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vendredi 29 juin 2018

En Syrie, Washington cesse de soutenir les rebelles de Deraa


27 juin 2018

En Syrie, Washington cesse de soutenir les rebelles de Deraa

Les Etats-Unis ont prévenu les insurgés du Sud syrien qu'ils ne pouvaient plus compter sur leur appui, une aubaine pour Damas et Moscou

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Il n'aura pas fallu dix jours aux Etats-Unis pour opérer un virage à 180 degrés sur la question du bastion rebelle de Deraa, dans le sud de la Syrie. Samedi 23  juin, Washington a notifié aux groupes armés de cette région, attaquée par l'armée syrienne, qu'ils ne devaient pas s'attendre à un soutien militaire américain. Le 14  juin, pourtant, le département d'Etat avait menacé Damas de " mesures fermes et appropriées " en cas de violation de l'accord de " désescalade ", conclu en juillet  2017, entre la Russie, la Jordanie et les Etats-Unis. Cette volte-face, qui équivaut à un feu vert tacite de Washington à Moscou et à son allié syrien pour attaquer la province de Deraa, n'a pas échappé au Kremlin. Dans la soirée de samedi, en l'espace de vingt minutes, l'aviation russe, absente de la région depuis douze mois, a tiré une vingtaine de missiles contre des villages du nord de Deraa.
Les raids se concentrent sur le secteur de Lajat, au nord de Deraa, que les assaillants espèrent isoler du reste de la poche rebelle. La ville de Deraa, frontalière de la Jordanie, a aussi été visée. L'Observatoire syrien des droits de l'homme a comptabilisé 28 morts depuis mardi 19 juin, date de la reprise par Damas de ses bombardements aériens. " Les Américains sont malades, fulmine Maan Abdul Salam, le coordinateur politique du Front du Sud, le " label " regroupant les insurgés de Deraa et de la région voisine de Kuneitra, plus à l'ouest. Ils disent une chose en public et, en privé, ils disent le contraire. C'est tellement puéril. Les rebelles vont à la mort. Que les Américains l'assument à haute voix, au lieu de prétendre qu'ils les protègent ! "
" A vous de vous décider "C'est par une note de l'ambassade des Etats-Unis à Amman que les commandants du Front du Sud ont su qu'ils ne pourront compter que sur eux-mêmes. " Vous ne devez pas fonder vos décisions sur l'hypothèse ou sur l'attente d'une intervention militaire américaine ", prévient le message, révélé par Sam Heller, analyste au centre d'études International Crisis Group. " A vous de vous décider en fonction de la manière dont vous évaluez vos intérêts et les intérêts de vos familles, poursuit l'ambassade. Cette évaluation et cette décision appartiennent à vous seuls. "
Selon Maan Abdul- -Salam, peu après avoir reçu ce coup de massue, plusieurs chefs de groupes armés ont reçu un autre message, signé du général Alexander Ivanov, le porte-parole du contingent russe en Syrie, leur disant, sur un ton narquois : " Vos amis vous ont laissés tomber. " Le haut gradé russe est depuis plusieurs mois en contact avec eux pour les persuader d'accepter les offres de " réconciliation " des autorités syriennes.
Le terme désigne le processus par lequel les insurgés qui acceptent de rendre les armes sont soit transférés vers Idlib, le dernier territoire rebelle avec Deraa-Kuneitra, soit reversés dans des unités prorégime, leur permettant de se " racheter " auprès de Damas. Jusque-là, la quasi-totalité des meneurs de l'insurrection dans le Sud ont rejeté ces propositions, même s'il n'est pas impossible que certains fassent défection dans les prochains jours, à mesure que l'étau du régime se resserrera.
Contrairement aux autres efforts d'apaisement, menés sous l'égide du trio Russie-Turquie-Iran, dans le cadre du processus d'Astana, et portant sur les zones d'Idlib, de la Ghouta orientale (banlieue de Damas) et du nord d'Homs, l'accord de désescalade de Deraa avait débouché sur un véritable cessez-le-feu. Même si des escarmouches et des tirs d'artillerie ont continué à être enregistrés le long de la ligne de front, les bombardements aériens ont peu ou prou cessé pendant douze mois.
En mars, l'accord n'a pas été loin de s'effondrer. Des factions rebelles ont été à deux doigts de reprendre les combats, afin de soulager leurs homologues de la Ghouta confrontées à la vaste offensive de l'armée syrienne, qui allait leur être fatale. Selon un récent rapport de l'International Crisis Group, des responsables américains et jordaniens ont alors dissuadé les combattants du Sud de passer à l'action, en leur faisant valoir que, s'ils violaient l'accord de désescalade, " Washington ne pourrait pas les défendre ". Le souvenir de cet épisode accroît l'amertume des opposants.
Ceux-ci tendent cependant à oublier que le répit d'un an dont ils ont joui a plus été la conséquence d'un choix tactique de Moscou et de Damas – qui ont profité d'avoir les mains libres dans le Sud pour soumettre les rebelles de la Ghouta et ceux du nord d'Homs – que de réelles pressions américaines. Au moment même où ils concluaient l'accord de désescalade, les Etats-Unis annonçaient d'ailleurs la fin de leur soutien financier et militaire au Front du Sud, coordonné depuis 2014 par l'Agence centrale de renseignement (CIA) américaine. Les seuls obstacles sont venus d'Israël. L'Etat hébreu a bombardé à plusieurs reprises des positions de milices pro-iraniennes dans le sud de la Syrie, pour faire comprendre à Moscou qu'il ne tolérerait pas qu'elles participent à la reconquête de la zone aux côtés de l'armée régulière.
Une certaine confusionLa mise en garde du département d'Etat datant du 14  juin a introduit une certaine confusion. Mais elle n'a guère impressionné à Damas. " C'est de la guerre psychologique, les Etats-Unis ne sont pas du tout prêts à défier la Russie ", relativisait, la semaine dernière, Taleb Ibrahim, un commentateur pro-Assad. Le message de l'ambassade américaine d'Amman n'est donc pas tant un lâchage que la poursuite de la politique de Washington visant à minimiser son implication dans le conflit. " C'est choquant, mais ce n'est pas surprenant, reconnaît Issam Al-Rayes, le porte-parole du Front du Sud. Dans les moments de vérité, les Américains nous ont toujours laissés tomber. "
Aux yeux de Damas et de son protecteur russe, l'arrangement de juillet  2017 n'a jamais été qu'intérimaire. Pour peu qu'Israël ait été satisfait par les garanties que lui a données la Russie, plus rien ne s'oppose à une percée des forces loyalistes. Si ce n'est les rebelles, qui tiennent pour l'instant leurs positions mais semblent promis à la défaite.
Benjamin Barthe
© Le Monde

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