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dimanche 30 septembre 2018

HISTOIRE et MÉMOIRE - En mai 1958, Hubert Beuve-Méry, à la tête du quotidien, soutient le retour aux affaires du général de Gaulle


HISTOIRE et MÉMOIRE



29 septembre 2018
" Le Monde " et la Ve République

En mai 1958, Hubert Beuve-Méry, à la tête du quotidien, soutient le retour aux affaires du général de Gaulle

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L'épitaphe, cinglante, est à la " une " du Monde, le 29  mai 1958 : " Incapable de vivre décemment, la IVe  République n'aura pas su mourir en beauté. " Signé Sirius. Ce jour-là, après avoir fustigé les mensonges et les équivoques d'un régime qui agonise, Hubert Beuve-Méry saute le pas. Le 15  mai, déjà, au lendemain de l'insurrection à Alger des ultras de l'Algérie française, il a évoqué, comme un recours possible, le retour aux affaires du général de Gaulle. C'était alors une option.
Le 29  mai, c'est devenu une nécessité face à la " sédition " de l'armée, au risque de " coup d'Etat militaire ", voire de guerre civile. En quelques lignes, le directeur du Monde tranche donc : " Aujour-d'hui, dans l'immédiat, quelque réserve que l'on puisse faire pour le présent, et plus encore pour l'avenir, le général de Gaulle apparaît comme le moindre mal, la moins mauvaise chance. "
Cela ressemble à un soutien à reculons. En réalité, le choix de Beuve-Méry est déterminé – et il sera déterminant pour bon nombre de parlementaires déboussolés. Mais celui qui est devenu, depuis 1944, le tout-puissant patron du quotidien doit tenir compte, pour la première fois, de l'émoi qui bruisse dans les couloirs de la rue des Italiens. Quatre jour-nalistes du service politique (Raymond Barillon, Georges Mamy, Alain Guichard et Claude Ezratty, qui démissionnera peu après et signera bientôt Claude Estier) lui écrivent même pour lui dire qu'ils " ne sauraient être engagés " par des positions qui leur paraissent " s'éloigner beaucoup - de celles - que l'on pouvait attendre du Monde en de telles circonstances ".
A l'extérieur, certains s'indignent, com-me Claude Bourdet. Résistant, déporté, compagnon de la Libération et fondateur de L'Observateur, il adresse à Beuve-Méry une lettre virulente lui reprochant de céder, lui aussi, au " chantage odieux " exer-cé par de Gaulle, " maniant l'épouvantail de la guerre civile pour mieux dicter sa volonté au Parlement ", en l'occurrence les pleins pouvoirs pendant six mois et la mise en œuvre d'une nouvelle Constitution. Le Monde publie la missive le 1er  juin, accompagnée de ces mots de Sirius : " Entre la menace immédiate des luttes fratri-cides et l'espoir, si ténu qu'il soit, de les épargner au pays, nous avons choisi l'espoir. "
Grogne et pétitionLoin de faiblir, la grogne s'amplifie lorsque le projet de Constitution de la Ve  République est connu. En septembre, quinze journalistes – et non des moindres, Barillon, Mamy et Guichard ont été rejoints, notamment, par Jean Lacouture, Gilbert -Mathieu, Claude Julien, Pierre Drouin ou Jean Schwœbel, le président de la société des rédacteurs – adressent à Beuve-Méry une véritable pétition : " Le projet de Constitution soumis au référendum vise à instituer un régime contraire aux traditions républicaines et comporte de graves menaces contre les libertés démocratiques. " Les signataires annoncent donc qu'ils voteront non au référendum du 28  septembre.
Beuve n'est pas du genre à se laisser impressionner. Son long éditorial du 26  septembre est sans ambiguïté. Certes, la nouvelle Constitution " revêt un aspect plébiscitaire ", certes " il serait sage de relever le prestige et l'efficacité " d'une Assemblée nationale par trop dévalorisée. Mais, puisqu'" il faut choisir ", il " di - t - oui ", tranche-t-il. Y compris " parce que le général de Gaulle, s'il a une idée souvent excessive de sa mission et des possibilités, n'est pas du bois dont on fait les dictateurs ". Mais, par tempérament autant que par expérience, il ajoute : " L'espoir est trop fragile, la menace trop précise, le pari comporte des risques trop graves pour que ce oui, qu'on eût préféré enthousiaste et définitif, ne soit pas conditionnel et provisoire. "
Sage précaution ! Lorsque, quatre ans plus tard, de Gaulle décide, au forceps, d'instaurer l'élection du président de la République au suffrage universel, Sirius se dresse, le 26  octobre 1962, contre " ce projet évidemment funeste puisqu'il divise trop profondément le pays ". Et il renvoie à son choix de 1958 : " Il nous est devenu impossible de maintenir plus longtemps le “oui conditionnel et provisoire” dont nous déplorions déjà, il y a quatre ans, qu'il ne puisse être “enthousiaste et définitif”. " Comme la plupart de ceux qui s'oppo-sèrent alors à cette réforme, Le Monde -finira par en prendre son parti.
Gérard Courtois
© Le Monde

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