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samedi 21 juillet 2018

Tensions entre la Grèce et la Russie au sujet de la Macédoine


20 juillet 2018

Tensions entre la Grèce et la Russie au sujet de la Macédoine

Moscou critique l'expulsion par Athènes de deux diplomates accusés d'ingérence

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Eclipsée par le débat sur l'ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016, une autre affaire met en lumière l'intrusion présumée de Moscou dans les affaires intérieures d'un pays européen, la Grèce. Le 11  juillet, au début du sommet de l'OTAN à Bruxelles, Athènes a expulsé deux diplomates russes et interdit son territoire à deux autres diplomates.
Le milliardaire russo-grec Ivan Savvidis, patron du PAOK, le club de football de Thessalonique, est également mis en cause dans ces interférences, qui ont pour toile de fond l'accord historique signé le 17  juin entre la Grèce et la Macédoine, afin de rebaptiser l'ex-république yougoslave en " Macédoine du Nord ", lui ouvrant ainsi la voie d'une adhésion à l'Alliance atlantique et à l'Union européenne.
" Cet accord a conduit à une scission profonde dans la société en Grèce et en Macédoine, a déclaré, le 18  juillet, la porte-parole du ministère des affaires étrangères russe, Maria Zakharova. Il est évident qu'il est loin de consolider la paix et la sécurité dans les Balkans, ce n'est qu'un outil exclusif pour attirer plus rapidement la république de Macédoine dans l'OTAN. "
Ces propos ont indigné Athènes, qui dénonce " un exemple caractéristique d'irrespect pour un pays tiers et de manque de compréhension du monde actuel, où les Etats, indépendamment de leur taille, sont indépendants ". Mercredi soir, la diplomatie grecque a estimé que Moscou " semble vouloir légitimer ces actions illégales ", ajoutant : " Personne ne peut ou n'a le droit d'intervenir dans les affaires intérieures de la Grèce. "
Inhabituelles entre la Russie et la Grèce – qui ne s'était pas jointe au vaste mouvement d'expulsions de diplomates russes d'Europe dans le cadre de l'affaire Skripal –, ces nouvelles tensions sont apparues lorsque, citant des sources diplomatiques, le journal grec Kathimerini a révélé que les autorités grecques soupçonnaient Moscou d'avoir cherché à saboter l'accord.
VersementsSigné par le premier ministre, Alexis Tsipras, et son homologue macédonien, Zoran Zaev – en dépit de l'opposition de son président, Gjorge Ivanov –, le document a mis fin à un différend vieux de vingt-sept ans. Jusqu'alors, Athènes avait toujours opposé son veto au changement de nom de l'ancienne république yougoslave (ARYM en abrégé), redoutant des visées de Skopje sur la province septentrionale de la Grèce, qui s'appelle aussi la Macédoine.
Selon plusieurs sources, les diplomates russes auraient notamment tenté d'influencer la République monastique du Mont-Athos pour contrer le projet. Dans ce haut lieu orthodoxe, considéré de tout temps comme une porte d'entrée des espions russes d'après les médias grecs, pas moins de quatre-vingt-dix moines russes ont changé de nationalité ces dix dernières années.
De plus, selon une enquête de l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un collectif de journalistes d'investigation est-européen, soutenu par le département d'Etat américain, le milliardaire Ivan Savvidis aurait déboursé des centaines de milliers d'euros pour financer des mouvements de protestation à Skopje contre l'accord du 17  juin. Le ministère de l'intérieur macédonien détient les preuves d'au moins une partie des versements effectués, parfois transférés en liquide à la frontière grecque, affirme Investigative Reporting Lab Macedonia, partenaire de l'OCCRP. Parmi ces bénéficiaires figuraient des responsables politiques macédoniens de divers partis d'organisations nationalistes liés à l'association de supporteurs Komiti du club Vardar.
RéciprocitéL'ancien dirigeant de Komiti, Alexander Kolevski, s'est récemment vu refuser l'entrée en Grèce parce qu'il représentait un " danger pour la paix et la sécurité publiques, la sécurité intérieure et les relations internationales de la Grèce ", selon Investigative Reporting Lab. Le club Vardar est détenu par un richissime homme d'affaires, Sergueï Samsonenko, actuel consul honoraire de Russie dans la ville macédonienne de Bitola.
Ivan Savvidis, qui s'est illustré le 11  mars en déboulant avec un pistolet à la ceinture sur la pelouse d'un stade, en Grèce, doit sa fortune, estimée à 1,9  milliard de dollars, au principal fabricant de cigarettes russe, Donskoy Tabak, devenu sa propriété après sa privatisation. Député russe jusqu'en  2011, cet homme de 59 ans, que l'on dit proche de Vladimir Poutine, a acquis la nationalité grecque en  2013.
Le 13  juillet, Moscou a convoqué l'ambassadeur grec pour lui reprocher " des décisions antirusses " derrières lesquelles se tiendrait " Washington ", et menacer Athènes de réciprocité en renvoyant deux diplomates. " Vouloir intégrer de force la Macédoine ne fait que confirmer que la politique de la “porte ouverte” est devenue pour l'OTAN un but en soi et un moyen de prendre le contrôle de territoires ", fulmine la diplomatie russe.
Dans un rapport du 6  juillet, le Parlement britannique avait souligné le " risque " d'une" ingérence étrangère " dans ce processus, au sein d'une région sensible aux yeux de Moscou depuis le conflit des années 1990 et la dislocation de la Yougoslavie, ajoutant :" La Russie est prête à faire tout ce qu'elle peut pour perturber le chemin des Balkans vers la stabilité et la démocratie. " L'accord " historique " entre Athènes et Skopje doit encore être approuvé par référendum dans les deux pays.
Isabelle Mandraud (avec Marina Rafenberg, à Athènes)
© Le Monde

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