Une nouvelle fois, l'immigration sera au cœur des discussions d'un Conseil européen. Après des semaines de tensions déclenchées par l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir en Italie, les vingt-huit chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne (UE) devraient débattre pendant de longues heures, jeudi 28 et vendredi 29 juin, de la façon de stopper les flux de migrants vers le Vieux Continent. Pourtant, si l'Europe a vécu, entre 2014 et 2017, le plus grand afflux migratoire depuis la seconde guerre mondiale, le nombre d'arrivées a considérablement chuté depuis l'été 2017. Loin des saillies médiatiques du ministre de l'intérieur italien, Matteo Salvini, le principal enjeu migratoire pour les pays européens est désormais de gérer les centaines de milliers de migrants arrivés ces dernières années.
Deux objectifs sont largement partagés : intégrer le plus vite possible les personnes autorisées à rester, et expulser les déboutées tout aussi rapidement. Le premier des deux sujets devrait pourtant à peine être abordé à Bruxelles. Est-ce un signe qu'il est finalement assez peu problématique ? Le rapport annuel sur les perspectives des migrations internationales, rendu public par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le 20 juin, s'est de facto voulu plutôt rassurant. Selon l'OCDE, les quatre millions de demandeurs d'asile arrivés entre 2014 et 2017 devraient déclencher un accroissement d'à peine 0,3 % de la population européenne en âge de travailler, à l'horizon 2020.
Manque de données pour la FrancePrincipal pays d'accueil d'Europe, actuellement en situation de plein-emploi, l'Allemagne verrait le nombre de ses chômeurs légèrement augmenter d'ici à 2020. L'Agence fédérale de l'emploi allemande a révélé, mi-juin, qu'un
quart du million et demi de réfugiés arrivés depuis 2015 ont déjà trouvé un emploi.
" C'est un chiffre très satisfaisant ", a commenté Detlef Scheele, le directeur de l'agence.
Fortes d'un retour de la croissance, les économies européennes semblent largement à même de pouvoir absorber ces nouveaux travailleurs, à condition de les former et de leur apprendre la langue nationale. En Suède, l'obtention d'un emploi stable s'est ainsi accélérée pour les nouveaux arrivants : la moitié décroche un CDI dans les cinq ans, contre sept ans, en 2016. Dans le pays, la plupart des 70 000 migrants ayant obtenu l'asile sont toutefois encore dans des programmes de formation – une situation qu'on retrouve en Autriche – ; des migrants qui n'apparaissent cependant pas dans les chiffres du chômage.
Faute de données, difficile de savoir ce qu'il en est en France. Une fois qu'un réfugié y obtient son statut, il disparaît dans la nature. Ainsi, le programme " Hope " (Hébergement, orientation parcours vers l'emploi), qui offre une formation et un logement à 1 000 réfugiés, a commencé par piétiner faute de postulants. La France pâtit aussi de ses difficultés d'accès au logement.
" 10 % de réfugiés présents sur les campements parisiens lors des dernières évacuations ont un statut de réfugié mais sont à la rue ", explique Didier Leschi, le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. La Fondation européenne pour la démocratie, think tank bruxellois, a récemment reproché à la France de ne pas répartir équitablement les réfugiés sur tout le territoire, une pratique habituelle ailleurs en Europe, en particulier en Allemagne et en Autriche, afin d'éviter la formation de ghetto.
En Europe du Sud, les choses sont plus compliquées du fait d'une situation économique plus dégradée. En Espagne, une étude de l'université de Comillas, publiée en février, a souligné les difficultés d'intégrer le marché du travail pour les réfugiés une fois la période d'assistance de vingt-quatre mois écoulée. En Italie, pays d'immigration récente, les demandeurs d'asile se sont heurtés, depuis plusieurs années, à l'hostilité croissante des populations. Depuis le printemps 2017, à chaque élection locale, les maires ayant joué le jeu des politiques d'accueil décidées par le gouvernement ont subi, dans leur écrasante majorité, de lourdes défaites.
Malgré une intégration économique en bonne voie, ce mouvement de refus se retrouve un peu partout en Europe. Une des raisons est à chercher derrière les chiffres détaillés de l'OCDE qui montrent que certaines catégories de la population devraient être davantage touchées par le surcroît de main-d'œuvre. Selon l'organisme, le nombre d'actifs masculins de faible qualification âgés de 18 à 34 ans devrait ainsi progresser de 21 % d'ici à 2020 en Autriche et de 18 % en Allemagne, alors que celui des cadres restera stable.
Autre élément : les " migrants économiques " venus, par exemple, d'Afrique et non éligibles à l'asile sont souvent plus volontaires pour chercher du travail que les réfugiés syriens rêvant de rentrer au pays dès que possible. Enfin, la capacité des femmes d'origine étrangère à intégrer le marché du travail suscite des préoccupations un peu partout en Europe. Ainsi, en Suède, 15 % de celles nées à l'étranger sont au chômage, contre 3 % des Suédoises. Tous les pays européens concernés par la crise migratoire ont à cette fin développé des programmes d'intégration culturelle destinés à favoriser l'activité des femmes. Mais sur ce sujet, comme sur celui de l'appropriation des " valeurs nationales " en général, le tâtonnement est de mise en Europe, faute de résultats mesurables.
Durcissement en SuèdeA Bruxelles, les dirigeants européens devraient être plus enclins à durcir les mesures d'expulsion des migrants déboutés du droit d'asile. En Allemagne, le nombre de personnes identifiées comme expulsables était de 229 000 en décembre 2017. Le sujet est au cœur du débat politique outre-Rhin et a resurgi en début d'année quand le ministre de l'intérieur de l'époque, Thomas de Maizière (CDU), a annoncé que le nombre d'expulsions
avait été de 23 966 en 2017 – une baisse de 5,1 % par rapport à 2016. Soucieux de ne pas donner d'arguments à l'extrême droite, le successeur de Thomas de Maizière, le conservateur Horst Seehofer (CSU), a promis dès son entrée au gouvernement, en mars, de mettre en place un
" plan pour accélérer les expulsions ".
Mais l'Allemagne n'est pas le pays qui a le plus de mal à expulser, à en croire les statistiques d'Eurostat. En France, en 2017, sur les 84 675 obligations de quitter le territoire prononcées en 2017, seules 18,5 % ont été mises à exécution, ce qui place le pays loin des 45,8 % de renvois moyens en Europe… Pour le ministre de l'intérieur, Gérard Collomb, la clé d'une plus grande efficience en la matière reste l'allongement de la rétention et la négociation avec les pays d'origine pour qu'ils acceptent de fournir des laissez-passer consulaires à leurs ressortissants.
En Suède, les expulsions restent aussi relativement stables – 5 000 par an.
" Avec les ressources dont nous disposons, il est très difficile d'augmenter ces chiffres ", affirme Patrik Engström, patron de la police des frontières. A partir du 1er juillet, la police des frontières pourra effectuer des contrôles ciblés sur des lieux de travail
" dans des branches susceptibles d'embaucher des sans-papiers ", explique M. Engström.
En la matière, l'Autriche codirigée par l'extrême droite, se veut un modèle. Trente-quatre charters et deux bus ont quitté l'Autriche en 2018, principalement pour le Kosovo et le Nigeria. Cette efficacité s'explique d'ailleurs par les pays d'origine des migrants : les expulsions, contraintes comme volontaires, sont beaucoup plus faciles à appliquer avec les sans-papiers originaires des Balkans, qu'avec ceux venant d'Afrique.
Jean-Baptiste Chastand, (avec nos correspondants)
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