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samedi 21 juillet 2018

Au Nicaragua, le " nettoyage " d'Ortega


20 juillet 2018

Au Nicaragua, le " nettoyage " d'Ortega

Les forces du régime ont violemment repris Masaya, bastion de l'opposition

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La répression s'accentue au Nicaragua à la veille du 39e anniversaire, jeudi 19  juillet, de la révolution sandiniste. Armés de fusils d'assaut, des policiers et des paramilitaires ont repris, mardi, le contrôle de la ville rebelle de Masaya (ouest), un des principaux bastions du mouvement pacifique de contestation contre le président Daniel Ortega. Ce bras de fer entre le gouvernement et ses opposants a fait près de 300 morts, malgré la levée de boucliers de la communauté internationale.
Des centaines de Nicaraguayens fuyaient, mercredi 18  juillet, Masaya, ville de 100 000  habitants située à 35  km de la capitale, Managua. " Le gouvernement et ses escadrons de la mort pourchassent les protestataires jusque dans les maisons ",s'alarme un habitant qui souhaite rester anonyme, joint par téléphone au lendemain d'une opération policière meurtrière. Cette dernière a ciblé le quartier indigène de Monimbo, devenu l'épicentre de la révolte qui exige le départ de M. Ortega depuis trois mois.
Un millier d'hommes cagoulés, armés de kalachnikov et de M-16, ont pénétré, mardi, à Monimbo, tirant sur les opposants qui tentaient de répliquer à coups de mortiers ou de pierres. Selon le Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh), qui a dénoncé " un usage excessif de la force ", les affrontements ont fait au moins deux morts, dont un policier, et des dizaines de blessés. " Depuis, toutes les barricades que nous avions dressées ont été retirées et les forces progouvernementales patrouillent ", déplore cet habitant apeuré.
La veille, le gouvernement s'est félicité, dans un communiqué, d'avoir " libéré " c" quartier historique, après avoir été kidnappé par des terroristes financés par la droite putschiste ". Des images diffusées sur les réseaux sociaux montraient des policiers et des paramilitaires tirant en l'air et brandissant le drapeau rouge et noir du Front sandiniste de libération nationale (FSLN, au pouvoir) dans une ville désertée. " Monimbo est un symbole pour Ortega, qui voulait récupérer ce quartier à tout prix avant l'anniversaire de la révolution ", explique l'historienne Monica Baltodano, qui était membre du FSLN avant de s'opposer au régime. Monimbo a joué un rôle-clé dans la révolution sandiniste de 1979, qui a renversé la dictature de la famille Somoza. A l'époque, les guérilleros sandinistes, menés par Daniel Ortega, s'étaient repliés dans ce quartier avant l'attaque finale, le 19  juillet 1979 à Managua, contre le régime dynastique.
" Ortega est devenu le dictateur que nous avions combattu, déplore Mme  Baltodano.Monimbo est aujourd'hui le bastion de la résistance contre lui. " Cette résistance populaire est née le 18  avril d'une première manifestation contre une réforme de la sécurité sociale, avant de devenir un mouvement national de protestation, dont les étudiants sont les fers de lance. Les opposants accusent l'ancien guérillero de 72 ans, au pouvoir depuis 2007 après avoir gouverné le pays de 1979 à 1990, d'avoir instauré avec son épouse et vice-présidente, Rosario Murillo, un régime corrompu et népotiste. Ils réclament le départ du couple et l'organisation d'élections anticipées.
Opposants " diaboliques "Mais M. Ortega et Mme  Murillo s'accrochent au pouvoir dans ce pays de six millions d'habitants. Leur répression a fait plus de 280 morts, selon le Cenidh. Lundi, la première dame avait annoncé publiquement " un nettoyage " de Monimbo des opposants " diaboliques, satanistes et terroristes ". Quelques heures plus tard, l'Assemblée nationale, contrôlée par le gouvernement, votait une loi punissant de quinze à vingt ans de prison les actes de terrorisme " altérant l'ordre constitutionnel ".Pour Mme  Baltodano, " le gouvernement cherche à faire condamner les leaders de la protestation pour tenter d'étouffer le mouvement ". A l'instar de Medardo Mairena, représentant paysan de l'opposition, arrêté vendredi à Managua, et accusé, mardi, de terrorisme et d'assassinats par le ministère public.
Quatre jours plus tôt, le 13  juillet, alors qu'une grève générale paralysait le pays, les troupes antiémeutes, épaulées par des paramilitaires, attaquaient l'Université nationale autonome de Managua (UNAN), qui était occupée depuis trois mois par les protestataires. " Deux compagnons sont morts et seize sont blessés ", dénonce Jonathan Lopez, 20 ans, qui a été pris pour cible aux côtés de 250 camarades. Depuis, les étudiants ont abandonné l'UNAN. " La révolution continue !, assure cet étudiant en économie qui se cache pour ne pas être arrêté. On s'organise désormais via les réseaux sociaux au nom de la justice et de la démocratie. "
Des exigences soutenues par la communauté internationale, qui réclame la fin de la répression. Mercredi, l'Organisation des Etats américains (ŒA) a approuvé une résolution condamnant les violations des droits de l'homme par le régime. Le texte exhorte le gouvernement à démanteler ses groupes paramilitaires et à établir avec l'opposition un calendrier pour des élections anticipées. Quelques heures plus tôt, des sénateurs américains, démocrates et républicains, présentaient un projet de loi prévoyant des sanctions contre les membres du gouvernement Ortega. La veille, l'Union européenne avait demandé la fin immédiate des violences, emboîtant le pas à l'ONU et à treize pays d'Amérique latine.
Mme  Murillo n'a pas commenté la résolution de l'ŒA, se contentant d'annoncer dans les médias la célébration, jeudi, de l'anniversaire de la révolution dans " toutes les municipalités du pays ". Pour Mme  Baltodano, " le soutien de la communauté internationale est important. Mais c'est la résistance populaire et pacifique qui fera partir Ortega et Murillo. Leur contrôle de Masaya et de l'UNAN est une victoire empirique pour eux. Mais ces prises par la force sont déjà des déroutes morale et politique pour le couple, révélatrices du fossé qui se creuse entre le pouvoir et la population ". Mme  Baltodano doute de la capacité du gouvernement à rassembler les masses pour fêter, jeudi, une révolution " qu'Ortega a transformée en dictature ".
Frédéric Saliba
© Le Monde

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