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dimanche 30 septembre 2018

Le désarroi du " marais " macroniste


29 septembre 2018

Le désarroi du " marais " macroniste

Les difficultés de la rentrée ont accentué le malaise d'une partie du groupe LRM à l'Assemblée nationale

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De la Révolution française, l'histoire a retenu l'affrontement des Girondins et des Montagnards. Elle a moins entretenu la mémoire du " marais ", ces députés de la Convention nationale de 1792 qui penchaient d'un camp à l'autre, toujours plus modérés que leurs illustres collègues. Le terme a pourtant traversé la vie politique jusqu'aux heures les plus récentes du Parti socialiste. " Le marais, c'était le ventre mou, la majorité de la majorité, tous ceux qui se réfugiaient dans la motion de synthèse ", raille un macroniste bon connaisseur du parti de la rose.
Le terme a rejailli depuis quelques semaines au sein du groupe La République en marche (LRM) à l'Assemblée nationale. Il est venu mettre un mot sur une majorité silencieuse, loyale mais tourmentée par la rentrée parlementaire. Un groupe informel qui s'est réveillé à la faveur du jeu de chaises musicales provoqué par le départ de Nicolas Hulot du gouvernement. Pour remplacer François de Rugy, nouveau ministre de l'écologie, à la tête de l'Assemblée, l'exécutif a propulsé Richard Ferrand. " Je leur en veux de ne pas avoir pris la mesure du malaise dans lequel ils nous plongeaient ", confie, -embarrassée, une députée.
Le député du Finistère, alors à la tête du groupe LRM, était le choix de l'Elysée. Et une partie du groupe a mal vécu qu'on le lui impose. " Richard Ferrand fait un -excellent président de l'Assemblée mais c'est un homme, et son image est liée à une affaire. Ce n'est pas le renouvellement que l'on prône ", poursuit cette élue.
Cette réaction " épidermique " et la soif de parité ont nourri l'engouement autour de la candidature de Barbara Pompili face au " premier des marcheurs ". L'ancienne écologiste a finalement récolté 85 voix, presque un tiers du groupe, lors du vote interne organisé pour les départager. Une semaine plus tard, M.  Ferrand n'a pas fait le plein des voix LRM lors de son élection à la tête de l'Assemblée nationale. Il lui en manquait 58 sur les 311 députés que compte la majorité. Un score qui traduit le décrochage d'une partie du -bateau LRM.
Sentiment d'inutilitéLe malaise s'accentue depuis plusieurs mois. Les divergences sur des projets de loi ont montré que, sur des questions de société (immigration, laïcité, écologie), la majorité pouvait être diverse. Mais le trouble qui s'est installé durablement porte moins sur le fond de la politique du gouvernement que sur l'organisation du pouvoir et la place réservée aux députés.
" Certains se sentent sous-utilisés, voire inutiles ", s'inquiète Laurianne Rossi, députée des Hauts-de-Seine. " La majorité des députés ne sont pas visibles dans les médias et on ne sollicite pas assez leur avis ", résume le député du Val-de-Marne Guillaume Gouffier-Cha. Leur point commun ? " Ils sont dans leurs dossiers, ne se préoccupent pas des questions de politique politicienne et veulent qu'on utilise plus leurs compétences. "
Une aspiration très liée à l'identité d'élus venus pour partie de la société civile. " Je dirigeais un groupe de 2 700 personnes, avant c'était moi qui fixais mon rythme, mon agenda. Quand on est député, c'est différent. Certains n'arrivent pas à transformer leur pari professionnel dans l'exercice de leurs fonctions ", raconte François Jolivet, député LRM et ex-directeur d'une filiale immobilière de la SNCF. " Il y a dans le groupe une aspiration très simple : que le travail et les parcours soient plus valorisés, qu'il y ait plus d'espace pour débattre et échanger ", détaille Gabriel Attal, député des Hauts-de-Seine.
Cette aspiration se double de la sensation partagée par de nombreux députés de peser bien peu de chose face à la machine gouvernementale et d'être " souvent mis devant le fait accompli sur des arbitrages " explique un député. Une femme a mis des mots sur ce malaise. Le 16  septembre, Frédé-rique Dumas annonçait avec fracas dans Le Parisien qu'elle quittait le groupe LRM. " Travailler dans l'espoir d'être écouté, voire entendu, faire bouger les lignes… est tout simplement impossible avec l'exécutif et compliqué avec le groupe ",expliquait-elle pour justifier son départ. Beaucoup de ses anciens collègues expliquent cette défection par la frustration de Mme  Dumas, dont les propositions sur l'audiovisuel n'avaient pas été reprises. Une façon de balayer le -malaise du groupe. " Les députés du marais en sont là : le boulot est passionnant mais on n'a pas de retour sur investissement ", soutient au contraire Sébastien Nadot, député de Haute-Garonne.
Ce sentiment d'inutilité s'est doublé du constat qu'une minorité d'entre eux occupe l'espace politique et médiatique. " Le marais n'existe pas. C'est parce que certains ont pris la lumière en nombre restreint qu'il y a un marais ", estime-t-on d'ailleurs dans l'entourage de Richard Ferrand.
Beaucoup d'élus évoquent le fonctionnement " clanique " de députés souvent parisiens, engagés très tôt dans la campagne présidentielle. Et fustigent la tendance de certains à faire la police pour un Tweet ou un mot qui dérange. " On a parfois l'impression qu'on ne peut pas penser différemment. C'est quoi ? C'est une annexe du PS ? C'est ça qui exaspère ", -confie Agnès Thill, députée LRM de l'Oise, sortie de l'anonymat avec des prises de position réservées sur les sujets de bioéthique.
Jusqu'où l'incompréhension peut-elle s'installer ? " Il y a des -députés, j'aimerais bien être à leur place : ils ont leur sujet de prédilection sur les plantes vertes dans le bocage poitevin, ils sont en circonscription 90  % du temps, ils viennent parfois voter et défendre un amendement déposé par un lobby et c'est la belle vie ", tance un élu LRM.
Les véritables défections semblent néanmoins limitées. Lors des journées parlementaires de la majorité, une douzaine de députés manquaient à l'appel lors du scrutin interne désignant le candidat au perchoir. Mais plusieurs dizaines avaient voté par correspondance, boudant le déplacement jusqu'à Tours. " J'hésitais mais j'avais des rendez-vous prévus et le résultat du vote était connu d'avance ", raconte ainsi Sébastien Nadot qui, une semaine plus tard, n'a pas participé au scrutin pour la présidence de l'Assemblée.
La voix des territoiresCette réalité préoccupe au sein du groupe. " Il y a peut-être une trentaine de collègues qui se réfugient dans leur circonscription ou dans l'aigreur, s'inquiète une élue francilienne. On ne pourra pas les retenir indéfiniment, d'autant que le départ de Frédérique Dumas a démontré qu'on pouvait partir. " Parmi les cadres de la Macronie, on est moins alarmiste : " Dans tout groupe il y a des défections. Mais en séance de nuit il y a du monde et les textes sont votés. "
Malgré une volonté de changement, le " marais " a fait le choix de la modération lors de la désignation du successeur de Richard Ferrand. Gilles Le Gendre, son dauphin désigné, a été lar-gement élu mais sait le défi qui repose sur ses épaules. " Je réorganise la gouvernance du groupe ", explique-t-il, promettant de mettre en place une " vraie collégialité " au service des élus. Cinq vice-présidents, qui pouvaient candidater jusqu'à jeudi  27 au soir, seront choisis " sous une huitaine de jours ".
Au sein de l'exécutif et parmi les piliers de la majorité, une autre piste mûrit pour remobiliser les députés : les inviter à réinvestir le terrain pour mieux y expliquer la politique du gouvernement. " Un certain nombre de parlementaires qui étaient des élus locaux ont cette fibre-là ", note-t-on dans l'entourage de Richard Ferrand. Une partie des troupes a par ailleurs vocation à partir en campagne pour les municipales. Et pour contrebalancer un pouvoir à qui l'on reproche d'être trop porté sur les villes, un groupe de députés vient de se constituer pour porter la voix des territoires et de la ruralité. Ils se sont choisi un nom qui fleure lui aussi bon la Révolution : les " Girondins ".
Manon Rescan
© Le Monde

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