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dimanche 30 septembre 2018

Cambridge Analytica est morte, vive Data Propria !


29 septembre 2018

Cambridge Analytica est morte, vive Data Propria !

Au cœur d'un scandale d'exploitation de données d'usagers de Facebook en 2016, la société de marketing politique a fermé… sans totalement disparaître. D'anciens cadres ont pris la relève. Leur but ? Se mettre au service des républicains et de Trump

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Après plusieurs mois de scandale, la société britannique de marketing politique Cambridge Analytica a dû fermer définitivement, en mai. Les médias et une partie de la classe politique américaine lui reprochaient d'avoir siphonné, puis exploité les données personnelles de 87  millions d'utilisateurs de Facebook au cours de la campagne électorale américaine de 2016, pour soutenir la candidature de Donald Trump et de divers candidats républicains grâce à des messages ciblés sur Internet et les réseaux sociaux.
Exit donc Cambridge Analytica ? Que nenni ! En réalité, les équipes chargées de ces opérations ne se sont pas dispersées ; leurs algorithmes et leurs bases de données n'ont pas disparu. En fait, les stratèges électoraux du président Trump ont effectué une restructuration juridique et financière de leurs sociétés, sans se soucier de la tempête médiatique, qui s'est déjà essoufflée. Leur objectif à court terme est de mettre leurs talents au service des républicains lors des élections de mi-mandat, qui se dérouleront le mardi 6 novembre. Par ailleurs, ils ont déjà lancé la campagne en vue de la réélection de Donald Trump en 2020.
Au cœur de cette nouvelle galaxie gravite un Texan barbu mesurant plus de deux mètres, Brad Parscale. La trajectoire de M. Parscale, âgé de 42 ans, est singulière. Patron d'une petite entreprise Internet sise à San Antonio (Texas), il travaillait depuis 2011 comme designer et administrateur de sites Web pour le groupe immobilier Trump. Cela lui a donné l'occasion de rencontrer Donald Trump, puis de gagner progressivement sa confiance. En 2015, le candidat milliardaire lui confie la création de ses sites électoraux, et le nomme, l'année suivante, directeur des médias numériquesde sa campagne.
D'emblée, M.  Parscale mise sur les réseaux sociaux. Dans un entretien accordé en octobre 2017 à la chaîne de télévision CBS, il résume ainsi sa stratégie : " J'ai compris très tôt que Trump gagnerait grâce à Facebook. Il parlait aux gens sur Twitter, mais il allait gagner sur Facebook (…). Facebook a été sa méthode, l'autoroute sur laquelle sa voiture a roulé. " Pendant toute la durée de la campagne, son équipe bénéficie de l'aide directe d'employés de Facebook, dont certains sont installés dans ses locaux.
Afin d'étoffer sa force de frappe, il passe un contrat avec Cambridge Analytica, qui l'aide à affiner le ciblage des électeurs dans les régions les plus disputées. L'une des techniques utilisées est la " psychographie ", qui consiste à classer chaque cible uniquement en fonction de ses traits de caractère et de sa personnalité. En analysant le comportement d'un utilisateur sur Facebook, il est loisible de dresser son profil psychologique : est-il capable de s'ouvrir aux autres, est-il plus ou moins consciencieux, extraverti, agréable, névrosé ? Il sera ensuite possible de lui envoyer des messages politiques ou commerciaux dont le contenu et le style ont été -conçus pour lui correspondre, et qui le toucheront réellement.
" L'analyse des motivations "Lorsque Brad Parscale rejoint le quartier général de campagne du candidat Trump à New York, il délègue la direction de son équipe, restée à San Antonio, à l'un des responsables techniques de Cambridge Analytica, Matt Oczkowski. Auparavant, M. Oczkowski avait fondé une agence de marketing spécialisée dans " l'analyse des motivations " des consommateurs et des électeurs. Il fut aussi le " directeur numérique " du gouverneur républicain du Wisconsin (nord) Scott Walker pendant trois ans.
Après la victoire de M. Trump, Brad Parscale intègre le cercle des proches du nouveau locataire de la Maison Blanche. Il embauche même Lara Trump, l'épouse d'Eric, le fils cadet du président. Parallèlement, il se réorganise : il regroupe ses activités de publicité politique au sein d'une nouvelle entité, Parscale Strategy, qu'il transfère à Miami (Floride), et qui reste sous son contrôle exclusif. Puis, il vend l'autre département, chargé du marketing commercial, à CloudCommerce, une petite société californienne jusque-là spécialisée dans les logiciels de commerce en ligne, installée dans la station balnéaire de Santa Barbara. Du même coup, il devient actionnaire et membre du conseil d'administration du nouvel ensemble.
En février, M. Parscale est nommé directeur de la" campagne pour la réélection de Donald Trump en 2020 ",c'est-à-dire chef de l'ensemble des opérations, au-delà du numérique. Dans le même temps, sous son impulsion, CloudCommerce crée une nouvelle filiale de marketing numérique baptisée " Data Propria ", enregistrée au Nevada (ouest), domiciliée en Californie et installée à San Antonio. La direction de Data Propria est confiée à Matt Oczkowsky, qui, dès son arrivée, embauche plusieurs de ses anciens collègues de Cambridge Analytica.
La " Middle America ", cible prioritaireCependant, une chose intrigue : le profil du patron officiel de CloudCommerce, Andrew Van Noy, 36 ans. Dans son CV en ligne, M. Van Noy se vante d'avoir créé dès son adolescence une entreprise de jardinage très prospère, avant de se tourner vers la finance, comme tradeur à la banque Morgan Stanley. Mais, selon une enquête menée par l'agence Associated Press, la réalité serait moins reluisante : Andrew Van Noy fut, dans sa jeunesse, plusieurs fois condamné pour fraude immobilière et faillite douteuse. Quant à CloudCommerce, qui a changé quatre fois de nom depuis 1999, c'était jusqu'en 2017 une petite société sans envergure, qui n'avait dégagé aucun bénéfice depuis dix ans.
L'apparition de Data Propria, en plein scandale Cambridge Analytica, n'est pas passée inaperçue. Fin juin, trois élus démocrates de la Chambre des représentants de Washington envoient une lettre à Matt Oczkowsky pour lui demander de venir témoigner devant une commission. Ils veulent savoir s'il a hérité des bases de données frauduleuses de Cambridge Analytica, et s'il s'est procuré d'autres données de Facebook par ses propres moyens. Aucun élu républicain ne s'est associé à cette requête, et à ce jour, la Chambre des représentants n'a pas indiqué si Matt Oczkowsky lui avait répondu.
Reste à savoir si les techniques " psychographiques " sont toujours à la mode chez les stratèges républicains. Echaudé par le scandale, Matt Oczkowski, de Data Propria, reste évasif, mais sur différents sites professionnels, il continue à s'enorgueillir de son passage chez Cambridge Analytica, où il a su " fusionner la science politique, le big data et la psychologie comportementaliste pour influencer les électeurs ". Il démarche également des grandes entreprises privées, notamment des compagnies d'assurances, en insistant sur la dimension psychologique de ses méthodes.
En revanche, Brad Parscale, dans des déclarations aux médias américains, émet régulièrement des doutes sur l'infaillibilité de la psychographie. Il semble partisan du retour à une forme de publicité politique axée sur les opinions, les valeurs et les préoccupations des cibles (par exemple" hommes de plus de 40  ans soucieux de l'état des infrastructures routières "). Cela étant dit, tous les stratèges s'accordent sur un point : le champ de bataille prioritaire sera la " Middle America ", la classe moyenne laborieuse vivant dans les Etats du centre du pays, qui a porté Donald Trump au pouvoir en 2016 et qui pourrait le refaire en 2020.
Par ailleurs, les stratèges du marketing ciblé vont aussi devoir s'adapter aux modifications récemment introduites par Facebook. Désormais, les annonceurs, commerciaux et responsables politiques ne peuvent plus croiser les données personnelles fournies par Facebook avec celles provenant des " data brokers " classiques (banques de données commerciales, bancaires…). Le réseau social veut ainsi faire un geste vers le -Congrès américain et la Commission européenne, soucieux de la protection de la vie privée des citoyens, tout en marginalisant ses grands concurrents sur le marché des données personnelles. Il a aussi supprimé certaines combinaisons multicritère jugées intrusives ou trop précises – race, religion, pays d'origine, orientation sexuelle, handicaps, statut militaire… Enfin, les propagandistes politiques de tout bord doivent désormais communiquer leur nom, leur domicile et leurs sources de financement à Facebook, qui les vérifiera.
Ces changements ne devraient pas entraver sérieusement l'action de Data Propria, qui a déjà noué des contrats avec la direction nationale du Parti républicain et les équipes de campagne de différents candidats conservateurs à travers le pays. De son côté, selon Associated Press, la société Parscale Strategy encaisse, depuis le début de l'année, près de 1  million de dollars (850 000 euros) par mois grâce à des commandes publicitaires d'organisations soutenant Donald Trump et ses alliés, contre 5 millions pour l'ensemble de 2017. La machine est relancée, les électeurs des régions jugées prioritaires sont de nouveau soumis à une avalanche de messages ciblés sur le Web et les réseaux sociaux.
Yves Eudes
© Le Monde

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