Interview de Daniele Ganser
« Dans le conflit ukrainien, on peut observer la relation entre le pétrole, le gaz et l’OTAN dans toute sa splendeur » (Deutsche Wirtschafts Nachrichten)
Daniele Ganser
Selon Daniele Ganser, spécialiste dans le domaine de l’OTAN, nous assistons en Ukraine à la prochaine étape de l’extension de cet organisme. L’Allemagne devrait suivre le pas parce que les Américains disposent du commandement en chef et veulent empêcher la naissance d’un nouvel axe Moscou-Berlin. Les USA dressent à cette fin les Etats européens les uns contre les autres – afin de continuer à les contrôler.
L’OTAN est la plus grande et la plus puissante alliance militaire depuis nombre d’années. Les « Deutsche Wirtschafts Nachrichten » ont parlé avec l’historien et le spécialiste en matière de l’OTAN, Daniele Ganser à propos de la structure de celle-ci, du rôle de l’Allemagne dans l’organisation, de son influence dans l’UE et de son implication dans le conflit de l’Ukraine.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten : Le Danois Rasmussen démissionne bientôt en tant que Secrétaire général. Son successeur sera probablement le Norvégien Stoltenberg. Quelle est selon vous, l’influence des Européens au sein de l’OTAN ?
Daniele Ganser : Je pense que l’influence des Européens au sein de l’OTAN est petite, parce que celle-ci est menée par les USA. On le voit à travers le fait que les Européens peuvent toujours désigner le Secrétaire général et celui-ci apparaît très souvent dans les médias en Europe. C’est pourquoi, on a l’impression que le Secrétaire général est la personne la plus importante de l’OTAN. Toutefois, ce n’est pas vrai ! La personne encore beaucoup plus influente au sein de l’OTAN est le SACEUR (Commandant suprême des forces alliées en Europe) et c’est toujours un général américain. Ce commandement militaire est encore plus puissant que le poste officiel de Secrétaire général. L’ancien Président Nixon l’a formulé une fois de cette façon : « Le seul organisme international qui n’ait jamais fonctionné, c’est l’OTAN, tout simplement parce qu’il s’agit d’une alliance militaire et que nous étions aux commandes ».
Par quelles voies l’OTAN impose-t-elle ses intérêts à l’UE ?
L’OTAN a ses ambassadeurs dans tous les pays membres. Ce sont des ambassadeurs envoyés par chaque pays afin d’être informés des projets de l’OTAN dans les étapes suivantes. Les voies sont opérationnelles de telle façon que l’OTAN – et en premier les USA – disent : C’est comme ça et maintenant vous devez faire ça. Cela était ainsi en particuliers lors du 11-Septembre et de la Guerre contre l’Afghanistan. La plupart du temps, les Européens obéissent tout simplement. Ils n’ont jamais dit : Nous devons nous développer indépendamment. Une politique extérieure et de sécurité européenne commune ne fonctionne pas vraiment. On est toujours indécis : doit-on aller en Irak avec les Américains ? Les Anglais l’ont fait, pas les Français. Ou bien doit-on bombarder avec les Américains la Lybie, pays membre de l’OPEC ? Les Français l’ont fait, pas les Allemands. Les USA réussissent très bien à dresser les différents pays européens les uns contre les autres. En ce moment, on se sert de l’Allemagne contre la Russie, bien sûr pour des intérêts américains. C’est l’ancien système du « divide et impera » – « diviser pour régner ». Ce n’est pas dans l’objectif de Washington que l’UE et la Russie coopèrent et construisent un grand espace économique, disposant en plus des plus grandes réserves de pétrole et de gaz. Ce ne serait pas dans l’intérêt des Etats-Unis.
En raison du manque de transparence, il est difficile de savoir comment se présente le financement de l’OTAN en détail. Des députés néerlandais ont dû le constater récemment. Savez-vous quelque chose de concret à ce sujet ?
Non, parce que l’OTAN n’est effectivement pas une organisation transparente. Je partage cette frustration des députés néerlandais, parce que je me suis efforcé d’obtenir des informations sur les armées secrètes de l’OTAN. On a simplement ignoré mes questions et on ne m’a fait part de rien. Quelques personnes pensent que l’OTAN est une organisation démocratique et transparente. Cependant, ce n’est pas le cas. C’est une organisation militaire qui tente continuellement à garder ses secrets. Le budget du Pentagone est finalement pertinent pour le financement et il comprend environ 700 milliards de dollars par an ou deux milliards par jour. Alors la question est bien sûr de savoir si ici une journée du Pentagone équivaut à une journée de l’OTAN et comment on calcule cela. Mais ce sont des opérations comptables et on peut calculer cela de différentes manières.
Quel rôle joue l’OTAN dans le conflit en Ukraine ?
Mon avis est que la guerre en Ukraine est centrée autour de l’OTAN et du gaz naturel. L’OTAN a depuis 1990 entrepris un mouvement en direction de l’Est. La première étape a été de retirer en Allemagne la RDA au Pacte de Varsovie et de l’accueillir dans l’OTAN. Pour cela, on a eu besoin à cette époque de l’accord de Gorbatchev. C’est-à-dire que cette fusion entre la RFA et la RDA – qui est très précieuse et que je salue beaucoup – n’était possible qu’avec l’acceptation de la Russie, de la reprise de l’Allemagne réunie, par l’OTAN. Mais les Russes ont aussi affirmé leur refus d’une extension de l’OTAN. Et Gorbatchev a dit que l’OTAN le lui avait garanti.
Cependant, l’OTAN n’a pas tenu parole. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont été accueillies dans l’OTAN, de même la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Slovénie, la République Tchèque et la Slovaquie. Plus tard ont suivi encore l’Albanie et la Croatie. Si vous le considérez du point de vue russe, alors l’OTAN a rompu sa parole et maintenant, elle tente encore de prendre les éléments manquants – l’Ukraine et la Géorgie – et d’encercler ainsi la Russie.
Dans les médias occidentaux, on dit toujours : les Russes sont complètement irrationnels et se comportent bizarrement. Mais en fait ils se comportent comme un joueur d’échecs qui déplacement après déplacement, perdent ici une tour, là un cavalier et là encore un pion. Les Russes se sentent harcelés. Et cette extension de l’OTAN n’est aucunement mentionnée par les médias occidentaux, pas même prise en compte. On peut communiquer ceci tout simplement en prenant une carte de l’OTAN en 1990 et une de 2014.
S’agit-il de la part de l’OTAN uniquement d’un encerclement militaire de la Russie ou bien en veut-elle aussi aux ressources de ce pays ?
C’est la même chose. L’Arabie Saoudite et la Russie se partagent la première place au niveau international quant à l’exploitation du pétrole. Les Russes produisent environ 10 millions de barils par jour. Les Saoudiens produisent également environ 10 millions de barils par jour. La Russie est au niveau de sa superficie le plus grand pays de la terre et dispose de très grandes réserves de gaz naturel. La lutte mondiale pour les réserves de pétrole et de gaz naturel est aussi une lutte contre la Russie. Poutine ne veut en aucun cas que l’Ukraine adhère à l’OTAN. Du point de vue russe, la chute de Ianoukovytch a été orchestrée par les services secrets occidentaux. Qu’on le voit ou non comme Poutine, cela ne joue aucun rôle. Mais pour lui, il est légitime de dire : quand l’hiver viendra, je pourrais aussi vous couper le gaz. Ou bien je peux dire : Vous me devez davantage d’argent pour le gaz. Cela veut dire que dans le conflit ukrainien on peut observer la relation entre le pétrole, le gaz et l’OTAN dans toute sa splendeur.
Quels sont les indices montrant que le coup d’Etat en Ukraine a été orchestré par les services secrets occidentaux ?
Ce que nous savons jusqu’à présent est que 2014 est l’année de la destitution de Ianoukovytch et de l’installation au pouvoir de Poroschenko. C’est un fait. Et si l’on observe un peu de plus près, alors on voit les finesses. Quand est-il destitué ? Il est renversé en février 2014. Et maintenant, on en vient au nœud du débat, c’est-à-dire à l’aggravation des protestations par les tireurs d’élite de Maïdan. Il est intéressant de constater : les tireurs d’élite – selon les informations en ma possession – tiraient aussi bien sur les manifestants que sur les policiers. Cela est très inhabituel. Ici, on peut très bien penser que c’était une action des services secrets pour précipiter l’Ukraine dans le chaos. Ce que nous avons ici comme indice, c’est l’entretien téléphonique entre Urmas Paet, ministre des Affaires étrangères de l’Estonie et Catherine Ashton, Haute représentante des Affaires étrangères de l’UE. Dans cet entretien, il est question que derrière les tireurs d’élite de Maïdan ne se cache pas Ianoukovytch, mais quelqu’un de la nouvelle coalition. Celle-ci est le groupe autour de Klitschko, Jazenjuk et Poroschenko, qui est arrivé au pouvoir après le coup d’Etat.
S’il s’avère que Poroschenko est venu au pouvoir grâce aux tireurs d’élite, alors nous avons donc affaire avec un putsch du gouvernement sans nous en apercevoir. Cela allait si vite que l’on doit vraiment avouer : nous sommes trop bêtes pour le comprendre réellement. Il se peut que Poutine soit moins stupide et ait vu ceci correctement. Je ne veux pas dire que l’on doit croire Poutine aveuglément, car lui aussi possède son agenda. La question à laquelle nous devons répondre dans l’histoire économique et aussi dans l’histoire contemporaine : s’agit-il d’un évènement comme en 1953 lorsque la CIA, le service secret américain, et le MI6, le service secret britannique ont renversé le gouvernement de Mossadegh en Iran, parce qu’il voulait nationaliser le pétrole ? A l’époque, on a déguisé des agents en terroristes, qui ont commis des attentats et ainsi déclenché un chaos dans tout le pays. On appelle cela la « stratégie de la tension », donc on crée volontairement un chaos et des tensions pour renverser de cette manière un gouvernement, cela fonctionne, c’est prouvé historiquement.
Les derniers mois, l’OTAN a intensifié les manœuvres. A la suite d’un manœuvre de l’OTAN dans plusieurs Etats européens la sécurité aérienne est même tombée en panne. Est-ce qu’il s’agit là seulement de présence militaire ou est-ce qu’il y a d’autres raisons pour les mouvements des troupes ?
Que ce soit du côté de la Russie ou de l’OTAN je ne peux qu’affirmer qu’il y ait une augmentation de la présence militaire. Mais contrairement à l’opinion de beaucoup de commentateurs, je pense que nous ne nous trouvons pas au bord de la troisième guerre mondiale comme au temps de la crise de Cuba en 1962. Pourtant, nous sommes dans un climat de méfiance. Moscou et Washington se méfient l’un de l’autre, et Berlin est coincé entre les deux.
En Allemagne se trouvent plusieurs bases militaires de l’OTAN, dont la base aérienne américaine Ramstein et le centre de commandement Africom à Stuttgart. Quel est le rôle actuel et futur de l’Allemagne dans la stratégie de l’OTAN ?
L’Allemagne est dans l’OTAN une jeune associée parce que les USA commandent l’OTAN. Du point de vue des USA, l’Allemagne est un pays occupé. Certes, cela fait mal en lisant cela en tant que lecteur allemand, mais c’est la situation actuelle. Les Etats-Unis ont des bases militaires en Allemagne et le téléphone mobile de la chancelière Merkel est mis sur écoute par le service secret militaire américain NSA. Et lorsque les Américains disent : nous partons vers l’Hindou Kouch, les soldats allemands doivent s’y rendre et abattre les Afghans bien qu’ils n’aient jamais eu de problèmes avec eux auparavant. Cela veut dire que malheureusement l’Allemagne a pris la position d’un vassal. Et on a de la peine en Allemagne à se libérer de cette position.
La raison est toute simple : les USA sont l’empire. Un empire se distingue toujours par le fait qu’il est la plus grande économie nationale du monde, mesuré au PIB. Ce sont les USA. Il a le plus grand nombre de porte-avions et la force aérienne la plus puissante quant au nombre, au type et à la modernité. Ce sont également les USA. Il détient la monnaie de réserve mondiale. C’est le dollar, donc encore une fois les USA. Et finalement, les USA disposent du plus grand nombre de bases militaires dans le monde, donc pas seulement à Guantànamo, à Diego Garcia et en Afghanistan, mais aussi à Ramstein etc. Ce qui importe en outre : l’empire domine les médias et veille à ce qu’ils informent de manière bienveillante. Voilà donc la position de l’Allemagne : elle se trouve dans une position inférieure dans l’empire américain, et la plupart des médias allemands n’osent pas parler ouvertement de ce fait. La Suisse n’est d’ailleurs pas mieux lotie se trouvant également sous la pression de l’empire US, mais au moins nous ne sommes pas membre de l’OTAN et nous n’avons pas non plus de bases militaires américaines – nous les Suisses ne voulons pas de cela.
En revanche, la Suisse est, tout comme la Finlande, membre d’un stade préliminaire de l’OTAN ...
... du « Partnership for Peace », c’est vrai. C’est vivement critiqué en Suisse, et à juste titre, car nous ne voulons en aucun cas devenir membre de l’OTAN. Cela veut dire que certains politiciens le veulent bien, mais pas la population suisse. Lors d’une votation le Non emporterait largement, car les citoyens suisses rejettent les guerres d’agression de l’OTAN. L’opinion publique par rapport aux Etats-Unis a tourné en mal ces dernières années.
Les USA apparaissent comme des menteurs parce qu’ils mènent dans le monde entier des guerres économiques. Ils ont écouté les transferts de données du monde – surtout les données SWIFT – à l’aide du service secret américain NSA et abusent de ces données au détriment des banques suisses UBS et Credit Suisse. Ils dénigrent les Suisses parce que des banques suisses ont aidé en effet des citoyens américains à frauder le fisc ce qui n’était pas juste. Mais en même temps les Suisses observent avec étonnement que la fraude fiscale aux USA – soit en Delaware soit en Angleterre, par des trusts – est toujours possible. C’est pourquoi les Suisses ne comprennent pas que les USA jouent aux redresseurs de torts contre la fraude fiscale tout en négligeant les failles dans leur propre pays. C’est pourquoi l’opinion publique est ici de plus en plus anti-américaine.
Le 11-Septembre 2001 joue aussi un rôle-clé par rapport à l’OTAN car à ce moment-là la clause de défense mutuelle d’après l’article 5 est entrée en vigueur. Est-ce que la clause de défense mutuelle est toujours en vigueur ?
C’est une question intéressante. On devrait la poser à l’OTAN. Après le 11-Septembre, il y eu un large débat là-dessus. En tout cas, la clause de défense mutuelle a été proclamée après le 11-Septembre, cela c’est clair. Les Américains sont venus en Europe et ont dit : c’était comme cela, et maintenant on y va dans l’Hindou Kouch. Puis 9/11 était une histoire fixe qu’on pouvait avaler ou pas. En outre, c’était le premier cas de défense mutuelle de l’OTAN dans l’histoire. Là aussi, le rôle de l’empire se manifeste. La plus importante souveraineté d’interprétation dont l’empire dispose est d’interpréter lui-même chaque événement historique. Les attentats du 11-Septembre sont contestés parmi les historiens – ils existent différents avis à ce sujet. Mais dès qu’un historien ne lève la tête qu’un tout petit peu, il est hué comme théoricien conspirateur. Et cela signifie que nous n’avons pas le droit de dire : attention, lors de la mise en vigeur de l’article 5, certaines questions se posent. L’OTAN ne veut pas en parler. Elle ne veut pas de débats critiques au sujet du 11-Septembre et de l’Opération Gladio. Elle essaie simplement de supprimer ces sujets. Mais je crois, qu’elle n’y arrivera pas à long terme parce que nous vivons à l’époque de l’information. Les gens sont de plus en plus en mesure de s’acquérir différentes perspectives par rapport à un thème, et ça c’est bien.
• • •
Daniele Ganser est historien et chercheur dans le domaine de la paix. Il analyse les thèmes de l’énergie, de la guerre et de la paix d’une perspective géopolitique. Il met l’accent sur l’histoire internationale contemporaine depuis 1945, les services secrets, les unités spéciales, la stratégie de guerre secrète et la géostratégie ainsi que le pic pétrolier et des guerres de ressources. Son livre « Nato-Geheimarmeen in Europa – Inszenierter Terror und verdeckte Kriegsführung » a été publié en 2005 (« Les Armées secrètes de l’OTAN – Réseaux Stay Behind, Gladio et Terrorisme en Europe de l’Ouest » a été publié en 2011) et traduit en dix langues.
Source : Deutsche Wirtschafts Nachrichten DWN du 29/7/2014 (http://deutsche-wirtschafts-nachrichten.de/2014/07/14/nato-experte-aus...)
(Traduction Horizons et débats)
Horizons et debats > 2014 > N° 19, août 2014
L’OTAN est la plus grande et la plus puissante alliance militaire depuis nombre d’années. Les « Deutsche Wirtschafts Nachrichten » ont parlé avec l’historien et le spécialiste en matière de l’OTAN, Daniele Ganser à propos de la structure de celle-ci, du rôle de l’Allemagne dans l’organisation, de son influence dans l’UE et de son implication dans le conflit de l’Ukraine.
Deutsche Wirtschafts Nachrichten : Le Danois Rasmussen démissionne bientôt en tant que Secrétaire général. Son successeur sera probablement le Norvégien Stoltenberg. Quelle est selon vous, l’influence des Européens au sein de l’OTAN ?
Daniele Ganser : Je pense que l’influence des Européens au sein de l’OTAN est petite, parce que celle-ci est menée par les USA. On le voit à travers le fait que les Européens peuvent toujours désigner le Secrétaire général et celui-ci apparaît très souvent dans les médias en Europe. C’est pourquoi, on a l’impression que le Secrétaire général est la personne la plus importante de l’OTAN. Toutefois, ce n’est pas vrai ! La personne encore beaucoup plus influente au sein de l’OTAN est le SACEUR (Commandant suprême des forces alliées en Europe) et c’est toujours un général américain. Ce commandement militaire est encore plus puissant que le poste officiel de Secrétaire général. L’ancien Président Nixon l’a formulé une fois de cette façon : « Le seul organisme international qui n’ait jamais fonctionné, c’est l’OTAN, tout simplement parce qu’il s’agit d’une alliance militaire et que nous étions aux commandes ».
Par quelles voies l’OTAN impose-t-elle ses intérêts à l’UE ?
L’OTAN a ses ambassadeurs dans tous les pays membres. Ce sont des ambassadeurs envoyés par chaque pays afin d’être informés des projets de l’OTAN dans les étapes suivantes. Les voies sont opérationnelles de telle façon que l’OTAN – et en premier les USA – disent : C’est comme ça et maintenant vous devez faire ça. Cela était ainsi en particuliers lors du 11-Septembre et de la Guerre contre l’Afghanistan. La plupart du temps, les Européens obéissent tout simplement. Ils n’ont jamais dit : Nous devons nous développer indépendamment. Une politique extérieure et de sécurité européenne commune ne fonctionne pas vraiment. On est toujours indécis : doit-on aller en Irak avec les Américains ? Les Anglais l’ont fait, pas les Français. Ou bien doit-on bombarder avec les Américains la Lybie, pays membre de l’OPEC ? Les Français l’ont fait, pas les Allemands. Les USA réussissent très bien à dresser les différents pays européens les uns contre les autres. En ce moment, on se sert de l’Allemagne contre la Russie, bien sûr pour des intérêts américains. C’est l’ancien système du « divide et impera » – « diviser pour régner ». Ce n’est pas dans l’objectif de Washington que l’UE et la Russie coopèrent et construisent un grand espace économique, disposant en plus des plus grandes réserves de pétrole et de gaz. Ce ne serait pas dans l’intérêt des Etats-Unis.
En raison du manque de transparence, il est difficile de savoir comment se présente le financement de l’OTAN en détail. Des députés néerlandais ont dû le constater récemment. Savez-vous quelque chose de concret à ce sujet ?
Non, parce que l’OTAN n’est effectivement pas une organisation transparente. Je partage cette frustration des députés néerlandais, parce que je me suis efforcé d’obtenir des informations sur les armées secrètes de l’OTAN. On a simplement ignoré mes questions et on ne m’a fait part de rien. Quelques personnes pensent que l’OTAN est une organisation démocratique et transparente. Cependant, ce n’est pas le cas. C’est une organisation militaire qui tente continuellement à garder ses secrets. Le budget du Pentagone est finalement pertinent pour le financement et il comprend environ 700 milliards de dollars par an ou deux milliards par jour. Alors la question est bien sûr de savoir si ici une journée du Pentagone équivaut à une journée de l’OTAN et comment on calcule cela. Mais ce sont des opérations comptables et on peut calculer cela de différentes manières.
Quel rôle joue l’OTAN dans le conflit en Ukraine ?
Mon avis est que la guerre en Ukraine est centrée autour de l’OTAN et du gaz naturel. L’OTAN a depuis 1990 entrepris un mouvement en direction de l’Est. La première étape a été de retirer en Allemagne la RDA au Pacte de Varsovie et de l’accueillir dans l’OTAN. Pour cela, on a eu besoin à cette époque de l’accord de Gorbatchev. C’est-à-dire que cette fusion entre la RFA et la RDA – qui est très précieuse et que je salue beaucoup – n’était possible qu’avec l’acceptation de la Russie, de la reprise de l’Allemagne réunie, par l’OTAN. Mais les Russes ont aussi affirmé leur refus d’une extension de l’OTAN. Et Gorbatchev a dit que l’OTAN le lui avait garanti.
Cependant, l’OTAN n’a pas tenu parole. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie ont été accueillies dans l’OTAN, de même la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Slovénie, la République Tchèque et la Slovaquie. Plus tard ont suivi encore l’Albanie et la Croatie. Si vous le considérez du point de vue russe, alors l’OTAN a rompu sa parole et maintenant, elle tente encore de prendre les éléments manquants – l’Ukraine et la Géorgie – et d’encercler ainsi la Russie.
Dans les médias occidentaux, on dit toujours : les Russes sont complètement irrationnels et se comportent bizarrement. Mais en fait ils se comportent comme un joueur d’échecs qui déplacement après déplacement, perdent ici une tour, là un cavalier et là encore un pion. Les Russes se sentent harcelés. Et cette extension de l’OTAN n’est aucunement mentionnée par les médias occidentaux, pas même prise en compte. On peut communiquer ceci tout simplement en prenant une carte de l’OTAN en 1990 et une de 2014.
S’agit-il de la part de l’OTAN uniquement d’un encerclement militaire de la Russie ou bien en veut-elle aussi aux ressources de ce pays ?
C’est la même chose. L’Arabie Saoudite et la Russie se partagent la première place au niveau international quant à l’exploitation du pétrole. Les Russes produisent environ 10 millions de barils par jour. Les Saoudiens produisent également environ 10 millions de barils par jour. La Russie est au niveau de sa superficie le plus grand pays de la terre et dispose de très grandes réserves de gaz naturel. La lutte mondiale pour les réserves de pétrole et de gaz naturel est aussi une lutte contre la Russie. Poutine ne veut en aucun cas que l’Ukraine adhère à l’OTAN. Du point de vue russe, la chute de Ianoukovytch a été orchestrée par les services secrets occidentaux. Qu’on le voit ou non comme Poutine, cela ne joue aucun rôle. Mais pour lui, il est légitime de dire : quand l’hiver viendra, je pourrais aussi vous couper le gaz. Ou bien je peux dire : Vous me devez davantage d’argent pour le gaz. Cela veut dire que dans le conflit ukrainien on peut observer la relation entre le pétrole, le gaz et l’OTAN dans toute sa splendeur.
Quels sont les indices montrant que le coup d’Etat en Ukraine a été orchestré par les services secrets occidentaux ?
Ce que nous savons jusqu’à présent est que 2014 est l’année de la destitution de Ianoukovytch et de l’installation au pouvoir de Poroschenko. C’est un fait. Et si l’on observe un peu de plus près, alors on voit les finesses. Quand est-il destitué ? Il est renversé en février 2014. Et maintenant, on en vient au nœud du débat, c’est-à-dire à l’aggravation des protestations par les tireurs d’élite de Maïdan. Il est intéressant de constater : les tireurs d’élite – selon les informations en ma possession – tiraient aussi bien sur les manifestants que sur les policiers. Cela est très inhabituel. Ici, on peut très bien penser que c’était une action des services secrets pour précipiter l’Ukraine dans le chaos. Ce que nous avons ici comme indice, c’est l’entretien téléphonique entre Urmas Paet, ministre des Affaires étrangères de l’Estonie et Catherine Ashton, Haute représentante des Affaires étrangères de l’UE. Dans cet entretien, il est question que derrière les tireurs d’élite de Maïdan ne se cache pas Ianoukovytch, mais quelqu’un de la nouvelle coalition. Celle-ci est le groupe autour de Klitschko, Jazenjuk et Poroschenko, qui est arrivé au pouvoir après le coup d’Etat.
S’il s’avère que Poroschenko est venu au pouvoir grâce aux tireurs d’élite, alors nous avons donc affaire avec un putsch du gouvernement sans nous en apercevoir. Cela allait si vite que l’on doit vraiment avouer : nous sommes trop bêtes pour le comprendre réellement. Il se peut que Poutine soit moins stupide et ait vu ceci correctement. Je ne veux pas dire que l’on doit croire Poutine aveuglément, car lui aussi possède son agenda. La question à laquelle nous devons répondre dans l’histoire économique et aussi dans l’histoire contemporaine : s’agit-il d’un évènement comme en 1953 lorsque la CIA, le service secret américain, et le MI6, le service secret britannique ont renversé le gouvernement de Mossadegh en Iran, parce qu’il voulait nationaliser le pétrole ? A l’époque, on a déguisé des agents en terroristes, qui ont commis des attentats et ainsi déclenché un chaos dans tout le pays. On appelle cela la « stratégie de la tension », donc on crée volontairement un chaos et des tensions pour renverser de cette manière un gouvernement, cela fonctionne, c’est prouvé historiquement.
Les derniers mois, l’OTAN a intensifié les manœuvres. A la suite d’un manœuvre de l’OTAN dans plusieurs Etats européens la sécurité aérienne est même tombée en panne. Est-ce qu’il s’agit là seulement de présence militaire ou est-ce qu’il y a d’autres raisons pour les mouvements des troupes ?
Que ce soit du côté de la Russie ou de l’OTAN je ne peux qu’affirmer qu’il y ait une augmentation de la présence militaire. Mais contrairement à l’opinion de beaucoup de commentateurs, je pense que nous ne nous trouvons pas au bord de la troisième guerre mondiale comme au temps de la crise de Cuba en 1962. Pourtant, nous sommes dans un climat de méfiance. Moscou et Washington se méfient l’un de l’autre, et Berlin est coincé entre les deux.
En Allemagne se trouvent plusieurs bases militaires de l’OTAN, dont la base aérienne américaine Ramstein et le centre de commandement Africom à Stuttgart. Quel est le rôle actuel et futur de l’Allemagne dans la stratégie de l’OTAN ?
L’Allemagne est dans l’OTAN une jeune associée parce que les USA commandent l’OTAN. Du point de vue des USA, l’Allemagne est un pays occupé. Certes, cela fait mal en lisant cela en tant que lecteur allemand, mais c’est la situation actuelle. Les Etats-Unis ont des bases militaires en Allemagne et le téléphone mobile de la chancelière Merkel est mis sur écoute par le service secret militaire américain NSA. Et lorsque les Américains disent : nous partons vers l’Hindou Kouch, les soldats allemands doivent s’y rendre et abattre les Afghans bien qu’ils n’aient jamais eu de problèmes avec eux auparavant. Cela veut dire que malheureusement l’Allemagne a pris la position d’un vassal. Et on a de la peine en Allemagne à se libérer de cette position.
La raison est toute simple : les USA sont l’empire. Un empire se distingue toujours par le fait qu’il est la plus grande économie nationale du monde, mesuré au PIB. Ce sont les USA. Il a le plus grand nombre de porte-avions et la force aérienne la plus puissante quant au nombre, au type et à la modernité. Ce sont également les USA. Il détient la monnaie de réserve mondiale. C’est le dollar, donc encore une fois les USA. Et finalement, les USA disposent du plus grand nombre de bases militaires dans le monde, donc pas seulement à Guantànamo, à Diego Garcia et en Afghanistan, mais aussi à Ramstein etc. Ce qui importe en outre : l’empire domine les médias et veille à ce qu’ils informent de manière bienveillante. Voilà donc la position de l’Allemagne : elle se trouve dans une position inférieure dans l’empire américain, et la plupart des médias allemands n’osent pas parler ouvertement de ce fait. La Suisse n’est d’ailleurs pas mieux lotie se trouvant également sous la pression de l’empire US, mais au moins nous ne sommes pas membre de l’OTAN et nous n’avons pas non plus de bases militaires américaines – nous les Suisses ne voulons pas de cela.
En revanche, la Suisse est, tout comme la Finlande, membre d’un stade préliminaire de l’OTAN ...
... du « Partnership for Peace », c’est vrai. C’est vivement critiqué en Suisse, et à juste titre, car nous ne voulons en aucun cas devenir membre de l’OTAN. Cela veut dire que certains politiciens le veulent bien, mais pas la population suisse. Lors d’une votation le Non emporterait largement, car les citoyens suisses rejettent les guerres d’agression de l’OTAN. L’opinion publique par rapport aux Etats-Unis a tourné en mal ces dernières années.
Les USA apparaissent comme des menteurs parce qu’ils mènent dans le monde entier des guerres économiques. Ils ont écouté les transferts de données du monde – surtout les données SWIFT – à l’aide du service secret américain NSA et abusent de ces données au détriment des banques suisses UBS et Credit Suisse. Ils dénigrent les Suisses parce que des banques suisses ont aidé en effet des citoyens américains à frauder le fisc ce qui n’était pas juste. Mais en même temps les Suisses observent avec étonnement que la fraude fiscale aux USA – soit en Delaware soit en Angleterre, par des trusts – est toujours possible. C’est pourquoi les Suisses ne comprennent pas que les USA jouent aux redresseurs de torts contre la fraude fiscale tout en négligeant les failles dans leur propre pays. C’est pourquoi l’opinion publique est ici de plus en plus anti-américaine.
Le 11-Septembre 2001 joue aussi un rôle-clé par rapport à l’OTAN car à ce moment-là la clause de défense mutuelle d’après l’article 5 est entrée en vigueur. Est-ce que la clause de défense mutuelle est toujours en vigueur ?
C’est une question intéressante. On devrait la poser à l’OTAN. Après le 11-Septembre, il y eu un large débat là-dessus. En tout cas, la clause de défense mutuelle a été proclamée après le 11-Septembre, cela c’est clair. Les Américains sont venus en Europe et ont dit : c’était comme cela, et maintenant on y va dans l’Hindou Kouch. Puis 9/11 était une histoire fixe qu’on pouvait avaler ou pas. En outre, c’était le premier cas de défense mutuelle de l’OTAN dans l’histoire. Là aussi, le rôle de l’empire se manifeste. La plus importante souveraineté d’interprétation dont l’empire dispose est d’interpréter lui-même chaque événement historique. Les attentats du 11-Septembre sont contestés parmi les historiens – ils existent différents avis à ce sujet. Mais dès qu’un historien ne lève la tête qu’un tout petit peu, il est hué comme théoricien conspirateur. Et cela signifie que nous n’avons pas le droit de dire : attention, lors de la mise en vigeur de l’article 5, certaines questions se posent. L’OTAN ne veut pas en parler. Elle ne veut pas de débats critiques au sujet du 11-Septembre et de l’Opération Gladio. Elle essaie simplement de supprimer ces sujets. Mais je crois, qu’elle n’y arrivera pas à long terme parce que nous vivons à l’époque de l’information. Les gens sont de plus en plus en mesure de s’acquérir différentes perspectives par rapport à un thème, et ça c’est bien.
• • •
Daniele Ganser est historien et chercheur dans le domaine de la paix. Il analyse les thèmes de l’énergie, de la guerre et de la paix d’une perspective géopolitique. Il met l’accent sur l’histoire internationale contemporaine depuis 1945, les services secrets, les unités spéciales, la stratégie de guerre secrète et la géostratégie ainsi que le pic pétrolier et des guerres de ressources. Son livre « Nato-Geheimarmeen in Europa – Inszenierter Terror und verdeckte Kriegsführung » a été publié en 2005 (« Les Armées secrètes de l’OTAN – Réseaux Stay Behind, Gladio et Terrorisme en Europe de l’Ouest » a été publié en 2011) et traduit en dix langues.
Source : Deutsche Wirtschafts Nachrichten DWN du 29/7/2014 (http://deutsche-wirtschafts-nachrichten.de/2014/07/14/nato-experte-aus...)
(Traduction Horizons et débats)
Horizons et debats > 2014 > N° 19, août 2014
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