Translate

dimanche 23 septembre 2018

Les médias confrontés au cas Eric Zemmour


23 septembre 2018

Les médias confrontés au cas Eric Zemmour

La chroniqueuse Hapsatou Sy, à qui l'essayiste a reproché de ne pas avoir un prénom " français ", appelle à le boycotter

agrandir la taille du texte
diminuer la taille du texte
imprimer cet article
PATRICK BUISSON QUITTE LA CHAÎNE HISTOIRE
L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, a -démissionné de la chaîne Histoire qu'il présidait depuis 2007, a annoncé, vendredi 21  septembre, le groupe TF1. Venu de l'extrême droite, l'ancien patron de Minute s'était fait connaître pour son influence sur Nicolas Sarkozy, qui avait emprunté de nombreux thèmes au Front national durant son mandat (2007-2012). M.  Buisson était tombé en disgrâce en  2014 après la révélation de ses enregistrements clandestins, à l'insu du président de la République. Il est mis en examen pour recel de favoritisme dans l'affaire dite des " sondages de l'Elysée ".
Toutes les vingt secondes en moyenne, sur le site Change.org, une nouvelle signature apparaît dans le menu déroulant d'une pétition en ligne. Elle appelle les chaînes françaises à ne plus inviter le journaliste Eric Zemmour. Son titre  : "  Interdire de médias les personnes portant des messages d'incitation à la haine.  " Vingt-quatre heures après son lancement, jeudi 20  septembre, elle avait déjà été signée par plus de 100  000 personnes.
C'est Hapsatou Sy, chroniqueuse de l'émission "  Les Terriens du dimanche  ", animée par Thierry Ardisson sur C8, qui l'a lancée après un accrochage avec M.  Zemmour survenu lors d'un enregistrement, une semaine auparavant. L'essayiste, grand pourfendeur du multiculturalisme et habitué des polémiques, lui a reproché de- -porter un prénom n'appartenant pas au calendrier chrétien, -estimant que sa mère aurait dû l'appeler "  Corinne  ".
Un vif échange s'est ensuivi, au cours duquel Eric Zemmour, venu présenter son nouveau livre Destin français (Albin Michel), a lancé  : "  C'est votre prénom qui insulte la France. La France n'est pas une terre vierge, c'est une terre avec une histoire, avec un passé. Et les prénoms incarnent l'histoire de la France.  " Des propos coupés au montage par la production après consultation du service juridique et de la direction de la chaîne, mais que Mme Sy, choquée et meurtrie, a diffusés sur son compte Instagram, déclenchant la controverse.
" Discours de haine "Les esprits se sont calmés au sein de l'équipe des "  Terriens  " – Hapsatou Sy, qui n'a pas participé au dernier enregistrement, explique avoir reçu le soutien de la chaîne et l'assurance qu'elle -continuerait à y travailler –, mais la polémique s'est déplacée sur un autre terrain, celui de la liberté d'expression  : faut-il continuer à inviter Eric Zemmour, condamné à deux reprises, pour provocation à la discrimination raciale (2011) et à la haine religieuse (2018)  ? Pour la chroniqueuse, la réponse est non, d'où sa pétition  : "  Je veux faire en sorte que Zemmour cesse de diffuser son discours de haine sur les plateaux.  "
Avant même que Mme Sy lance sa pétition en ligne, des journalistes se sont prononcés pour que M. Zemmour – qui reprend normalement à partir du 3  octobre l'émission présentée avec Eric Naulleau sur Paris Première, "  un grand rendez-vous politique et polémique  " – soit écarté des écrans et des antennes. Jean-Michel Aphatie, éditorialiste sur Europe 1, s'est exclamé  : "  Je déteste Zemmour depuis très longtemps. Je ne lui serrais plus la main à RTL, parce que je ne comprends pas qu'on lui donne la parole…  " Dans un éditorial publié mercredi intitulé "  Salut les racistes  ", le directeur de Libération Laurent Joffrin a estimé qu'"  il - fallait - désormais appeler un chat un chat et Zemmour un raciste  ".
"  Quant à ceux qui l'invitent en rangs serrés pour promouvoir son livre à coups d'insanités, ils sont renvoyés à leurs responsabilités  ", écrit-il. La journaliste du Figaro Eugénie Bastié en a profité pour vilipender, dans un Tweet, "  l'impuissance idéologique de la gauche.Renonçant désormais à -s'attaquer au discours de Zemmour ou à tenter de le réfuter par arguments, elle s'en prend désormais aux médias qui l'invitent  ".
Pourtant, les choses ne sont pas si simples  : on trouve à gauche des personnalités opposées au "  bannissement  " d'Eric Zemmour. L'essayiste Raphaël Glucksmann estime impossible de ne pas discuter avec quelqu'un qui représente "  unphénomène de -société  ", même s'il s'agit plus "  d'un combat que d'un débat  ".
" Un climat de guerre civile "Une position partagée par l'ancienne " insoumise " Raquel Garrido, chroniqueuse aux "  Terriens du dimanche  ", qui souligne que l'émission, d'où est partie la polémique, a tout de même été l'occasion d'une véritable confron-tation de points de vue  : "  Nous avons tous fait notre job.  " Pour une autre chroniqueuse de l'émission, Monia Kashmire, "  à chaque fois qu'Eric Zemmour dérape on s'aperçoit des limites de sa pensée  ".
Producteur de l'émission "  Les Terriens  ", Stéphane Simon fait lui aussi face au dilemme posé par l'invitation du polémiste. "  Désormais, on s'interrogera davantage avant de lui proposer un plateau, à cause de ce qu'il génère  : il déclenche un climat de guerre -civile. Il a fait imploser une équipe qui travaillait ensemble depuis un an  ", explique-t-il. Mais rien dans le paysage économique n'incite à la modération  : confrontées à la concurrence des réseaux sociaux et des plates-formes numériques, les chaînes de télévision cherchent les coups d'éclat. D'où leur recours constant à des chroniqueurs aux propos toujours plus extrêmes. "  Tous les personnages qui clivent intéressent la télévision  ", note M. Simon.
Vendredi, le Conseil de supérieur de l'audiovisuel (CSA) a d'ailleurs annoncé avoir mis en demeure Paris Première (groupe M6) pour des propos tenus par M. Zemmour en janvier  2018 dans l'émission qu'il anime avec Eric Naulleau. Selon le CSA, le -polémiste "  a tenu de façon systématique des propos stigmatisants à l'égard des migrants de confession musulmane  " de nature à "  inciter à la haine ou à la violence à l'égard d'une population expressément désignée pour des raisons de religion  ". L'instance de régulation émet ces avertissements avant une sanction. Mais, face aux recettes publicitaires générées par de telles audiences, les risques financiers ne sont pas forcément dissuasifs.
Alors que les appels à ne plus l'inviter se multiplient, Eric Zemmour a répondu – toujours dans la finesse. "  Il faut qu'ils aillent plus loin, ces gens. Il faut demander mon exil, que j'aille à Sainte-Hélène (…), que l'on m'enferme, qu'on réinvente le goulag, le bagne de Cayenne, que je casse des cailloux. Et, bien sûr, c'est au nom de la liberté…  !  " Encore fidèle à sa réputation. Polemos, en grec, c'est la guerre. Zemmour, l'homme polémique.
François Bougon
© Le Monde

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire