DISPARITION - "C'est toute une époque et un pilier du socialisme démocratique qui s'en va", a estimé Laurent Fabius quelques instants après avoir annoncé à la presse la mort de Pierre Mauroy. "C'est tout un grand pan du vieux parti socialiste qui disparaît, un parti populaire et sentimental auquel on ne pouvait qu'être attaché", estime de même Jean-Pierre Chevènement, dans un hommage publié sur Le HuffPost.
Premier ministre de l'union de la gauche au début du premier septennat de François Mitterrand, maire de Lille pendant près de trente ans, Pierre Mauroy, décédé à l'âge de 84 ans, a représenté jusqu'au bout un socialisme populaire.
Porte-parole de "la gauche héroïque", du socialisme "des origines"... jusqu'à sa démission en juillet 1983 après l'abandon par François Mitterrand du projet de loi pour la réforme de l'enseignement privé, Pierre Mauroy va passer plusieurs mois à essuyer les plâtres pour le président fraîchement élu. Près de trente ans avant, le passage de Pierre Mauroy à Matignon illustre déjà le retour des socialistes à l'Élysée en 2012 : le candidat Hollande souhaitait incarner le "rêve français", mais un an après son arrivée au pouvoir, Jean-Marc Ayrault dit être le "Premier ministre de la réalité".
deces pierre mauroy
Les gouvernements Mauroy et Ayrault, le 27 mai 1981 et le 17 mai 2012
Incarnant au Parti socialiste la première expérience durable du pouvoir, il met en oeuvre dès 1981 les 110 propositions du candidat Mitterrand pour "changer la vie": des réformes sociales (les lois Auroux sur le droit du travail, largement rédigées par Martine Aubry); la décentralisation (les lois Defferre, considérées comme "l'acte 1"); des nationalisations (pour près de 6 milliards d'euros dès 1982); ou l'abolition de la peine de mort, cinq mois après l'élection de François Mitterrand. Dès son arrivée à Matignon, Pierre Mauroy fait preuve d'une énergie et d'un volontarisme rarement observé rue de Varrennes. C'est d'ailleurs épuisé qu'il quittera les lieux.
Issu d'une fédération ouvrière teintée de marxisme révolutionnaire, né d'une "génération pré-technocratique" (par opposition aux énarques qui dirigeront ensuite le Parti socialiste), Pierre Mauroy "incarne ce que le PS n'est plus", juge le politologue Rémi Lefebvre.
À la "vraie gauche" des années 80', celle des acquis sociaux et des réformes sociétales, Pierre Mauroy opposera toutefois la rigueur en 1982-83. Face à la menace de faillite économique du pays (déficits publics, inflation, pressions sur le franc), il assume le tournant auquel se résout à regret François Mitterrand. Avec le ministre des Finances Jacques Delors, il convaincra ainsi le président de la République de ne pas sortir du système monétaire européen (SME).
Du "rêve" socialiste au pragmatisme de François Hollande, il ne reste plus grand chose de la gauche "illusioniste" incarnée par Pierre Mauroy. De l'ancien maire de Lille, c'est paradoxalement cette période de rigueur, qualifiée à l'époque de "parenthèse" par Lionel Jospin, que l'on retiendra essentiellement. "À l'époque déjà, le volontarisme politique butte sur des contraintes économiques", note Rémi Lefebvre.
Entre 1981 et 1983, rappelle Jean Peyrelevade, ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy, les "finances publiques sont saines, il y a peu de dettes et un appareil productif qui fonctionne encore". En 1981, indique-t-il dans un entretien publié fin 2012, "la situation du pays (...) permet de se livrer à ce genre de vagues, de mesures, de réformes qui donnaient au peuple le sentiment qu’il y avait un véritable changement. Aujourd’hui ce n’est pas possible".
Architecte de la Gauche de Gouvernement, Pierre Mauroy aura ausi tracé la voix de l'alternance. "En 1981, la Gauche était dans l’opposition depuis 23 ans. (...) Aujourd’hui, nous sommes sur une durée d’alternance normale", note encore Jean Peyrelade, soulignant à nouveau que "la France aujourd’hui est dans un état beaucoup plus fragile qu’elle ne l’était en 1981".
Pierre Mauroy était, a résumé François Hollande, "le premier chef de gouvernement de l'alternance de gauche quand elle faisait l'apprentissage du pouvoir sous la Ve République. Il prit des mesures courageuses qu'on a appelées la rigueur, il a servi son pays sans jamais occulter ses valeurs fondamentales".
Regardez ce montage de déclarations réalisé par Mediapart :
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