer. Cela ne veut pas dire qu'ils ont réussi à la délégitimer : selon un sondage publié, samedi, dans le Spiegel, 58  % des personnes interrogées estiment qu'elle doit rester chancelière. Mais elle est prévenue. Si elle veut garder la confiance de ses concitoyens, elle doit tenir compte d'une opinion publique qui lui demande, sinon de renier sa décision de 2015, du moins d'en tirer toutes les leçons.
Thomas Wieder
© Le Monde

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